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Full text of "La puissance paternelle et la famille sous la Révolution"

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THÈSE 



LE DOCTORAT 



La Faculté n'entend donner aucune approbation ni 
improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces 
opinions doivent être considérées comme propres à 
leurs auteurs. 



FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS 



LA 

Puissance Paternelle 

ET LA FAMILLE 

SOUS LA REVOLUTION 



THÈSE POUR LE DOCTORAT 

Soutenue le samedi 18 mars 1911, à 1 heure 1/2 



PAR 



Emile MASSON 



Président : M. CHÉNON, professeur. 

M. LEFEBVRE, professeur. 



Suffragants . 

M. MEiNIAL, professeur. 



PARIS 
A. PEDONE, Editeur 

LIBRAIRE DE JLA COUR DAPPEL ET DE L'ORDRE DES AVOCATS 

13, rue SouMot, 13 

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PRÉFACE 



La Révolution de 1789 fut un événement unique 
dans notre histoire, et son influence au point de vue 
juridique a été considérable. Si l'on peut juger de 
manières diverses le caractère de la réaction qu'elle 
a opérée, il est impossible d'en contester les effets. 
Après le bouleversement social quelle a déterminé, 
marqué malheureusement d'incidents déplorables, 
la société s'est trouvée assise, grâce à elle, sur 
des bases et des principes que notre ancien droit 
avait ignorés. 

D'ailleurs, l'œuvre de la Révolution fut peut-être 
moins juridique que sociale. Ce qu'elle transforma 
surtout, ce sont celles de nos institutions qui tou- 
chaient à l'état des personnes. Dans une société dont 
le principe fondamental était celui de l'absolue éga- 
lité, les règles établies pour régir la puissance pater- 
nelle ou la dévolution des successions, ne pouvaient 
plus convenir. Aux lois anciennes, fondées sur l'idée 
que toute puissance est de droit divin, il fallait subs- 
tituer des règles nouvelles, inspirées par la pensée 

Maison. 1 



— 2 — 

que toute autorité doit trouver sa limite dans le res- 
pect de la liberté d'autrui. Il était utile aussi, d'abro- 
ger ces coutumes séculaires qui sanctionnaient, d'une 
manière incompréhensible, les privilèges de primo- 
géniture et de masculinité, usages conservés moins 
parce qu'ils étaient justes, que parce qu'une longue 
pratique les avait implantés profondément dans les 
mœurs et les avait élevés au rang de principes. 

L'œuvre de la Révolution fut une œuvre de nivel- 
lement. Animée par un désir inassouvi d'universelle 
égalité, elle poursuivit, avec une ardeur infatigable, 
toutes les anciennes distinctions sociales qu'elle 
croyait incompatibles avec les principes qu'elle avait 
posés. 

La famille fut englobée dans cette proscription. 
L'anéantissement de la puissance paternelle, que les 
anciens abus avaient rendue suspecte, devint un des 
buts poursuivis par le législateur révolutionnaire. 
Celui-ci fut inspiré dans son œuvre de destruction 
par la haine du passé, et ne sut pas voir qu'il y avait 
dans la famille, une hiérarchie nécessaire à son main- 
tien, condition première de l'ordre qui doit y régner. 

L'étude de la puissance paternelle pendant cette 
période, nous a semblé intéressante à tenter. Très 
circonscrite au premier abord, la matière nous est 
apparue beaucoup plus ample à l'examen. Ce n'est 
pas, en effet, une de ces questions dont les législa- 



— 3 — 

leurs de la Révolution se sont occupés une fois par 
hasard ; l'étude des documents de 1 époque montre 
qu'elle a fait leur souci constant. 

Ce n'est pas seulement dans l'institution du tribu- 
nal de famille et dans l'abaissement de l'âge de la 
majorité qu'il faut chercher les restrictions apportées 
par la révolution à l'autorité du père de famille, mais 
encore dans l'évolution de la quotité disponible, la 
suppression de la liberté de tester, l'extension donnée 
à l'émancipation, les lois sur l'instruction publique, 
matières qui, tout d'abord, y paraissent étrangères. 

Cette étude n'allait pas sans un rapide exposé de 
l'état du droit antérieur. La difficulté était à la fois 
d'être bref et complet dans ce résumé d'une législa- 
tion qui embrasse plusieurs siècles. Qu'on nous par- 
donne si nous n'y sommes point parvenu. 

Enfin nous n'avons pas cru devoir passer sous si- 
lence les dispositions relatives à l'adoption et aux 
enfants naturels, qui sont si intimement liés à notre 
sujet. 

Quant à la méthode que nous avons suivie, nous 
nous sommes attaché à celle qui nous a paru la seule 
logique dans un travail historique, l'examen direct 
des textes et des documents. En effet, si nous avons 
consulté, souvent avec profit, les quelques ouvrages 
qui ont paru sur notre question (tous sont très brefs 
sur notre matière, quelques-uns ne contenant que 



quelques lignes), nous pouvons dire en toute sincérité 
que nous n'en avons suivi servilement aucun. 

Nous avons naturellement respecté l'ordre chrono- 
logique, en prenant les institutions que nous avons 
examinées au lendemain du grand bouleversement de 
1789 et en les conduisant jusqu'à la rédaction du 
Code civil. 



BIBLIOGRAPHIE 



§ 1. — Sources. 

Duvergier. — Collection complète des lois, décrets, 
ordonnances, règlements et avis du Conseil d'Etat a 
partir de 1188 jusqu'à 1824. Paris, 1828, 24 volumes in-8°, 
la première loi qui y figure est du 5 juillet 1788. 

Cette collection ne rapporte pas toutes les lois ; les dé- 
crets peu importants ne sont que mentionnés ; il est ren- 
voyé pour ceux-ci soit à la collection Baudouin, soit à 
celle du Louvre. 

Plusieurs volumes de table ; deux volumes pour la pé- 
riode qui s'étend de 1788 à 1814. 

La collection Duvergier a été continuée après 1824, à 
raison d'un volume par année. 

Gazette Nationale ou Moniteur Universel, journal quo- 
tidien, Paris, 30 vol. in-folio ; va du 5 mai 1789 à l'an XII. 

Moniteur Universel (Reimpression), Paris, 1863, 29 vo- 
lumes in 4°, plus un volume d'introduction et deux volu- 
mes de table ; ne va que du 5 mai 1789 au 15 brumaire 
an VIII. Reproduit exactement le texte de l'ancien Moni- 
teur jusqu'en floréal an IV ; n'est plus qu'un résumé à 
partir de cette époque. 

Impressions par ordre, discours, rapports et projets 
prononcés ou déposés aux diverses assemblées ; la plupart 
ayant été publiées sans date, leur classement par ordre 
chronologique ne peut être rigoureux. 



- 6 — 

Leur énumération figure au Catalogue de Vhistoire de 
France, publié par ordre de l'Empereur, Bibliothèque 
Nationale, Département des imprimés, Paris 1859, 10 vo 
lûmes grand in-4°, t. 4. 

Sirey. — Code intermédiaire, Paris, 1810, 4 volumes 
in 8° avec une table ; ne contient que les lois importantes. 

Logré. — La législation civile, commerciale et crimi- 
nelle de la France, Paris, 1827, 31 vol. in-8°. 

Fenet. — Recueil complet des travaux préparatoires 
du Code Civil, Paris 1827-1829, 15 volumes in-8° ; les 
deux premiers volumes contiennent les divers projets de 
code qui ont été présentés de 1793 à l'an VIII ; celui de 
Durand-Maillane n'y figure pas ; on trouvera celui-ci 
dans les Impressions par ordre Bibliothèque Nationale, 
Le 38 318-368. 

Bûchez et Roux. — Histoire parlementaire de la Révo- 
lution Française, Paris, 1834-1838, 40 vol. in-8° (très- 
incomplet). 

Archives parlementaires (Mavidal et Laurent), Paris, 
ouvrage commencé mais inachevé ; reproduit les discus- 
sions des assemblées. 

Cette collection embrassera la période qui s'étend de 
1789 à 1860. Elle est divisée en deux séries, la première 
ira de 1789 à 1800, la seconde de 1800 à 1860; ni l'une ni 
l'autre ne sont terminées. La première série est seule in- 
téressante pour notre question Le dernier volume paru 
est le tome 70 qui s'arrête au 9 août 1793. 

Les six premiers volumes sont consacrés à la publica- 
tion des cahiers des Etats Généraux. 

Le septième sert de table (elle n'est pas très complète 
et n'est pas suffisamment détaillée). 

Assemblée Constituante, t. 8 à 31 ; table dans les to- 
mes 32 et 33. 



— 7 — 

Assemblée Législative, t. 34 à 50, tome 51 sert de table. 

Convention, t. 52 à 70 (9 août 1793). Le tome 71 en deux 
volumes sert de table pour la période de la Convention 
déjà faite. 

Guillaume. — Procès-verbaux du comité d' Instruction 
publique de V Assemblée Législative, Paris, 1889, in -4°. 

Guillaume. — Procès-verbaux du comité d'instruction 
publique de la. Convention Nationale, Paris 1891-1907, 
6 vol. in-4°. 

Publié dans la Collection des documents de l'Histoire 
de France. 

Tourneux. — Bibliographie de l'histoire de Paris pen- 
dant la Révolution, Paris, 1890-1906, 4 vol. in-4°. 

Tuetey — Répertoire général des sources manuscrites 
de V histoire de Paris pendant la Révolution Française, 
Paris, 1890-1908, 8 volumes in-4°. 

Douarche. — Les tribunaux civils de Paris pendant la 
Révolution (1791-1800), Paris, 1905-1907, 2 vol. in-4°; do- 
cuments recueillis avant l'incendie du Palais de Justice 
en 1871. 

Ouvrages généraux sur la Révolution. 

Laferrière. — Histoire des principes , des institutions 
et des lois de la Révolution Française depuis 1189 jus- 
qu'à 1800, Paris, 1850 ; in-12 (ouvrage très court dont on 
ne peut tirer que peu de profit). 

Laferrière. — Essai sur l'histoire du droit public 
français depuis les temps anciens jusqu'à nos jours y 
compris le droit public et privé de la Révolution Fran- 
çaise. 

Nouvelle édition publiée par Edouard Laferrière, Paris, 
1885, 2 volumes in-8°. La première édition est de 1836. 



(Critique de cet ouvrage dans Klimrath, ouvrage cité 
plus loin, t. I, p. 118). 

Chassin. — Le génie de la Révolution, Paris, 1863, 
2 volumes in 8°. 

I. Les élections de 1789; — II. Les Cahiers de 1789. 

La Révolution Française, revue historique dirigée par 
M. Aulard ; le premier numéro est paru le 14 juillet 1881. 

Sagnac. — La législation civile de la Révolution Fran- 
çaise, Paris, 1898, in-8° (Ouvrage sérieux pourvu d'une 
bonne bibliographie). 

§ 2. — Ouvrages sur le droit antérieur. 

Nous ne pouvons citer tous les auteurs anciens, nous 
renvoyons pour ceux-ci à la bibliographie de l'ouvrage 
de Camus et Dupin, Bibliothèque choisie des livres de 
droit, Paris, 1830-1832, 2 vol. in-8°. 

Bourdot de Richebourg. — Coutumier général, Paris, 
1724, 4 volumes en 8 tomes in-folio. 

Isambert, Jourdan et Decrusy. — Recueil général des 
anciennes lois françaises depuis Van k20 jusqu'à la Ré- 
volution de 1189, Paris, 1827, 28 vol. in-8° et un volume 
de table. 

Guyot. — Répertoire universel et raisonné de juris- 
prudence, Paris, 1784-1787, 17 volumes in-4°. 

Klimrath. — Travaux sur V histoire du droit français, 
Strasbourg, 1843, 2 vol. in-8°. 

Viollet. — Droit privé et sources, Histoire du droit 
civil français, 2 e édition, Paris, 1893, in-8°. 

Lefebvre. - Cours de doctorat sur V histoire du droit 
matrimonial français.— I. Introduction générale, Paris, 
1906, in-8°. 



— 9 — 

II. Le droit des gens mariés, Paris, 1908,in-8°. 

Brissaud. — Manuel d'histoire du droit français (sour- 
ces, droit public, droit privé), Paris, 1898-1904, 2 vol. en 
5 fascicules in 8°. 

Ohassin. — Les élections et les cahiers de Paris en 1189, 
Paris, 1888-1889, 4 vol. in 8°. 

Champion. — La France d'après les cahiers de 1189, 
Paris, 1897, in-12. 

Duplessis de Grénédan. — Histoire de l autorité pater- 
nelle et de la société familiale en France avant 1189, Pa- 
ris, 1900, in-8°. 

§ 3. — Ouvrages généraux sur la puissance paternelle. 

Ohrestien de Poly. — Essai sur la puissance pater- 
nelle, Paris, 1820, 2 vol. in-8°. 

Desquiron. — La puissance ^paternelle en France mise 
en rapport avec les intérêts de la société, Paris, 1821, 
in-12». 

Bernard. — Histoire de V autorité paternelle en France, 
Montdidier, 1863, in 8°. 

Delepierre. — Histoire de la puissance paternelle étu- 
diée principalement dans ses effets sur la personne des 
enfants, Abbeville, 1887, in 8°. 

Nourrisson. — Etude critique sur la puissance pater- 
nelle et ses limites, Paris, 1898, in-8°. 

Taudière. — Traité de la puissance paternelle, Paris, 
1898, in-8°. 

Ces ouvrages sont en général très brefs sur la période 
qui nous occupe. 



— 10 — 

§ 4. — Ouvrages spéciaux. 
Sur le tribunal de famille. 

Guichard.— Traité du tribunal de famille, Paris, 1791 
(ouvrage qui célèbre l'institution). — Voir l'éloge qu'en fait 
le Monileur du 1 er août 1791. 

Darnis. — Des tribunaux de famille dans le droit in- 
termédiaire (thèse), Paris, 1903, in 8°. 

Sur l'instruction publique. 

Gréard. — La législation de V enseignement primaire 
en France depuis 1789 jusqu'à nos jours, Paris, 1874, 3 
vol. in-8° (l'examen de l'œuvre révolutionnaire n'y tient 
que peu de place). 

Duruy. — L'instruction publique et la Révolution, Pa- 
ris, 1882, in-8°. 

Hippeau — L'instruction publique en France pendant 
la Révolution, Paris, 1883, in-12° (très admirateur de 
l'œuvre révolutionnaire, peu complet, quelques dates 
inexactes). 

Hippeau. — La Révolution française et l'éducation na- 
tionale, Paris, 1883, in-8°. 

Orieux. — Essai sur l'instruction publique en France 
sous la première Révolution, discours prononcé à la So- 
ciété amicale des anciens élèves de l'école de Nantes, 
Nantes, 1888, in-8°. 

Brouard. — Essai d'histoire critique de l'instruction 
primaire depuis 1789 jusqu'à nos jours, Paris, 1901, in- 
8° (très-court sur la Révolution). 

Sur l'exhérèdation. 
Glasson. — L'autorité paternelle et le droit de succès- 



— 11 — 

sion des enfants, dans la Réforme sociale, t. VIII, an- 
née 1889, numéro du 16 août. 

Comte de Butenval. — Les lois de successions ap- 
préciées dans leurs effets économiques , Paris, 1884, in-12. 

Lambert. — De l ' exhèrèdation et des legs au profit 
d'héritiers présomptifs, Paris, 1895, in-8° (ouvrage très 
complet, mais qui, embrassant tout le droit romain et 
le droit français, passe assez rapidement sur le droit 
de la Révolution.) 

Albert. — La liberté de tester, Paris, 1895, in-8° 
(contient quelques pages sur le droit révolutionnaire ; 
est surtout une étude de droit comparé). 

Aron. — Etude sur les lois successorales de la Révo- 
lution, Paris, 1901, in-8° (ne va quejusqu'à la loi du 17 
nivôse.) 

Tamon. — L' exhèrèdation à titre de peine dans Vhistoire 
du droit français (thèse), Paris, 1907, in-8°. 

Sur la majorité. 

Desquiron. — Traité de la minorité, de la tutelle et de 
l'émancipation, Paris, 1810, in-8°. 

Flach. — Etude historique sur la durée et les effets de 
laminorité, Paris, 1870, in-8°. 

Amiable. — Essai historique et critique sur Vâge de la 
majorité, Paris, 1861, in-8° (extrait de la Nouvelle Revue 
historique du droit français et étranger, 1861). 

Sur V émancipation. 

Vermeil. — Traité de la tutelle et de la curatelle, Paris, 
an VII, in-16). 



— 12 — 

Sur V adoption. 

Garrez. — Traité de V adoption avec le recueil complet 
des lois et des arrêtslqui ont organisé cette institution 
Paris, 1802, in 12 (l'ouvrage ne porte pas de nom d'au- 
teur). 

F.-J.-R*** (Riffé, substitut du procureur impérial de 
Versailles). — Traitéde Vadoption, Paris, 1813, in-8° (ne 
contient que quelques pages sur le droit de la Révolution). 

Lefebvre du Prey — De Vadoption, Paris, 1882, in-8° 
(court résumé sur l'époque révolutionnaire.) 

Sur les enfants naturels. 

Bacquet. — Traité sur la bâtardise, dans Œuvres 
(tome II), de M" Jean Bacquet... augmentées de plu- 
sieurs questions, décisions et arrêts par M. Claude 
de Ferrière, Lyon, 1744, 2 vol. in-folio. 

D'Aguesseau. — Discours sur les bâtards, dans Œu- 
vres (tome VII), Paris, 1759-1789, 13 vol. in-4°. 

Koenigswarter. — Essai sur la législation des peu- 
ples anciens et modernes relative aux enfants nés hors 
mariage, Paris, 1842, in-8°. 

Loiseau. — Traité des enfants naturels, adultérins et 
incestueux, Paris, 1811, in-8°. 

André. — Œuvre du droit révolutionnaire en matière 
de filiation naturelle (thèse), Nancy, 1906, in 8°. 



INTRODUCTION 

La puissance paternelle à Rome 
et dans l'ancien droit. 



La puissance paternelle à Rome ne s'est pas exer- 
cée pendant les quinze siècles de son histoire avec 
cette même rigidité qui faisait dire à Gaius, que nulle 
part peut-être ailleurs que chez les Galates on ne 
trouvait une autorité aussi fortement organisée (1). 

A l'origine le paterlamilias eut sur ses enfants un 
droit réel de propriété sanctionné par l'action en re- 
vendication (2). L'enfant est une chose de son patri- 
moine dont il a le droit absolu de disposer : droit de 
vie et de mort qu'il eut tout d'abord sans limite et 
sans contrôle, et qui fut peu à peu tempéré par l'ins- 
titution du concilium ; droit de vendre ses enfants 



(1) Gaius, I, 55 et 189. Cette appréciation n'est pas absolument 
exacte. Voir Girard, Manuel de droit romain, p. 133, note 2. La 
juridiction primitive irlandaise rappelle beaucoup ce système. 
Voir d'Arbois de Jubainville, Nouvelle Revue historique, 1886, p. 
466 et suivantes. 

(2) £>., De rei vindicatione, § 2. 



— 14 — 

comme esclaves trans Tiberim (1). Pour le mariage, 
le consentement du père était seul nécessaire au dé- 
but, et les fils et filles étaient obligés de se soumettre 
à la volonté paternelle qui les mariait à son gré. 
Quant aux biens, le fils n'a pas de patrimoine et le 
produit de son activité et de son travail profite à son 
palerjamilias (2). 

Mais cette rigueur s'adoucit vers la fin de la répu- 
blique. Un changement s'opéra dans le droit civil et 
dans le droit public sous l'influence de la philoso- 
phie stoïcienne (3). Tout en restant sévère, le droit 
s'humanisa. Le droit de vie et de mort est supprimé. 
Le Digeste nous rapporte le fait d'un père qui fut 
condamné à la déportation par l'Empereur Hadrien 
pour avoir tué son fils qui l'avait offensé (4). Nous ne 
savons pas l'époque à laquelle cette loi barbare fut 
abrogée, mais sous les Sévères, Ulpien constate que, 
dans les cas où le fils a mérité la mort, son père ne 
doit pas le tuer, mais le déférer au magistrat qui sta- 
tuera (5). 

L'avènement du christianisme eut également une 



(1) Si on les aliénait à Rome ou dans le sein de la ligue latine, 
ils ne tombaient pas en esclavage, mais seulement in mancipio. 

(2) Gaius, 2, 86, 87. 

(3) De Fresquet, De la puissance paternelle à Rome sur la per- 
sonne des fils de famille et de la femme in manu, Aix, 1861, p. 4 
et 5. 

(4) D., 48, 9, De lege Pomponia, 5. 

(5) D., 48, 8, Ad leg. Corn, de sic, 2. 



— 15 — 

influence profonde. La puissance paternelle n'est plus 
uniquement instituée en faveur du père de famille. 
Sa conception se modifie ; elle a maintenant égale- 
ment pour objet la protection de l'enfant. Cette trans- 
formation se remarque dans l'esprit qui inspire l'é- 
mancipation. Les droits du père vont être limités par 
la reconnaissance de ceux du fils (1). Celui-ci acquiert 
peu à peu une sorte de droit sur la succession pater- 
nelle, qui obligera son père à l'exhéréder formelle- 
ment lorsqu'il voudra l'exclure. Enfin l'ancienne in- 
capacité d'acquérir et d'avoir un patrimoine distinct 
s'atténue. La création des pécules castrens et quasi- 
castrens vient permettre au fils d'avoir des biens per- 
sonnels indépendants de ceux de son père. Enfin, une 
autre catégorie de biens est soustraite par Constan- 
tin à la propriété du père, les bona materna (2). Ces 
biens, recueillis par l'enfant dans la succession de sa 
mère, appartiendront dorénavant à celui-ci et ne 
seront laissés au père que pour l'administration et 
la jouissance. On assimila aux bona materna, les 
biens que l'enfant recevait d'autres personnes, et, 
étendant encore l'assimilation, Justinien fit rentrer 
dans la catégorie des bona adventicia, tous les biens 
acquis par le fils de quelque manière que ce soit. 
Maintenant tous les biens se trouvant entre les mains 



(1) Girard, Manuel de droit romain, 3 e édition, p. 136. 

(2) C, 6, 60, De bonis maternis, 1. 



— 16 — 

du fils seront présumés lui appartenir à moins que 
le père ne prouve qu'ils font partie d'un pécule dont il 
lui avait confié l'administration. 

C'est ce droit modifié et adouci qui s'appliqua en 
Gaule après la conquête. xMais lors de l'invasion des 
barbares, ceux-ci apportèrent un ensemble de coutu- 
mes différentes. Néanmoins les Gaulois continuèrent 
à vivre sous la législation antérieure, tandis que les 
vainqueurs conservaient leurs lois. Une lente infiltra- 
tion se fit cependant et les barbares subirent involon- 
tairement l'influence du droit romain, mais ceux-ci 
n'accueillirent des lois romaines que celles qui ne 
froissaient pas leurs coutumes. 

Nous pouvons cependant penser que la différence 
entre les deux législations, au point de vue de la puis- 
sance paternelle n'était pas aussi considérable qu'on 
fa pu croire (1). Surtout à l'origine, le droit germani- 
que paraît avoir été en cette matière, d'une certaine 
sévérité (2). La différence reposait surtout sur la 
constitution de la famille, basée sur la parenté par le 
sang et sur la durée limitée de la puissance pater- 
nelle : le mundium en effet n'était pas perpétuel sur 
les fils et prenait fin lorsque le jeune homme était 
capable, de l'avis des proches, de prendre les armes. 

Les deux législations eurent chacune leur domaine 



(1) Taudière, Traité de la puissance paternelle, p, 55. 

(2) Tacite, Annales, IV, 72. 



— 17 — 

propre. Le droit romain se localisa dans le midi de 
la France, tandis que le nord garda plus profondé- 
ment l'empreinte des coutumes barbares. Malgré les 
transformations qu'eurent à subir ces deux droits au 
cours des siècles, la différence entre eux resta tou- 
jours visible (1). 

Dans les pays de droit écrit où la législation ro- 
maine du bas-empire s'est maintenue, le père est in- 
vesti de la puissance paternelle ; seule la mort natu- 
relle ou civile de celui-ci pouvait la faire cesser. Il 
faut ajouter l'émancipation qui, dans certains cas, 
était présumée. De son autorité première le père a 
conservé le droit de correction sur son fils, notam- 



(1) Les pays de droit écrit étaient le Languedoc, la Guyenne, 
le Béarn, la Navarre, les provinces basques, le Roussillon, la 
Provence, le Dauphiné, le Lyonnais, le Maçonnais, la partie mé- 
ridionale de la Saintonge, de la Basse-Marche et de l'Auvergne 
(la majeure partie de l'Auvergne était de droit coutumier ; la par- 
tie méridionale était de droit écrit avec quelques îlots disséminés 
en pays coutumier, Brioude, la Chaise-Dieu, Issoire, Clermont, 
Billom). 

Les pays de coutumes comprenaient : la Flandre, le Hainaut, 
l'Artois, la Picardie, l'Ile de France, le Vermandois, la Champa- 
gne, l'Orléanais, le Berry, l'Anjou, le Maine, la Normandie, la 
Bretagne, le Poitou, la Touraine, l'Angoumois, la partie septen- 
trionale de la Saintonge et de la Basse-Marche, la Haute-Marche, 
l'Auvergne, le Bourbonnais, le Nivernais, la Bourgogne et la Lor- 
raine. 

Voir l'ouvrage de Klimrath, Travaux sur l'histoire du droit 
français, 2 volumes, 1843. Une carte est jointe à l'ouvrage. 

Maason. 2 



— 18 - 

ment le droit de le faire incarcérer. Basset (1) cite 
le cas d'un père qui condamna son fils à vingt ans de 
galère ; le procureur général de Grenoble fit appel 
de la sentence a minima et le fils fut condamné aux 
galères perpétuelles. L'on voit qu'au contact d'une ci- 
vilisation plus affinée, le droit n'était pas parvenu à 
perdre sa rudesse primitive. 

Au point de vue des biens, le fils est incapable de 
les aliéner à titre gratuit ou onéreux sans l'autorisa- 
tion paternelle. 

D'après Loisel, « en pays de coutumes, droit de 
puissance paternelle n'a lieu » : telle est la règle gé- 
nérale. Après s'être trompé originairement sur la 
portée de cette formule, on lui a restitué son sen 
exact. Il ne faut pas entendre par là qu'en pays cou- 
tumier le père est dépourvu de toute autorité sur ses 
enfants, mais seulement que la patria potestas, telle 
que la pratiquaient les pays de droit écrit, avec son 
caractère de perpétuité, n'avait pas passé dans les 
pays d-e coutumes. Loisel n'a pas voulu dire davan- 
tage : le père reste le maître au foyer domestique et 
son autorité est incontestée. Il avait le droit de correc- 
tion sous le contrôle royal il est vrai, mais ce con- 
trôle était peu efficace et dégénérait en simple for- 
malité. D'ailleurs il n'était pas dans les mœurs de se 



(1) Basset, Notables arresls de la cour du parlement, aydes et 
finances de Dauphiné, livre IV, titre X, chap. VI. 



— 19 — 

défier du père et, malgré un arrêt du Parlement de 
Paris de 1673 qui défendait d'interner les majeurs 
de vingt-cinq ans sur la simple réquisition du père, 
celui-ci continua en fait à exercer un pouvoir absolu. 
I! avait d'ailleurs un moyen efficace de punir son 
fils par lexhérédation, car les pays coutumiers 
avaient adopté sur ce point la Novelle CXV (1). 

Quant aux biens, à l'origine le fils acquiert pour 
son père : si les enfants demeurant avec leurs pa- 
rents « font aucun acquêt, ils sont acquis au père et 
à la mère » (2). Cet usage tomba vers la fin du XV e 
siècle, mais non d'une manière universelle ; certai- 
nes coutumes restèrent fidèles à l'ancien droit (3), 
mais dans les autres, le père fut dorénavant obligé de 
garder tout ce que son fils acquérait, pour le lui re- 
mettre à sa majorité. 

La condition du fils de famille s'était certainement 
amélioré, mais la puissance paternelle qui pesait sur 
lui était cependant demeurée lourde. Les pères en 
usaient d'autant plus volontiers que cette puissance, 
consacrée par les siècles, avait été acceptée par les 
mœurs. Nous verrons à quel degré de rigueur incom- 



(1) Taudière, Traité de la puissance paternelle, p. 63. 

(2) Acte de notoriété du 12 juin 1293 contenu dans les sen- 
tences du parloir aux bourgeois, cité par Bernard, p. 114 et 115. 

(3) Coutumes de Vitry, Reims, Châlons, Montargis, Poitou, 
Berry, Bourbonnais, Bretagne. 



— 20 — 

préhensible elle était parvenue à la veille de la Révo- 
lution et combien une réglementation s'imposait. 

De quelques institutions particulières (1). 

Du RÉGIME SUCCESSORAL ET DE LA FACULTÉ DE TES- 
TER. — Plus que partout ailleurs peut-être, la diffé- 
rence entre la législation des pays de droit écrit et 
des pays de coutumes se faisait sentir profonde en 
matière de succession et de testament. Le fondement 
de ces deux droits devait être aussi différent que 
l'esprit des deux races qui les pratiquaient, car les 
coutumes et les lois successorales sont les plus pro- 
fondément ancrées dans le cœur de l'homme et celles 
où se reflète le mieux le génie d'un peuple. 

Glanville a parfaitement résumé l'esprit de droit 
coutumier primitif en cette matière dans l'adage 
(( Deus solus heredes lacère potest, non homo (2). 
L'homme, en effet, n'est pas propriétaire de son pa- 
trimoine, il n'en est que le détenteur et l'administra- 
teur. Il jouit cependant durant sa vie de la faculté d'a- 
liéner, ce qui montre combien ses pouvoirs d'admi- 
nistrateur sont vastes, mais après sa mort il est obli- 
gé de transmettre son patrimoine tel qu'il est. Il ne 



(1) Nous avons cru devoir jeter un rapide coup d'œil sur les 
institutions particulières que la Révolution a spécialement ré- 
formées. 

(2) Glanville, De legibus Anglise, VII, 1. 



— 21 — 

peut pas par un acte de dernière volonté se survivre 
à lui-même et disposer de son bien au moment où il 
n'est plus. Les Germains, qui nous ont transmis 
leurs coutumes, ne pratiquaient pas le testament (1). 
C'est là un vestige de la copropriété familiale. 

La conception est tout opposée dans les pays de 
droit écrit. L'homme y est propriétaire et y a le droit 
absolu de disposer. Mais lorsque, ne voulant pas se 
dépouiller actuellement, il désire faire une libéralité 
pour le temps où il ne sera plus, le testament lui 
offre un moyen de rendre ce désir obligatoire à 
l'égal d'une loi. Sa volonté est souveraine et la loi 
n'intervient pour déterminer un ordre de préférence 
entre les héritiers du défunt qu'en l'absence de vo- 
lonté exprimée. Elle se basera sur la volonté proba- 
ble du de cujus et l'on peut dire que les dispositions 
de la loi sont le testament présumé du défunt. La pré- 
séance de la succession testamentaire sur la succes- 
sion ab intestat, s'affirme surtout quand le testateur 
a institué un héritier pour partie seulement de ses 
biens, entendant laisser le surplus à ses successeurs 
naturels. Le droit romain n'avait pas voulu que la 
succession fut partie testamentaire, partie ab intes- 
tat, « nemo partim testatus, partim intestatus decedere 
potest », et l'hérédité était dévolue en totalité à l'héri- 
tier institué. 



(1) Tacite, Germania, XX. 



— 22 — 

Certaines coutumes admettaient cependant excep- 
tionnellement l'existence des successions à la fois tes- 
tamentaires et ab intestat (1). 

Mais les deux législations ne pouvaient coexister 
longtemps sans se pénétrer réciproquement. Au con- 
tact des provinces du Nord, le droit romain s'assou- 
plit et devint moins formaliste, surtout au point de 
tue de l'institution d'héritier considéré jusqu'alors 
comme une condition nécessaire à la validité des tes- 
taments, de même la maxime « nemo partira teslatus, 
partim intestatus decedere potest » cessa de s'appli- 
quer avec toute sa rigueur (2). 

De même le droit coutumier commença à faire des 
emprunts au droit romain. L'usage du testament s'in- 
troduisit peu à peu après quelques difficultés dans les 
pays de coutume, encouragé par l'Eglise qui trou- 
vait dans cette pratique le moyen de recueillir les 
dons et legs à elle faits par les fidèles. Le testament 
servit en effet à l'origine à faire des fondations 
pieuses. 

Peu à peu on s'accoutuma à voir dans le patri- 
moine deux parts distinctes, l'une dans laquelle ren- 
trent tous les biens que le titulaire actuel a recueillis 



(1) C'était l'exception : Coutumes de Bruxelles, art. 310 ; Cou- 
tumes de Berrij, titre XV1I1, art. 5 et 7. 

(2) Lambert, De l' ex hé rédation et des legs faits au profit d'hé- 
ritiers présomptifs, p. 9. 



— 23 — 

de ses ancêtres, ce sont les propres, l'autre compo- 
sée des biens qu'il a acquis lui-même, ce sont les ac- 
quêts (1). De ces derniers il peut disposer complète- 
ment comme lui appartenant, quant à l'autre, il est 
tenu de la transmettre pour la plus grande partie, 
les quatre quints, à ses héritiers, ne pouvant dispo- 
ser que du surplus. 

Cette réserve imposait une limite au testament ro- 
main et l'empêchait ainsi, par des empiétements suc- 
cessifs, de transformer notre régime successoral 
coutumier. Elle s'appliquait généralement aux pro- 
pres, bien que certaines coutumes la fissent porter à 
fois sur les propres et les acquêts et d'autres sur les 
meubles mêmes (2). Mais cette sauvegarde pouvait de- 
venir illusoire dans les provinces où la réserve se 
prélevait uniquement sur les propres, ce qui était la 
règle générale, lorsque la succession ne comprenait 
pas de propres, ou lorsque ceux-ci avaient été alié- 
nés en totalité du vivant du père ; par un testament, 
le père pouvait se dépouiller de ses acquêts et lais- 
ser à sa mort à ses descendants un titre vain d'héri- 
tier. La légitime fut instituée pour parer à cet incon- 
vénient. 

Inspirée du droit romain, elle portera sur tous 



(1) Domat, Loix civiles, nouvelle édition, Paris, 1777, livre pré- 
liminaire, titre III, section II. 

(2) Albert, La liberté de lester, p. 469. 



- 24 — 

les biens indistinctement, puisqu'elle est appelée à 
remplacer la réserve qui peut devenir inexistante si 
les propres font défaut, ou à la compléter s'ils sont 
insuffisants (1) : « C'est un secours naturel qui est 
réglé par la disposition de la Loy ; c'est un frein 
que la Loy donne à la libéralité de ceux qui doivent 
quelque chose à leurs héritiers (2) ». La légitime, 
d'ailleurs, n'était pas uniforme ; tantôt elle était dé- 
terminée par les coutumes d'une manière fixe (3), 
tantôt les coutumes s'en référaient au droit romain 
et à la Novelle XVIII dans laquelle la légitime était 
proportionnelle au nombre des enfants, certaines en- 
fin ne donnaient aucun chiffre. 

Seuls, les descendants avaient droit à la légitime 
dans les pays de coutume, mais le droit romain l'ac- 
cordait plus largement en l'étendant aux ascen- 
dants (4). 

Mais l'enfant, protégé par la légitime, pouvait en 
être privé à titre de peine aussi bien dans les pays de 



(1) Glasson, Nouvelle revue historique, 1892, p. 792 (sur V ori- 
gine de la légitime en pays de coutume). 

(2) Lebrun, Traité des successions, livre II, chap. III, section I. 

(3) La moitié de la part ab intestat dans la coutume de Paris, 
art. 298. 

(4) Il n'y avait pas de légitime pour les collatéraux, à l'excep- 
tion des frères et sœurs, à condition que ceux-ci fussent consan- 
guins et qu'ils aient été dépouillés au profit d'une turpis personna 
Code Théodosien, 2, 19, De inofficiosi testamenli ; Girard, Droit 
romain, p. 85^, 3 e éd.). 



— 25 — 

droit écrit que dans les pays de coutume (1). Dans 
ce cas, l'exhérédation, étant une peine, ne pouvait 
être pratiquée sans raison ; pour qu'elle fut vala- 
ble, il fallait que l'espèce rentra dans un des cas 
expressément déterminés par la loi. On s'en rappor- 
tait sur ce point à la Novelle CXV (2). 

Un nouveau cas d'exhérédation intervint dans l'é- 
dit de 1556 sur les mariages clandestins. Il est décidé 
que les enfants de famille ayant contracté ou qui con- 
tracteraient des mariages clandestins « contre le gré, 
vouloir et consentement et au desceu de leurs père 

et mère, puissent estre exhérédez et exclus de 

leurs successions, sans espérance de pouvoir querel- 
ler l'exhérédation qui ainsi aura esté faite » (3). 

Cette ordonnance fut confirmée par celle de 1639 
qui déclare ceux « qui auront contracté mariage con- 
tre la teneur des dites ordonnances, privés et déchus 
par le seul fait, ensemble les enfants qui en naîtront 
et leurs hoirs, indignes et incapables à jamais des 
successions de leur père, mère et ayeuls, et de tous 
autres directes et collatérales » (4). 



(i) L'exhérédation pour être valable était soumise à trois con- 
ditions : 1° juste cause ; 2° indication de la cause dans le testa- 
ment ; 3° preuve de l'existence de la cause par les héritiers ins- 
titués. 

(2) Furgole, Testaments, chap. VIII, sect. II, no» 40 à 78. 

^3) Isambert, Decrusy, Armet, Recueil général des anciennes 
lois françaises, t. XIII, p. 470. 

(4) Isambert, Taillandier et Decrusy, ibidem, p. 522. 



— 26 — 

L'exhérédation se faisait par une déclaration de- 
vant le juge ou par acte notarié. Elle pouvait d'ail- 
leurs être partielle et il était possible au père de lais- 
ser à son fils un legs d'usufruit tout en l'exhérédant 
pour le surplus. Cette possibilité avait été fort discu- 
tée, mais enfin reconnue par plusieurs arrêts (1). 

Dans les exhérédations à cause de mariage, les en- 
fants nés de l'union sont exclus également de la suc- 
sion de leurs grands parents. On ne voulait pas qu'un 
descendant put donner à son père des descendants 
malgré lui. Ceci n'avait pas lieu dans les cas d'exhé- 
rédation prévus par la Novelle CXV (2). Un certain 
nombre de coutumes avaient admis l'exclusion des 
filles dotées ; cette exclusion était édictée tantèt par 
la loi, tantôt prononcée par le père au moment où il 
dotait sa fille (3). 

Enfin l'on étendit l'exhérédation de la légitime à la 
réserve. 

Il reste une arme entre les mains des descendants 
pour se défendre, c'est l'action ab irato. Par elle, ils 
feront tomber les dispositions faites à leur préjudice, 
lorsque celles-ci auront été inspirées par une colère 
injustifiée. Il n'en était pas de même quand le res- 



(1) Furgole, Traité des testaments, chap. VIII, sect. II, n os 120 
à 133. 

(2^ Lambert, De l'exhérédation et des legs, p. 197. 
(3) Lebrun, Successions, liv. I, chap. IV, sect. V. 






- 27 — 

sentiment paternel était juste. Mais les fils de famille 
pratiquaient un subterfuge pour se réserver, dans 
tous les cas, l'action ab irato ; ils intentaient à leur 
père sous un prétexte quelconque, un procès qui leur 
permettait d'alléguer plus tard que le testament avait 
été fait sous l'empire de la haine. 

Le père conserve toujours le droit de grever la 
part héréditaire ou le legs qu'il laisse à son fils, de 
substitution au profit de ses petits enfants quand il 
pouvait craindre que le fils prodigue ne dilapida 
son patrimoine. 

De la majorité. — La majorité romaine n'a jamais 
eu pour but, comme la nôtre, de soustraire le mineur 
à la puissance paternelle : à Rome, ce pouvoir dure 
autant que la vie du père. L'arrivée à l'âge de la ma- 
jorité n'a donc de conséquence qu'au point de vue de 
la capacité civile du fils de famille. 

Sans tenir compte de la majorité primitive, l'on doit 
dire que la majorité était atteinte à vingt-cinq ans. 
Jusqu'à cet âge les mineurs sont frappés d'incapa- 
cité. Cette incapacité est absolue pour les infantes. 
Pour les autres, cette incapacité ne s'applique qu'aux 
actes qui ont pour effet de diminuer le patrimoine, 
obligation, aliénation, renonciation à un droit ; ils 
demeurent capables de consentir les actes qui font 
leur condition meilleure (1). 



(1) Cependant les mineurs restent capables de s'obliger par 
leurs délits. 



— 28 — 

Les majorités barbares étaient plus hâtives, et 
l'aptitude à porter les armes déterminait l'âge auquel 
on devait considérer le jeune homme comme ma- 
jeur (1). Cet âge était celui de douze ans dans la loi 
salique (2). La loi ripuaire retardait la majorité jus- 
qu'à quinze ans (3), décidant qu'avant cet âge, le mi- 
neur était incapable de contracter (4). Le même prin- 
cipe avait été adopté par la loi burgonde (5). 

Ces majorités précoces se modifièrent sous l'in- 
fluence du droîî romain et de la féodalité. L'âge de 
la majorité fut généralement retardé ; mais cependant 
certaines coutumes conservèrent l'ancien usage, en 
maintenant soit l'âge de quatorze ans (Artois, art. 
154, Reims, art. 113 et 332, Bourgogne, VI, 4) soit 
celui de quinze (Vftry, art. 65, Boulenois, art 77) ; on 
trouve surtout ces majorités dans la partie orientale 
des pays coutumiers où les traditions germaniques 
s'étaient conservées plus vivaces. Mais ces majorités 
conservaient un caractère exceptionnel (6). Dans 



(i) Montesquieu, Esprit des lois, liv. XVIII, ch. XXVI. 

(2) Lex emendala a Carolo Magno, t. XXVI, § {. 

(3) Titre LXXXI. 

(4) Titre LXXIV, § 3. 

(5) Titre LXXXVII, § 1. 

(6) La majorité était fixée à dix-huit ang dans la coutume de 
Clermont en Beauvaisis et celle de Metz, à vingt ans et un jour 
dans celle de Clermont en Argonne. 



— 29 — 

les coutumes occidentales, l'âge requis est vingt ou 
vingt et un ans (1). 

Lors de la rédaction officielle des coutumes, la 
majorité est portée presque partout à vingt-cinq 
ans (2). D'ailleurs les coutumes exceptionnelles qui 
conservent les majorités antérieures, disent formel- 
lement qu'avant l'âge de vingt-cinq ans, les enfants 
ne pourront contracter ni disposer sans « l'authorité 
de leur tuteur et curateur » (Coutume de Reims, art. 
15). La coutume de Metz dit qu' « ils ne peuvent ven- 
dre ny autrement aliéner qu'ils n'aient vingt-cinq 
ans complets, si ce n'est par permission de justice » 
(art. 5) (3). La majorité fixée à moins de vingt-cinq 
ans n'est donc pas à proprement parler une majorité, 
c' <c était en réalité une émancipation dont les effets 
étaient plus ou moins étendus selon les coutumes » (4). 

L'on peut donc dire que, dans le dernier état du 
droit, la majorité avec ses pleins effets, est universel- 
lement fixée en France à vingt-cinq ans. Une excep- 



(1) Vingt ans dans la coutume de Chartres (art. 42) et celle de 
Dreux (art. 3t) ; vingt et un dans celle de Paris (art. 32\ de Bre- 
tagne (art. 483), de Normandie (art. 198). 

(2) On trouve cependant des exceptions dans les coutumes de 
Reims (art. 6), de Châlons (art. 7), de Sedan (art. 7), de Metz 
(art. 4), qui reconnaissent comme majeurs les enfants « aagez de 
vingt ans ». Il est à remarquer que ce sont toujours les provinces 
orientales. 

(3) Voir aussi la coutume de Sedan, art. 140. 

(4) Amiable, Essai historique et critique sur l'âge de la majo- 
rité, p. 20. 



— 30 — 

tion subsiste cependant dans la coutume de Norman- 
die. Seule elle diffère, et un règlement de la Cour du 
Parlement intervenu en 1066 sur plusieurs articles 
de la coutume de Normandie ci-devant résolus, décré- 
tait dans son article 38 que, « toute personne née en 
Normandie, soit masle, soit femelle, est censée ma- 
jeure à vingt ans accomplis et peut, après le dit âge, 
vendre et hypothéquer ses biens meubles et immeu- 
bles, sans espérance de restitution, sinon pour les 
causes pour lesquelles les majeurs peuvent estre res- 
tituez » (1). 

Pothier avait donc raison lorsqu'il disait : « On 
appelle mineurs, ceux qui n'ont point encore accompli 
leur vingt-cinquième année, sauf en Normandie, où 
la majorité est parfaite à l'âge de vingt ans accom- 
plis » (2). 

L'Emancipation. — En droit romain, l'émancipa- 
tion ne produisit jamais qu'un seul effet : transformer 
le fils de famille en paler$amilias (3). D'ailleurs, lors- 
que le fils émancipé était impubère, l'émancipation 
n'avait pas pour but de le libérer complètement, car 
alors il retombait en tutelle. 



(1) Bourdot de Richebourg, Nouveau coutumier générai, 1724, 
t. IV, p. 18b. Article 38 du règlement. 

(2) Pothier, Traité de la procédure civile, n° 729. Voir Flach, 
Etude historique sur la minorité, p. 76. 

(3) Castex, Des modes de dissolution de la puissance paternelle 
en droit romain et spécialement de l'émancipation, p 27. 



— 31 — 

A l'origine, l'émancipation fut une déchéance. Elle 
Fêtait pour le père qui avait vendu son fils trois 
fois (1), et elle conserva toujours ce caractère : l'em- 
pereur Trajan força un père qui avait maltraité son 
fils à l'émanciper (2). Elle pouvait être aussi un châ- 
timent pour le fils qui se trouvait par ce fait exclu de 
la famille et, par voie de conséquence, privé des 
avantages qui en résultaient. 

C'est probablement au début de l'empire que la 
conception changea pour devenir, dans le dernier état 
du droit, une faveur libérant l'enfant de la dépen- 
dance de son paterfamilias. Les droits à la succession 
paternelle dont il était déchu à l'origine ne furent plus 
perdus pour lui sans retour, car toujours uni à son 
ancienne famille par les liens de la cognatio, il put 
être appelé au partage de la succession à titre de co- 
gnât, quand les droits de ceux-ci furent reconnus 
et qu'une bonorum possessio leur fut accordée. Ce 



(1) «. Si pater filium ter venumdecit, filius a pâtre liber esto ». 
Loi des douze tables. 

(2) Dig., 37, 12. Si a par. quis man. 5 : la fille que son père 
prostitue peut demander son émancipation, f. 5, XXXVII, 12; 
f. 6, code XI, 40. Voir De Lapparent, De minoribus XXV annis, 
en droit romain, p. 101. 

En dehors des cas que nous venons de citer, il en est un encore 
dans lequel l'enfant pouvait requérir son émancipation, c'est l'a- 
drogé impubère qui, une fois parvenu à la puberté, pouvait deman- 
der l'émancipation quand il prouvait que celle ci lui avait été 
désavantageuse. 



— 32 — 

caractère de faveur s'accuse dans une constitution de 
Valentinien, Valens et Gratien qui permit au père 
maltraité par un enfant émancipé de demander au 
magistrat l'annulation de l'émancipation. 

A l'époque féodale, l'émancipation n'avait pas la 
même étendue, selon qu'elle s'appliquait aux nobles 
ou aux gens de roture. A l'égard de ces derniers, 
l'émancipation était complète et leur conférait la 
pleine capacité. Les nobles émancipés ne se trou- 
vaient pas libérés de la puissance paternelle, et le 
but de l'émancipation était de les rendre capables 
d'acquérir. Le roi Philippe de Valois, voulant don- 
ner -à son fils le duché de Normandie et les comtés 
d'Anjou et du Maine, dut l'émanciper. 

Au point de vue de la division territoriale, l'éman- 
cipation ne produisit pas les mêmes effets dans les 
pays de droit écrit et dans les pays de coutumes. Dans 
les premiers, l'enfant émancipé est affranchi de la 
puissance paternelle et capable d'avoir un patri- 
moine séparé (1). L'émancipation demeurait toujours 
facultative, sauf dans le cas où le père maltraitait 
son enfant, auquel cas on pouvait le forcer à l'éman- 
ciper. L'émancipation pouvait avoir lieu à tout âge. 

Dans les pays de coutumes, l'émancipation avait 
des effets plus restreints ; elle accordait seulement 



(I) Guyot, Rép. au mot émancipation. 



— 33 — 

au mineur le droit de jouir de ses meubles et du re- 
venu de ses immeubles. 

L'émancipation pouvait être expresse ou tacite. 
L'émancipation expresse devait résulter d'un acte 
solennel reçu en général par les officiers de baillages. 
Le président Bouhier rapporte que, pour les émanci- 
pations des enfants nobles, on se présentait devant 
le lieutenant de D'alliage et qu'on frappait l'enfant 
sur la tête et la joue après avoir dit qu'il est mis hors 
de la puissance paternelle et jouit de ses droits (1) (2). 



(1) Bouhier, Coût, de Bourg., I, p. 491. 

(2) Tout récemment M. Tranchant communiquait une intéres- 
sante découverte en faisant paraître dans le Bulletin des sciences 
économiques et sociales du comité des travaux historiques et scien- 
tifiques la copie d'un acte d'émancipation dans une famille de gen- 
tilhommes franc-comtois au XVIII e siècle. Nous reproduisons 
cette pièce textuellement : 

« L'an mil sept cent quatre-vingt-sept aven midy, du douze 
» septembre, au village de Glainans et en la résidence de Mon- 
» sieur George de Moutier. seigneur de Glainans et de Bermont, 
» où nous nous sommes transportés à raison de son incommodité, 
» par devant nous, Claude-Honoré Poussot, notaire royal et juge 
» châtelain de la justice des dits lieux de Glainans et de Bermont, 
» ayant avec nous Jean-Nicolas Bulliard, greffier ordinaire en 
» icelle, sont comparus Messieurs François Melchior et Claude 
» Charles-Félix de Moutier, gardes du corps du roi et capitaine de 
» cavalerie, majeurs de vingt-cinq ans, lesquels étant à genoux, les 
» mains jointes, en présence de mondit sieur de Moutier, leur 
» père, l'ont prié de les émanciper et mettre hors de sa puissance 
» pour pouvoir régir et administrer leurs biens; à quoy mondit 
» sieur de Moutier, ayant bien voulu déférer et ayant donnée la 
» main à ses dits fils, pour les relever, nous a dit et déclairé qu'il 
» les émancipait et mettait or de sa puissance pour qu'il puis 
>» régir et administrer leurs biens et faire telle traittes et con- 



— 34 — 

L'émancipation pouvait être également obtenue par 
lettres royaux. C'était des lettres de bénéfice d'âge 
demandées dans les pays de coutumes à la grande 
chancellerie. 

Dans les pays de droit écrit, l'émancipation par 
jugement était la plus usitée. Quant aux lettres 
royaux les pays de droit écrit avaient été dispensés de 
cette formalité par arrêt du conseil de 1684. On 
avait remplacé cette formalité par une autre beaucoup 
plus simple : on réunissait un conseil de parents et 
de proches auquel l'enfant demandait son émancipa- 
tion ; sur leur avis favorable, celui-ci était éman- 
cipé et l'on faisait homologuer la décision par le 
juge du domicile. 

Nous n'avons parlé que de l'émancipation ex- 



» vantions qu'ils jugeraient convenir, à charge par eux, de luy 
» porter tous les respects et l'estime dus à un père : pour nous, 
» le dit juge châtelain déclairon les dits de Moutiers fils éman- 
» cipé et hors de la puissance de mon dit sieur leur père, quant 
» conséquance ils se pourront gérer, administrer leurs biens 
» comme père et vray maître de famille, à charge, par eux, de 
» porter tous respects et soumission à mondit sirur leur père. 
» Faite audit Glainans, les an, jour et mois, lieu et heures que 
» dessus et ont mesdits de Moutier père et fils signé avec nous 
» et nostre dit greffier. 

» De Moustier père, De Moustier cadet, 

» De Moustier l'aîné, Bulliard, 

» Poussot. 

» Insinué à Clerval le 12 septembre 1787. 

» Reçu quarante-cinq livres. 

» Birot ». 



— 35 — 

presse : celle-ci pouvait être tacite. Elle résultait de 
l'habitation séparée avec des différences dans les di- 
verses coutumes ; la plupart des dignités élevées 
dans l'armée, la magistrature, l'église émancipait ta- 
citement. L'émancipation résultant du mariage était 
discutée, les pays de droit écrit se refusaient en géné- 
ral à admettre ce mode d'émancipation, à l'exception 
cependant de ceux dépendant du ressort du parle- 
ment de Paris (l) qui admettaient l'émancipation par 
mariage même sans habitation séparée. Dans les pays 
de coutumes, la législation n était pas uniforme. 

L'âge n'émancipait qu'exceptionnellement dans cer- 
taines coutumes. Celles de Bourbonnais, Sedan, 
Reims, Châlons, Metz, Montargis, émancipaient taci- 
tement à vingt ans. Ceci ne fut jamais pratiqué dans 
les pays de droit écrit : « On voit, dit Argou, des 
hommes de soixante ans qui sont encore en la puis- 
sance de leurs pères et ne sont pas libres d'emprun- 
ter la moindre somme d'argent ». 

L' Adoption. — On a défini l'adoption « actus civi- 
lis, naluram imitans, quo quis filins alterius, fit, 
quasi ab eo genitus » (2). 

Etant appelée à imiter la nature, l'adoption se 



(i) Les pays de droit écrit du parlement de Paris étaient le 
Forez, le Beaujolais et une partie de l'Auvergne. 

(2) Lorry, vol. I er , p. 108, cité par F.-J. H*" (Riffé) Traité de 
V adoption, Paris, 1813. 



— 36 — 

trouve ainsi soumise à une condition de fond explica- 
ble : la nécessité pour Fadoptant d'être plus âgé que 
l'adopté. A Rome où l'institution fut très pratiquée, 
cette différence devait être au minimum de dix-huit 
ans, c'est-à-dire d'une puberté pleine (1). Il n'en était 
pas de même pour l'adrogation, c'est-à-dire lorsque 
la personne que l'on se proposait de faire passer sous 
sa patria potestas était sui juris ; dans ce cas, l'on 
exigeait que l'adrogeant eut au moins soixante 
ans (2) (3). 

Quant à ses effets, l'adoption comme l'adrogation 
faisait passer l'adopté ou l'adrogé sous la puissance 
de l'adoptant. L'adopté devenait donc, à vraiment 
parler, le fils de l'adoptant ; il prend son nom, s'at- 
tache à son culte domestique, et acquiert comme fils, 
des droits à la succession de son nouveau paterfa- 
milias. Cette parenté n'était pas considérée par les 
Romains comme artificielle, et l'adopté devenait, par 
le fait de son adoption, parent des parents de l'adop- 
tant. Ce nouveau lien produisait comme conséquence, 
la prohibition du mariage entre l'adopté et la fille 
de l'adoptant (4). 

Mais l'adopté, ne pouvant appartenir à la fois à 



(li Dig., Loi 40, § I, De adopt. 

(2) Dig., De adopt. et emancip., 15, 2. 

(3) On connut à Rome une troisième sorte d'adoption, l'adop- 
tion testamentaire, mais son caractère est discuté. 

(4) Dig., Loi 23, De adopt. 



— 37 — 

deux familles, sort de sa famille d'origine à laquelle 
il devient complètement étranger ; ses liens d'agna- 
tion et de gentilité sont brisés, seuls les liens de 
cognation subsistent. 

L'adrogation produit en outre un effet particulier 
qui en fait un des actes les plus graves qui puissent 
affecter l'état des personnes. En effet, l'adrogation ne 
fait pas passer seul l'adrogé sous la patria potestas 
de l'adrogeant, mais passent encore sous cette nou- 
velle patria potestas, tous ceux qui étaient sous la 
patria potestas de l'adrogé. Ses biens suivent sa per- 
sonne et deviennent le patrimoine de l'adrogeant. 

Dans le droit de Justinien, on distingua Yadoptio 
plena et Yadoptio minus plena, qui à la différence de 
l'ancienne adoption ne faisait pas sortir l'adopté de 
sa première famille. 

Nous avons, à l'origine de notre droit, quelques 
exemples d'adoption (1), mais celle-ci fut loin d'ob- 
tenir le succès qu'elle avait trouvé à Borne. L'idée de 
la famille reposant sur la parenté par le sang, pa- 
renté par excellence, devait être en effet peu favora- 
ble au développement de l'institution. 

Cependant nous la voyons fonctionner sous les rois 
de la première race (2), mais il est peu probable que 



(1) Guyot, Répertoire, au mot Adoption. 

(2) Michelet, dans ses Origines du droit français, p. 10 etsuiv., 
fait le récit des cérémonies qui accompagnaient l'adoption dans 



— 38 — 

cette pratique ait dépassé le début de l'époque féo- 
dale. 

Quelques coutumes permettent bien l'affiliation (1), 
l'affrérissement (2), la subrogation par échange (3), 
mais ces institutions ont toujours gardé un carac- 
tère exceptionnel. 

A l'époque monarchique, l'on peut dire qu'en règle 
générale l'adoption n'est pas pratiquée. C'est ce qui 
ressort de l'article 4 du titre IV de la coutume de 
la chatellenie de Lille, qui dit qu' « adoption n'a 
lieu ». La même décision se retrouve dans la cou- 
tume d'Oudenarde, rubrique 20, article 3. Dumou- 
lin, sur la coutume de Paris, considère l'adoption 
comme une institution spéciale aux Romains et il 
ajoute: « non utimur hujus rnodi cognatione legali ». 

L'on pourrait croire que les pays de droit écrit 



les anciennes coutumes de la France et des Anglo-Normands. 

(1) L'affiliation était pratiquée dans la coutume de Saintonge, 
l'affilié succédait à l'affiliant « avec ses enfants naturels et légi- 
times es biens meubles et acquêts immeubles faits par l'affiliant 
et non es héritage. « 

(2) Cette sorte d'adoption, uniquement pratiquée dans la cou- 
tume de Saint-Amand en Flandre, a pour but de faire entreries 
enfants d'un second lit dans la famille du conjoint décédé et 
ceux du premier lit dans la famille de l'époux ou de l'épouse de 
leur père ou mère survivant, art. 26 de la dite coutume. 

(3) Les coutumes de Saintonge, de Bourbonnais, de Nivernais, 
de Berry, conservaient cette pratique : un enfant étranger était 
subrogé à la place d'un enfant qui passait dans la famille de celui 
qui le remplaçait. Béchet, dans sa coutume de Saintes, rapporte 
que ceci avait lieu surtout à l'occasion d'un double mariage. 



— 39 — 

avaient conservé l'adoption. Il n'en était pas ainsi : 
« La vérité, dit Denizart, est que l'adoption n'est pas 
plus en usage dans nos pays de droit écrit que dans 
nos provinces de droit coutumier. » 

Quelle était la raison de la disparition de l'adop- 
tion dans notre droit ? « C'est dans une certaine co- 
propriété familiale, renée de l'ancienne copropriété 
germanique et dans l'idée aristocratique qu'il faut en 
chercher la raison » (1). 

Les enfants naturels. — A Rome, on distinguait 
les enfants nés d'une concubine, liberi naturelles, les 
enfants nés d'une union passagère avec une femme 
de condition inférieure, spurii, vulgo quœsiti, enfin 
les enfants nés d'un commerce prohibé par la loi, 
adulterini, incestuosi. 

La condition des liberi naturelles était préférable 
à celle des spurii, des adulterini et des incestuosi, 
parce que, seuls, ils pouvaient être légitimés (2). 
Mais, malgré le bénéfice spécial accordé aux enfants 
nés de concubins, il semble résulter de travaux ré- 



(1) Cette raison a été donnée par M. Lefebvre de Prey, dans 
son ouvrage De l'adoption, p. 253. 

(2) Les liberi naturales pouvaient être légitimés"par oblation à 
la curie, quand c'était une fille, par son mariage avec un décu- 
rion, pour tous par ua mariage subséquent, mode de légitimation 
autorisé par Constantin et Zenon et enfin sous Justinien par res- 
crit du prince. La légitimation testamentaire devait être con- 
firmée par rescrit. 



- 40 - 

cents que le concubinat ne fut jamais une union léga- 
lement reconnue (1), et qu'il resta toujours une sim- 
ple union de fait (2). 

Il n'y avait entre l'enfant naturel et son père aucun 
lien civil ; celui-ci ne l'avait pas sous sa puissance et 
l'enfant n'avait aucun droit à la succession paternelle. 

Le droit prétorien améliora peu à peu la condition 
des enfants naturels en appelant les cognais à la suc- 
cession au troisième rang. Le droit impérial eut aussi 
une heureuse influence en cette matière : les sénatus- 
consultes Tertullien et Orfitien reconnurent un droit 
réciproque de succession entre la mère et l'enfant, et 
les liens existant entre eux étant indépendants du ma- 
riage, les liberi naturelles y furent appelés au même 
titre que les enfants légitimes. Ce droit fut limité par 
Justinien qui le restreignit aux enfants de la concu- 
bine, interdisant à la femme mariée de ne rien don- 



(i) On peut s'appuyer pour soutenir cette idée sur l'ouvrage de 
M. Paul Gide, De la condition de l'enfant naturel et de la concu- 
bine en droit romain, édition Esmein, p. 549 (ce court ouvrage 
se trouve en fin de l'étude sur Ja Condition privée de la femme, 
du même auteur) et sur celui de M. Girard, Manuel de droit ro- 
main, 3 e éd., p 181 et 182. Le contraire était autrefois univer- 
sellement admis. 

(2) Dans le dernier état du droit, sous l'influence du christia- 
nisme, le concubinat eut une place à part entre les liaisons ir- 
régulières. On le définit alors légitima conjunctio sine honesta 
celebratione matrimonii. On accorde à la concubine un droit de 
succession et un droit semblable assez limité est reconnu aux 
iberi naturales sur la succession de leur père. 



— 41 — 

ner par disposition entre vifs ou testamentaires à un 
enfant naturel, quand elle avait des enfants légiti- 
mes (1). 

Le lien qui unissait le père à ses enfants naturels 
reçut aussi une sanction et les constitutions impéria- 
les permirent au père de laisser une partie de ses 
biens aux enfants naturels à défaut d'enfants légiti- 
mes : cette part fut fixée par Justinien à un douzième 
que les enfants devaient partager avec leur mère. S'il 
y avait des ascendants, cette quotité était de toute la 
portion disponible. Enfin le père pouvait leur laisser 
sa succession en entier, s'il n'y avait ni ascendants 
ni descendants. 

Justinien alla plus loin, et dans le droit des No- 
velles (2), il accorda aux enfants naturels un droit 
ab intestat. D'après ce droit, les enfants naturels nés 
de la concubine, héritaient du sixième des biens con- 
jointement avec leur mère toutes les fois qu'il n'y 
avait ni descendants ni épouse légitime ; autrement 
ils n'avaient droit qu'à des aliments. 

Cette législation eut à s'appliquer fréquemment, 
car les enfants naturels étaient nombreux à Rome au 
temps de la décadence. « C'est à peine si l'on se ma- 
riait ; la corruption des mœurs, la soumission des 



(i) Kœnigswartor, Essai sur la législation des peuples anciens et 
modernes relative aux enfants nés hors mariage. 

(2) Novelle XVIII, ch. V ; Novelle LXXXIX, ch. XII, % S et 6. 



— 42 — 

femmes esclaves, l'égoïsme produit par les malheurs 
publics avaient dégoûté les Romains du ma- 
riage » (1). 

Si nous en croyons Tacite (2), les enfants naturels 
étaient peu nombreux chez les barbares. Désignés 
dans notre ancien droit sous le nom de bâtards (3), 
on distinguait les bâtards simples, nés de personnes 
libres et capables de se marier ensemble ; les bâ- 
tards adultérins, nés de parents engagés par ma- 
riage à une autre personne ; et les bâtards inces- 
tueux, issus de l'union de deux personnes entre les- 
quelles le mariage était interdit (4). 

Comme à Rome, seul le bâtard simple pouvait être 
légitimé. En l'absence de légitimation, il restait 
étranger à son père et suivait la condition de sa 
mère. Exceptionnellement quelques lois barbares lui 
reconnaissaient un droit de succession, comme la loi 
des Lombards ; mais la loi des Burgondes et celle 
des Frisons ne lui accordaient aucun droit (5). 



(1) Troplong, Influence du christianisme sur le droit civil des 
Romains, p. 171. 

(2) Tacite, Germanie, § 20. 

(3) Le mot bâtard aurait son étymologie selon Michelet (Online 
du droit français, 1. I, ch. III, p 68), du rapprochement des mots 
bretons, baz, peu élevé, et tardd, germer. 

(4) On appelait aussi bâtards incestueux, les enfants nés de 
personnes consacrées à Dieu par vœu de chasteté. 

(5) Frisons, titre VII, Bunjondes, titres XIV et XLII. Voir aussi 
Habette, Des enfants naturels dans l'ancien droit français, p. 19. 



— 43 — 

Une ordonnance de Hugues Capet avait déclaré les 
bâtards des princes incapables de succéder au trône ; 
il ne leur était permis de porter les armes de France, 
qu'en les faisant traverser par une barre allant de 
droite à gauche en signe de bâtardise (1). Quant aux 
bâtards ordinaires ils furent souvent traités comme 
serfs. 

Sous la féodalité, la condition des bâtards était 
défavorable. Etant étrangers à leur père, ils ne pou- 
vaient se trouver sous son mundium et ils étaient 
placés sous le mundium du roi ; leur condition était 
analogue à celle des aubains (2). Ils étaient traités 
avec une certaine rigueur, soumis au droit de forma- 
riage, au droit de chevage et frappés d'une incapacité 
de disposer au delà de cinq sols parisis, sans le con- 
sentement du roi. Par le droit de bâtardise, le sei- 
gneur avait le droit de recueillir tous les biens que 
laissait le bâtard sur le territoire de sa seigneurie. 
Au point de vue successoral, ils n'ont aucun droit 
sur la succession de leur père (3), et celui-ci n'est 
tenu à leur égard qu'à une obligation alimentaire. 



(1) Bacquet, Traité de la bâtardise, ch. II. 

(2) Amiable, dans la Revue historique de droit français et étran- 
ger, t X, p. 375, De la condition des enfants illégitimes dans l'an- 
cien droit français. 

(3) « Ils n'ont droit en nul descendement. » Beaumanoir, Cou- 
tume de Beauvoisis, chap. XVIII, art. 19, éd. Beugnot, t. I,p. 299. 



— 44 — 

« Qui fait l'enfant le doit nourrir » (1). 

La législation s'adoucit cependant et dans la plu- 
part des coutumes, les bâtards furent considérés 
comme libres et sans tache de servitude (2). Cepen- 
dant l'on peut dire qu'en règle générale, ceux-ci de- 
meuraient exclus de la succession de leur père (3). 
Il n'en était pas de même de la succession maternelle 
et quelques coutumes exceptionnelles admettaient le 
principe que « nul n'est bâtard de par sa mère, » et ac- 
cordaient un droit réciproque de succession entre La 
mère et l'enfant (4). Pour empêcher le père de tour- 
ner la loi, celui-ci fut déclaré incapable de faire une 
disposition universelle au profit d'un de ses bâtards. 
Par contre, le père était, ainsi que la mère, à part 
les cas exceptionnels que nous avons signalés, exclus 
de la succession du bâtard, et l'on peut dire qu'en 
règle générale c'est le roi qui leur succède (5). 



(t) Loisel, Inst. Coutum., 1. 1, liv. I« r , tit. I, § 41. 

(2) D'Aguesseau, Œuvres complètes, t. VII, p. 573. Dissertation 
sur les bâtards. 

(3) Voir dans d'Aguesseau la liste des coutumes qui pronon- 
çaient l'exclusion, t. VII, p. 581. 

(4) Coutume d'Aleu, titre I, art. 8; de Valenciennes, art. 121. 
La coutume d'Aire, titre I, art. 9, appelle le bâtard à la succes- 
sion maternelle quand il n'y a pas d'enfants légitimes. Voir aussi 
la coutume de Saint-Omer en Artois, titre I, art. 21, de Théroanne, 
titre I, art. 4. 

(5) Il y a cependant exception en faveur des enfants légimes du 
bâtard, en faveur de la mère dans les pays qui reconnaissaient 
un droit de succession réciproque, et en faveur de la femme du 
bâtard à laquelle lui-même succède lorsqu'elle décède sans en- 
fants et sans héritiers. 



— 45 — 

A la fin de l'ancien droit, cette législation était à 
peu près la même dans les pays de droit écrit que 
dans les pays de coutumes et la situation de bâtard 
n'était nulle part très favorabe. Pothier définit ainsi 
l'état de ceux-ci dans l'ancien droit : « Les bâtards 
jouissent de l'état civil de citoyen, mais ils n'ont pas 
de droits de famille » (1). 

Les lettres de cachet. 

Sans prendre à la lettre le mot de Blakstone qui 
comparaît comme « pays despotique la France et la 
Turquie, » il est certain que la conception du pouvoir 
absolu dans l'ancienne France fut portée à son point 
de plus complet développement. Au grand siècle, 
les docteurs de la Sorbonne, consultés par le jésuite 
Tellier, confesseur de Louis XIV, affirmaient que 
tous les biens des sujets étaient au roi et qu'en les 
prenant, il ne faisait que prendre ce qui lui apparte- 
nait. Enfin, à la veille même de la Révolution, Louis 
XVI répondait au duc d'Orléans : « C'est légal parce 
que je le veux. » 

Il n'est pas étonnant de retrouver cette même auto- 
rité inflexible et tyrannique dans la famille. L'on 
peut dire que la puissance paternelle s'exerce en réa- 
lité sans contrôle. Les moindres écarts des enfants 



(1) Pothier, Traité des personnes, p. 413. 



— 46 — 

sont réprimés avec une sévérité qui étonne : parfois 
môme l'on n'attend pas que la faute ait été commise 
et on la châtie en perspective. 

D'ailleurs il ne faudrait pas croire que l'incarcéra- 
tion fut le seul châtiment et que tous les pères mis- 
sent leurs enfants à la Bastille. On peut estimer qu'un 
grand nombre d'entre eux avait une notion plus juste 
de l'autorité qui leur était confiée et qu'uniquement 
préoccupés du bien de leurs enfants, ils ne se plai- 
saient pas à en abuser. 

Mais néanmoins, le nombre des lettres de cachets 
délivrées à la requête des pères de famille, était fort 
considérable et dégénérait 'en un véritable abus. En 
effet, près de la moitié des lettres de cachets déli- 
vrées dans le royaume rentrait dans cette catégo- 
rie (1), et l'on avait créé pour les désigner, le voca- 
ble spécial de « lettre de cachet de famille. » 

Une simple demande suffisait pour en obtenir une, 
et d'Argenson répondait au vicomte Du Chayla qui 
intercédait en faveur d'un de ses amis poursuivi par 
les menaces paternelles : « Il est d'usage d'arrêter les 
enfants dont les pères se plaignent » (2). 



(1) Funck-Brentano, Les lettres de cachet, dans la Revue des 
Deux-Mondes, n» du 15 octobre 1892, p. 821. 

(2) Dans l'article déjà cité de la Revue des Deux-Mondes, 
M. Funck-Brentano rapporte Texemple suivant : « Un vitrier, 
nommé Allan, qui demeurait rue Neuve-Guillemain, guettant les 
carreaux cassés, expose devant le commissaire de police qu'il 



— 47 — 

Le père choisissait la prison où l'enfant serait en- 
fermé. C'était la Bastille, Vincennes, le Fort l'Evo- 
que, Bicêtre, Saint-Lazare, Charenton ; en province, 
le Mont Saint-Michel, le château de Ham, les îles 
Sainte-Marguerite, il y en avait mille ; spécialement 
pour les femmes : la Salpêtrière, Sainte-Pélagie, les 
couvents, comme les Annonciades à Clermont, la 
Madeleine à La Flèche, les Ursulines à Chinon. 

D'ailleurs l'incarcération n'avait pas pour effet de 
soustraire les fils à l'autorité du père. Celui-ci res- 
tait maître d'ordonner le régime auquel le détenu 
serait soumis, et il était toujours libre d'aggraver le 
châtiment, d'adoucir la peine ou même de pardon- 
ner avant le temps prescrit. 

Les motifs invoqués pour obtenir un ordre secret, 
étaient les plus divers. L'on pouvait même se dispen- 
ser d'en invoquer aucun, ou alléguer d'une manière 
vague l'indocilité de l'enfant ou ses fautes à craindre. 
L'examen des raisons présentées montre avec quelle 
lamentable insouciance l'on octroyait des lettres 
closes aux pères qui en sollicitaient. Si le fils refusait 
de se marier avec une personne désignée, ou faisait 
difficulté pour choisir un métier ou une carrière pro- 
sollicite une lettre de cachet pour son fils, parce que celui-ci 
« lui donnait de justes motifs par son penchant à la friponnerie 
de craindre des suites infamantes pour sa famille ». 

L'excellent homme déclara d'ailleurs être si pauvre qu'il lui 
serait impossible de payer la moindre pension pour le détenu. 



— 48 - 

posé par son père, c'en était assez pour aller médi- 
ter au donjon de Vincennes pendant quelques années. 
Un acteur voulait faire expédier son fils dans une co- 
lonie d'Amérique, parce que celui-ci refusait de sui- 
vre la carrière paternelle ; le père ajoutait qu'il y 
avait « lieu de craindre que ce fils, qui est hors d'état 
cle gagner sa vie, ne déshonore sa famille par une 
fin malheureuse » (1). 

Un tel état de choses était incompréhensible et ap- 
pelait les plus rapides et les plus décisives réformes. 
Ce fut l'œuvre de la Révolution. Elle assuma cette 
lourde tâche et trouva dans sa force l'autorité néces- 
saire pour réagir contre ces pratiques inhumaines. 
Malheureusement, hantée par le souvenir des abus 
anciens (2), elle ne se borna pas à supprimer les let- 
tres de cachet et à restreindre la puissance paternelle : 
mais, par un esprit de réaction violent, elle voulut la 
supprimer. 

Elle fut guidée dans son œuvre de destruction par 



(1) Funck-Brentano, Réforme sociale du 16 février 1893, p. 249. 
Voir aussi d'autres exemples dans la thèse de M. Chassaigne, 
Des lettres de cachet, Paris, 1903. 

(2) Lors de la destruction de la Bastille, l'on avait trouvé sur 
les murs des inscriptions gravées par les détenus: sur un pierre, 
on avait lu ces mots : « Il y a 44 ans que je meurs. »; sur une 
autre : « la vertu conduisait ici.» 

Voir Procès-verbaux des monuments, de la marche et des dis- 
cours de la fête consacrée à V inauguration de la Constitution de la 
République Française, le 40 août 1793, signé Hérault. 



— 49 — 

les principes qu'avait posés la philosophie du dix- 
huitième siècle. Elle se fit disciple de Rousseau et de 
iYlably, s'attachant sans mesure aux doctrines qu'ils 
avaient fondées. 

Elle prit le contre-pied de la doctrine des physio- 
crates qui ne pouvait lui convenir, puisqu'elle se dé- 
clarait adversaire de toute intervention de l'Etat. Les 
théories de Montesquieu et de Voltaire, étaient à son 
gré trop modérées et elle ne prit de celles-ci, que 
les principes accueillis par Rousseau. C'est celui-ci 
qui fut son maître avec les philosophes protestants 
Jurieu et Puffendorf. 

La société est basée tout entière sur la volonté 
humaine, volonté toute puissante qui se fait à elle- 
même ses lois, et dont la première doit être l'égalité ; 
<( le pacte fondamental substitue une égalité morale 
et légitime à ce que la nature avait pu mettre d'inéga- 
lité physique entre les hommes » (1). Mais seul, 
l'homme ne peut parvenir au bonheur qui doit ré- 
sulter de la pratique de ces lois, il a besoin de l'auto- 
rité de l'Etat. Celui-ci, pourvu du pouvoir nécessaire, 
aura pour rôle essentiel le maintien de ces lois dont 
dépend le bonheur de la société. 

En vertu de ce nouveau principe d'égalité universel, 
plus de classes privilégiées, et au sein même de la 



(1) Rousseau, Contrat social, livre I, chap. IX. 



— 50 — 

famille, plus d'individus qui aient tous les droits et 
d'autres tous les devoirs. D'ailleurs, toute associa- 
tion fortement organisée se suffisant à elle-même, 
constitue par le fait même un danger pour l'Etat, 
danger qu'il convient d'écarter, en otant des mains 
de ceux auxquels il était confié, le pouvoir dont ils 
étaient dépositaires. Cette autorité sera remise à 
l'Etat qui l'exercera pour le plus grand bien de tous. 
Mais par l'adoption et l'application de ces prin- 
cipes, la Révolution ne supprimait pas le danger, 
elle ne faisait que le déplacer. A l'ancienne autorité 
de quelques individus, elle allait substituer le despo- 
tisme non moins funeste de l'Etat ; à la monarchie 
absolue et de droit divin, elle faisait succéder un 
gouvernement fondé sur la convention sociale et l'a- 
mour de la liberté qui devait égaler en tyrannie les 
constitutions anciennes les plus barbares. 






PREMIÈRE PARTIE 



CHAPITRE I 
Le tribunal de famille. 



SECTION I. — Le tribunal de famille avant la Révolution. 

Un lien étroit unit la famille à l'Etat. Plus que tout 
autre groupement, elle subit la répercussion des ré- 
volutions qui tendent à modifier les principes direc- 
teurs auxquels il obéit. 

Jusqu'à la veille de la Révolution, la famille avait 
gardé son antique constitution. L'autorité souveraine 
du père de famille était comparable à la puissance 
absolue du roi. Mais la ruine de l'autorité royale de- 
vait amener une transformation profonde dans le 
cœur même de la famille, transformation qui se fit 
sans délai et d'autant plus rapidement, qu'étaient 
nombreux les abus qui la rendaient utile. On orga- 
nisa une sorte de révision de la puissance maternelle, 



— 52 — 

sapant impitoyablement tout ce qui, de près ou de 
loin, pouvait rappeler une institution ancienne, sans 
aucun souci de savoir si l'insuffisante autorité lais- 
sée au père serait efficace, persuadé qu'on était alors 
que tout ce qu'animait l'esprit nouveau était inspiré 
par la sage Raison. 

Pour supprimer les anciens abus, on ruina la puis- 
sance paternelle, et à une autorité jadis presque 
sans limite, succéda une autorité affaiblie, sans effi- 
cacité, dont le nom seul rappelait l'institution an- 
cienne. La terreur qu'avaient inspirée les lettres de 
cachet, était encore trop présente aux esprits pour 
que les législateurs d'alors, dont quelques-uns, dans 
leur jeunesse, en avaient été victimes, ne cherchas- 
sent pas par les moyens les plus énergiques à en évi- 
ter le retour. 

Mettre le père de famille dans l'impossibilité de châ- 
tier son fils avec quelque sévérité, n'était-ce pas là le 
remède certain ? Pour arriver à ce résultat, il suffi- 
sait de placer aux côtés du père un groupe de pa- 
rents ou d'amis, sorte de tribunal domestique, sans 
l'avis duquel il lui serait impossible d'infliger à son 
fils une peine excédant les bornes d'une correction 
ordinaire. C'était instituer le tribunal de famille. 

Cette institution du tribunal de famille qui corres- 
pond si bien à la nouvelle conception de l'autorité 
paternelle, autorité qui va s'affaiblissant de jour en 



— 53 — 

jour et qu'on cherche à restreindre, alors que 
grandit devant elle cette idée de liberté et d'in- 
dépendance de l'enfant, est-elle une institution ori- 
ginale née dans l'esprit du législateur révolutionnaire 
et conçue par lui de toutes pièces ? Non, certaine- 
ment. Le tribunal de famille n'est pas une invention 
de Constituants. Dans l'ancien droit déjà, et à Rome 
même, nous trouvons une institution analogue fonc- 
tionnant dans des conditions définies, contrepoids né- 
cessaire d'une autorité trop fortement conçue. C'est 
cette institution ancienne que nos législateurs vont 
s'approprier et qu'ils tenteront de généraliser après 
l'avoir modifiée. 

Le tribunal de famille à Rome. 

A quelle époque remonte l'institution du tribunal 
de famille ? ou plus exactement, l'expression n'exis- 
tant pas encore, quand voyons-nous intervenir pour 
la première fois dans la famille un groupe de pa- 
rents ou d'amis appelé à donner un avis et à éclairer 
de leurs conseils le père de famille remplissant les 
fondions de juge domestique ? Il est impossible de 
donner une date exacte. Mais c'est certainement une 
très ancienne institution pratiquée dès l'origine de 
Rome comme en témoigne un texte de Denys d'Hali- 
carnasse (1). 



(1) Denys d'Halicarnasse, Antiquitates romanx qui supersunt, 



- 54 — 

D'ailleurs l'institution du tribunal de famille, si 
ancienne qu'elle soit, marque déjà un progrès au 
point de vue juridique. Ce n'est certainement pas là 
le premier état du droit, bien que nous trouvions 
cette institution aux débuts de plusieurs législations. 
Le père de famille dut avoir à l'origine un pouvoir 
absolu et sans contrôle, les mœurs seules suffisant 
alors pour maintenir l'exercice de l'autorité pater- 
nelle dans de justes limites. Ce ne fut sans doute que 
plus tard, que le pouvoir du père sur ses enfants 
s'exagéra, alors que la pureté des mœurs primitives 
s'était altérée. Il fut alors un juge avant d'être père, 
infligeant parfois des châtiments dont la sévérité 
nous étonne et qui sont sans proportion avec la faute 
commise. 



édition Teubner, livre II, chap. XXV, page 146. L'auteur rapporte 
que, lorsqu'une femme s'était rendue coupable de certaines 
fautes, celui qui en avait souffert, agissait lui-même en qualité 
de juge, et qu'il était libre de punir ou de pardonner. Parmi ces 
fautes, l'bistorien cite le fait d'oublier ses devoirs et l'action de 
boire du vin. Homulus, dit-il, autorisa à punir de la peine de 
mort l'un et l'autre délit. Et, parlant de ces mêmes délits, Denys 
d'Halicarnasse ajoute : « Taura 8e ol Guyyevzî; ixetx tou àvBooç 
£86cotÇov », c'étaient les cognats qui en connaissaient avec le mari. 
Le texte de Denys d'Halicarnasse ne vise pas, il est vrai, le 
cas d'un fils de famille, et dans l'espèce les cognats sont convo- 
qués pour se prononcer sur le cas d'une femme qui a violé les 
lois de la pudeur, mais il ne faut pas oublier que la femme in 
manu, comme l'étaient à l'origine presque toutes les femmes ro- 
maines, se trouve à l'égard de son mari toco filiœ et que c'est 
véritablement à titre de paterfamilias que le mari a le droit de 
se prononcer exactement comme si le coupable était un de ses fils. 



— 55 — 

Le caractère romain, d'une rudesse parfois singu- 
lière, n'était pas fait pour entraver cette tendance. A 
cette époque, un sentiment prime tous les autres, 
c'est l'amour de la cité, de cette cité que l'on veut 
grande et respectée. Toute atteinte à son intégrité, 
toute négligence dans son service est impitoyable- 
ment châtiée ; la vie d'un citoyen ne compte pas 
quand l'honneur de la patrie est en jeu. 

Cette législation un peu rude est celle qui régit 
également la famille. Le groupe familial est un état 
dans l'état ; il est l'image réduite et parfaite de la 
grande cité. Souverain incontesté, le père le gou- 
verne avec la sévérité et la rigidité antique. Sur tous 
ses membres, fils, filles, petits-enfants, femme, il eut 
à l'origine un pouvoir en quelque sorte discrétion- 
naire, analogue à celui du maître sur l'esclave. 

Mais toute conception exagérée amène fatalement 
des abus. Il ne tarda pas à s'en produire, et, proba- 
blement sous l'influence de circonstances que nous 
ignorons, à une époque imprécise mais ancienne, le 
paterfamilias dans certains cas particulièrement gra- 
ves, alors que la peine prononcée devait être sévère, 
fut invité à prendre l'avis d'un certain nombre de pa- 
rents ou d'amis ; il dut réunir un concilium. 

Qui institua le concilium ? Sa création est peu pro- 
bablement due à l'autorité. Ce fut plutôt un usage 
pratiqué d'abord isolément et spontanément dans 



— 56 - 

certaines familles, usage qui se développa et qui, 
passant dans les mœurs, devint une institution coutu- 
mière (1). Les textes législatifs nous renseignent peu 
sur ce sujet, et si les textes littéraires qui s'en occu- 
pent sont nombreux, ils nous montrent surtout une 
institution en exercice sans rien dire de précis sur 
ses origines. Elle est connue et pratiquée au temps 
de Romulus, nous dit le texte déjà cité de Denv 
d'IIalicarnasse, ceci prouve assurément l'anciennelé 
de l'institution, mais on ne saurait prendre l'attesta- 
tion de l'écrivain à la lettre. Quoique grec, Denys 
d'Halicarnasse a pour Rome, où il vécut la moitié de 
sa vie, et pour son histoire une admiration illimi- 
tée (2), et, comme tous les historiens anciens, il aime, 
au mépris souvent de la vérité historique, à faire re- 
monter très haut dans le passé et à placer sous le 
patronage d'un personnage légendaire, les institu- 
tions juridiques qu'il décrit, aimant à en prouver 
l'excellence par leur ancienneté. 

Abstraction faite de cette réserve, nous savons que, 
dans les siècles postérieurs, l'institution fut en pleine 
vigueur. Valère Maxime (3) cite le cas de Spurius 
Cassjus qui, étant tribun, avait fait voter la première 

(1) Cuq, Les Institutions juridiques des Romains, tome I* r , 
page 156. 

(2) Denys d'Halicarnasse, Histoire primitive de Rome, I, 3, p. 4, 
édition Teubner ; I, 6, p. 8, même éd. 

(3) Livre V, chap. 8, § 2. 



— 57 — 

loi agraire et qui avait tenté de se rendre populaire 
afin de s'emparer du pouvoir. A sa sortie de charge, 
son père, ayant réuni un conseil de proches et d'a- 
mis, le condamna, pour usurpation du pouvoir, à 
mourir frappé de verges et consacra son pécule au 
temple de Cérès. 

Bien d'autres exemples nous sont rapportés par 
Valère Maxime (Livre V, chap. IX, § 1 ; Livre II, 
chap. IX, § 2) ; Tite-Live (Livre II, chap. XLI ; Li- 
vre VII, chap. IV (1) ; Livre XXXIX, chap. XVIII ; 
Florus (Livre I, chap. XXVI) ; Paul Orose (Livre V, 
chap. X) (2) ; Sénèque, De Clementia (I, 14) ; Sué- 
tone (In Tiber., 35). Dans ses Annales, Tacite nous en 
rapporte un des derniers exemples (3), lorsqu'il rap- 
pelle l'accusation formulée contre Pomponia Grae- 
cina, épouse de Plaulius, accusée d'être chrétienne, 



(1) Le fait rapporté par Tite-Live en cet endroit jette un jour 
curieux sur les mœurs et l'esprit d'alors : En l'an 392 de Rome, le 
tribun Marcus Pomponius cita devant le peuple Manlius Impe- 
riosus coupable d'avoir fait subir de mauvais traitements à son 
jeune fils et l'historien ajoute que le fils de Manlius, mû par un 
sentiment de respect pour la décision paternelle, alla menacer le 
tribun de l'assassiner dans son lit s'il ne renonçait à sa poursuite. 

(2) Orose cite à cet endroit la condamnation de Quintus Fabius 
Maximus, coupable d'avoir fait tuer son jeune fils par des esclaves 
qu'il affranchit ensuite comme salaire de leur crime. 

Il n'est pas fait mention du concilium dans ce fragment, mais 
cette décision judiciaire le suppose, car elle serait inique si le 
père avait eu le droit de vie et de mort sans contrôle sur ses 
enfants. 

(3) Tacite, Annales, Livre XIII, chap. 32. 



— 58 - 

superstitionis externœ, rea. Arbitre de la vie et de 
l'honneur de sa femme, ajoute Tacite, Plautius, 
d'après Tancien usage, instruisit son procès devant 
un conseil de famille, et la déclara innocente. 

On voit donc que l'institution était alors en pleine 
vigueur et elle fonctionna en effet d'une façon régu- 
lière et suivie jusque sous l'empire (1). 

Mais le rôle et le degré d'efficacité de cette institu- 
tion se sont modifiés au cours des siècles. A l'origine, 
en effet, le paterfamilias, tenu de s'éclairer des avis 
du concilium, n'est pas tenu de suivre l'avis qui lui 
est donné (2), différence profonde avec notre institu- 
tion révolutionnaire ; et cette considération est inté- 
ressante, car elle marque l'esprit qui, à vingt siècles 
d'intervalle, a présidé à la formation de l'institution. 
Tandis que, dans notre droit intermédiaire, le tribu- 
nal de famiMe est le développement et la conséquence 
logiques de l'esprit émancipateur du XVIII e siècle, 
qu'il est institué pour faire échec d'une façon effi- 
cace à l'autorité paternelle dont on craint les abus ; 
à Rome il n'existe à l'origine que pour tenter de flé- 
chir la juste colère du père. Le paterfamilias romain, 
à la fois prêtre domestique et juge souverain, a le 



(1) Tacite, ibid., loc. cit. — Voir aussi Revue historique de 
droit français et étranger, année 185b : Du tribunal de famille 
chez les Romains, par M. de Fresquet. 

(2) Girard, Manuel de droit romain, p. 13b. 



— 59 — 

droit incontesté de punir aussi sévèrement qu'il le 
veut, fut-ce même de la peine de mort, l'enfant qui l'a 
outragé. Mais l'on peut craindre qu'aussitôt après 
l'affront, la colère n'aveugle le père offensé, étouffant 
momentanément la voix de l'affection et de la raison 
et ne porte celui-ci à un acte brutal que son cœur 
déplorera par la suite. Aussi avait-on pensé que quel- 
ques parents et amis choisis dans le cercle de la fa- 
mille, appelés à éclairer le paterfamilias de leurs af- 
fectueux et sûrs conseils, et peut-être, incités par un 
esprit plus pondéré, à plaider la cause du fils ingrat 
ou de l'enfant injustement accusé, serait pour le juge 
de famille de précieux auxiliaires. Certes, le père 
reste toujours maître de sa sentence, en aucun cas il 
n'est tenu de suivre l'avis qui lui est donné, mais le 
temps matériel qui est nécessaire à la convocation de 
ce tribunal de famille, suffira parfois pour ramener le 
calme dans l'esprit paternel el lui faire juger, d'une 
façon plus équitable, la conduite de son enfant. 

Laisser le temps faire son œuvre et calmer le cœur 
de l'homme que la colère et les passions rendent in- 
capable de discernement, c'est là, croyons-nous, 
l'idée génératrice de l'institution ; et c'est cette même 
idée qui a donné naissance, vingt siècles après, à 
une procédure consacrée par notre Code Civil, celle 
des actes respectueux en matière de mariage. 

Mais le concilium ne devait pas se borner à rem- 



— 60 - 

plir ce rôle effacé. Son autorité grandit rapidement ; 
le consulter devint un devoir pour le paterfamilias et 
sa décision fut en quelque sorte obligatoire. En effet, 
sauf les cas de flagrant délit, le paterfamilias est 
obligé de réunir le concilium quand la peine encou- 
rue doit atteindre une certaine sévérité et quand ce- 
lui-ci s'est prononcé, le père de famille se trouve en 
fait dans l'obligation d'exécuter sa sentence, car une 
sanction, non pas purement morale, mais efficace et 
redoutée, est suspendue sur sa tête : c'est la nota. 

Nous n'en sommes plus au moment où la famille 
était un cercle fermé et inviolable. Peu à peu la puis- 
sance de l'Etat s'est affirmée et agrandie, et il a puisé 
dans ce pouvoir grandissant, la force de pénétrer 
dans l'intérieur de la famille, d'en contrôler l'admi- 
nistration et, le cas échéant, de s'ériger en juge. Il 
le fait d'une manière indirecte par l'intermédiaire du 
censeur. Celui-ci avait le droit d'infliger un blâme à 
tout citoyen qui avait commis une faute, et ce blâme 
faisait l'objet d'une annotation mise en suite du nom 
de l'intéressé sur les registres du cens {nota censo- 
ria). Les citoyens romains redoutaient le blâme du 
censeur qui avait comme conséquence, selon les cas, 
l'exclusion du Sénat ou de l'ordre équestre, ou la 
suppression du droit de vote (1). C'était une sanction 



(1) Lucius Antoninus fut chassé du Sénat pour avoir répudié 



— 61 — 

efficace et qui suffisait pour inciter les pères de fa- 
mille à convoquer le concilium dans les cas requis. 

On a cru remarquer des exceptions à cette règle 
dans certains cas où le père de famille paraissait agir 
seul et de sa propre autorité. On cite l'exemple de 
Brutus condamnant ses fils à mort pour avoir cons- 
piré le retour des Tarquins (1). Rien ne doit nous 
étonner dans cette sentence, car c'est en qualité de 
consul que Brutus fut appelé à la rendre. De même 
Manlius, condamnant son fils qui a combattu malgré 
les ordres des Consuls (2), le fait en vertu de son im~ 
perium. Manlius Torquatus, lorsqu'il jugea son fils 
Deciiis, avait perdu la palria potestas sur celui-ci, 
qu'il avait donné en adoption à Silanus (3), et il fut 
appelé à le juger en qualité de délégué du Sénat. 
Dans tous ces cas et dans les cas analogues (4), la 
personne du paterlamilias s'efface pour faire place 
et ne laisser subsister que le magistrat : c'est lui qui 
prononce la sentence au- nom du peuple romain. 

Etant donné le rôle du concilium, ceux qui sont 



sa femme sans l'assistance du concilium « nullo amicorum concilio 
adhibito » (Valère Maxime, livre II, chap. IX, § 2). 

(1) Tite-Live, livre II, chap. VI. 

(2) Tite-Live, livre VIII, chap. VII. 

(3) Tite-Live, Epit., 54. 

(4) Condamnation à mort des complices de Catilina (Salluste, 
Cat. 52). Délit de Fulvius (Salluste, Cat. 39). 



— 62 — 

appelés à le composer, doivent être choisis parmi les 
proches, dans le cercle étroit de ceux dont l'affec- 
tueux intérêt ne peut être mis en doute. Ce choix est 
significatif et paraît être un argument en faveur de 
l'origine coutumière du concilium. En effet, parmi 
les personnes destinées à en faire partie, à aucun en- 
droit ne sont nommés les agnats. L'agnation, pa- 
renté civile et parfois factice, n'avait pas paru un ti- 
tre suffisant pour être appelé à siéger au tribunal fa- 
milial. Institution née dans les temps anciens, c'est 
parmi les cognats, parents par le sang, parenté par 
excellence, que le concilium recrutera ses mem- 
bres (1). Si le nombre en est insuffisant, il sera com- 
plété par des amis. Mais dans le cas où le paterfami- 
lias convoquait des étrangers, il devait choisir ceux- 
ci parmi les gens offrant des garanties morales suffi- 
santes. On sait les reproches virulents que Cicéron 
adressait à Verres accusé par lui d'avoir fait entrer 
dans son concilium, son barbier et son scribe. De 
semblables faits ne devaient se produire que, rare- 



(1) L'insuffisance du titre d'agnat fort discuté autrefois a été 
démontré d'une façon définitive par M. de Fresquet, professeur 
à la faculté d'Aix, dans son article déjà cité en note, paru dans 
la Revue historique de droit français et étranger. Il releva tous 
les passages à lui connus dans lesquels il était question du tri- 
bunal domestique. Or, pas une seule fois le mot agnat n'est pro- 
noncé et les auteurs ne se servent que des expressions : Guyye.ve(<;, 
amici, cognati, propinqui, sui. 



— 63 - 

ment, mais il arrivait au contraire fréquemment que 
des gens éminents, considérés en raison des hautes 
charges qui leur étaient confiées, réputés pour leur 
science ou pour l'austérité de leurs mœurs, fussent 
appelés, sous cette seule garantie, à siéger dans le 
concilium (1). Pour les cognats pouvant être convo- 
qués, figuraient tous les cognats jusqu'au sixième 
degré (2). 

Ainsi composé, le concilium avait à se pronon- 
cer sur les délits commis par les enfants restés alieni 
juris et leurs descendants non émancipés, ainsi que 
sur ceux commis par la femme in manu du paterfa- 
milias ou par celle de son fils ou de son petit-fils en 
puissance, car en entrant dans la famille de son 
mari, la femme in manu est, comme son mari, 
soumise au pouvoir du chef de famille. Tous les 
délits commis par ces personnes, étaient réprimés 
par le paterfamilias après avis du concilium, peu im- 
portait d'ailleurs que ces délits fussent de droit public, 
de droit privé ou purement domestiques. La seule 
condition requise pour que le concilium entra en jeu, 
était que le châtiment mérité, dépassa les limites de 



(1) C'est ainsi que César fit partie du concilium de T. Arius 
jugeant son fils accusé de parricide. 

(2) Exceptionnellement, lorsqu'il s'agissait déjuger une femme 
in manu, on convoquait également les cognats du mari, car, par 
son mariage cum manu, la femme était entrée dans la famille de 



son mari. 



— 64 — 

la casligaiio ordinaire (1). En cas de divorce, le mari 
était également tenu de prendre l'avis du tribunal do- 
mestique. 

C'est dans ces cas et de cette manière que fonc- 
tionna le concilium jusqu'au début de l'Empire. Son 
influence, comme on le voit, fut considérable et son 
pouvoir s'agrandit au détriment de la puissance pa- 
ternelle. D'ailleurs les tribunaux publics devaient 
bientôt faire aux tribunaux domestiques, un échec 
définitif. Sous la République, les tribunaux publics 
ne sont saisis des délits imputables aux fils de famille 
et aux femmes en puissance que si le père de famille, 
assisté du concilium, a omis d'en connaître, et les 
cas devaient être rares où le paterfamilias se désaisis- 
sait ainsi de sa juridiction domestique. Mais peu à 
peu la loi, plus fortement conçue, les tribunaux pu- 
blics mieux organisés et ayant à leur tête des magis- 
trats experts, devinrent seuls compétents pour con- 
naître de toutes les affaires, anéantissant ainsi le tri- 
bunal domestique en lui enlevant sa juridiction. Cette 
absorption du pouvoir domestique par le pouvoir 
civil, se fit à la fin de la République ou au début de 
l'Empire. On ne supprima pas cependant le tribunal 
domestique, qui continua à vivre en théorie. La loi 
lui permettait toujours d'exercer son ancien pouvoir, 



(1) Nous avons signalé antérieurement l'exception qui résultait 
du cas de flagrant délit. 



— 65 — 

mais seulement à son défaut, si accusator publiais 
deesset (1). Mais malgré les recherches faites dans les 
textes, aucun exemple ne nous est parvenu. 

C'est dans ces conditions que fonctionna le tribu- 
nal de famille jusqu'au jour où une constitution des 
empereurs Valentinien et Valens vint en régler l'exer- 
cice (2). Dans le cas où les réprimandes paternelles 
n'avaient produit aucun effet, et où il fallait recourir 
à une punition plus sévère, le tribunal de famille 
était consulté. Cependant si la faute commise attei- 
gnait une certaine gravité « si gravior culpa fuerit 
adolescenlis », le jeune homme était traduit devant 
le magistrat. 

Tel fut l'état du droit sous l'empire et c'est ainsi 
que l'institution nous fut transmise lors de la con- 
quête. Incorporée au Code Théodosien, la constitu- 
tion de Valentinien et Valens passa en Gaule et y 
fut pratiquée. 



(1) Suétone, In Tiberio, chap. XXXV. 

(2) Impp. Valentinianus et Valens A. A. ad Senatum. In corri- 
gendis minoribus, pro qualitate delicti, senioribus propinquis 
tribuimus potestatem, ut quos ad vita? décora domesticae laudis 
exempla non provocant saltem, correctionis medicina com- 
pellat. Neque nos in puniendis morum vitiis potestatem in 
immensum extendi volumus, sed jure patrio auctoritas corrigat 
propinqui juvenis erratum, et privata animadversione compescat. 
Quod si atrocitas facti jus domesticae emendationis excedit, placet 
enormis delicti reos dêdi judicumnotioni. Dat. Prid. Kal. decemb. 
Valentiniano et Valente [365]. 

Masson. 5 



— 66 — 

Le tribunal de famille dans l'ancien droit. 

Quand se produisit l'invasion des barbares, les 
vaincus conservèrent leurs lois et eurent la liberté de 
les appliquer, tandis que les barbares restèrent fidè- 
les à leurs coutumes. Mais le droit romain ne tarda 
pas à pénétrer les coutumes barbares et celles-ci se 
modifièrent bientôt sous l'influence de ce droit forte- 
ment organisé qui passa longtemps pour le dernier 
mot de la sagesse et de la raison (1). 

L'institution du tribunal de famille dut être ac- 
cueillie favorablement par les Barbares, car il ne fai- 
sait que consolider et consacrer un état de choses et 
une coutume qui leur étaient chers. Chez aucun peu- 
ple, plus que les Germains, on ne trouve une concep- 
tion aussi forte du groupe familial. Chez eux, en 
effet, le groupe des parents et des proches est le spec- 
tateur obligé de tout ce qui se passe dans la famille. 
S'agit-il d'une déclaration de majorité (2), le jeune 
homme sera présenté à l'assemblée des guerriers en 
armes quand, de l'avis des proches, il en est reconnu 
digne. Si la jeune fille est recherchée px> mariage, le 
père et la mère ainsi que les parents assistent à l'en- 
trevue et agréent les présents, intersunt parentes ac 



(1) Viollet, Histoire du droit français, 2 me édition, p. 9. 

(2) Voir Lefebvre, Leçons d'introduction générale à Vhistoire du 
droit français, p. 314 et suiv. 



— 67 — 

mimera probant (1). Toute faute commise par un 
membre de la famille est réprimée par le groupe : la 
femme adultère sera dépouillée de ses vêtements et, 
la tête rasée, elle sera chassée par le mari en pré- 
sence des parents (2). Si l'un d'eux a souffert un af- 
front de la part d'un étranger, tous doivent s'armer 
pour la vengeance, c'est pour eux une obligation 
inéluctable, suscipere tam inimicitias patris, seu pro- 
pinqui quam amicitias necesse est (3). 

Les Barbares étaient donc bien préparés pour ac- 
cueillir favorablement l'institution du concilium, 
aussi n'est-il pas étonnant de voir plusieurs lois les 
consacrer (4). 

Un silence de plusieurs siècles se fit autour de 
l'institution et ce n'est que vers le XV e siècle qu'elle 
réapparaît dans un document législatif : les Statuts 
de Provence. Elle a, il est vrai, changé de nom, mais 
nous retrouvons dans l'arbitrage obligatoire ou com- 
promis entre parents, les caractères d'une juridiction 
domestique analogue à celle que nous vîmes jadis à 
Rome. 



(1) Tacite, Germanie, 18. 

(2) Tacite, op. cit., 19. 

(3) Tacite, op. cit. 24. 

(4) La loi des Lombards engage les parents à intervenir quand 
la femme est accusée injustement par son mari. « Si illa negaveril 
liceat parentibus eam purificare aut per sacramentum, aut per 
campionem, id est per pugnam. » Rotharis, n° 202. 



— 68 — 

La Provence avait toujours marqué un grand atta- 
chement pour le droit romain, mais certains statuts 
visant des espèces particulières y avaient dérogé ou 
avaient innové sur les points que le droit romain 
avait ignoré. C'est ainsi qu'un statut du mois de jan- 
vier 1469, voulant faire cesser les luttes continuelles 
entre nobles, obligea les Nobles et Gentilshommes du 
pays de Provence et de Forcalquier, ayant entre eux 
« grandes inimitiés et malveillance » (1), à compro- 
mettre contre leur gré, ce qui était contraire au droit 
romain. Et cela sous peine d'une amende de cin- 
quante à cent marcs d'argent selon la valeur du litige. 
Deux hommes nobles choisis par les parties devaient 
connaître de leur différend. 

Ce statut fut confirmé par les Etats Généraux de 
Provence de 1480, convoqués par Charles III, comte 
de Provence, de Forcalquier et des terres adjacentes. 

Dans son testament de l'année suivante (10 décem- 
bre 1481), Charles III instituait comme héritiers, le 
roi Louis XI, le Dauphin et ses successeurs à la 
couronne de France, en les priant de conserver à 
la Provence ses libertés, ses privilèges, ses franchi- 
ses, ses statuts, désirant que le bénéficiaire de ce 
testament les confirma comme il l'avait fait lui-même. 



(i) Julien, Nouveau Commentaire sur les statuts de Provence, 
t . I, p. 350. La requête est rédigée eu provençal et la réponse 
en latin. 



— 69 — 

C'est ce que fit Charles VIII par des lettres patentes 
données à Compiègne au mois d'octobre 1486 (1). 

Il eut bientôt à exercer sa juridiction à titre de 
comte de Provence, car en 1491, une requête lui fut 
adressée demandant d'établir l'arbitrage obligatoire 
dans les contestations entre personnes « parentes, 
affines et conjoinctes ». Le roi, tout en faisant obser- 
ver que le compromis obligatoire était contraire au 
droit commun (2) mais ne considérant que l'excellence 
des motifs, répondit : « Non obstant que cet article 
soit répugnant à la disposition du droit, toutefois 
pour ce que la requête procède de bien et équité : et 
pour le bien, et utilité du pays en ensuivant le Statut, 
dont dessus est faite mention, soit mandé à tous Of- 
ficiers, le garder et observer. Accordé l'an 1491. » 
Aux termes de l'ordonnance, il était prescrit que 
« devront compromettre personnes du dict Pays, pa- 
rentes, affines et conjoinctes. » 

Les Etats de Provence avaient énoncé, parmi les 
motifs qui rendaient l'institution de l'arbitrage dési- 
rable, l'espoir de voir de cette manière se « restrein- 



(1) Lettres de réunion définitive de la Provence à la couronne et 
maintien des libertés et franchises du pays. Recueil des anciennes 
lois françaises depuis l'an 420 Jusqu'à la Révolution de 1789. 
Isambert, Decrusy, Armet, t. XI, p. 166 et suiv. 

(2) Loi Si dictum, 56 ; Si compromisero, D. de eoictionibus. — 
D'Argentré, sur la coutume de Bretagne, art. 18, note 2, n° 4: 
Nemo compromitlere cogitur, non rnagis quam transigere aut 
contrahere. 



— 70 — 

dre la désordonnée habitude de plaigerie. » Cette ha- 
bitude était devenue très répandue et la procédure 
ancienne favorisait ce travers. Avant la création du 
parlement d'Aix, trois appels successifs pouvaient 
être interjetés, ce qui rendait le dénouement des pro- 
cès interminable. Tandis que si l'arbitrage avait eu 
lieu et qu'on eut fait appel de la décision de l'arbi- 
tre, dans le cas où le juge confirmait celle-ci, l'af- 
faire s'arrêtait là et le jugement devenait définitif. 
Aussi en imposant l'arbitrage obligatoire, pouvait-on 
penser avoir le remède convenable. 

Mais la création du parlement d'Aix jugeant sou- 
verainement et en dernier ressort, rendait l'arbitrage 
inutile. Le seul intérêt qu'il y aurait eu à conserver 
les juridictions arbitrales eut été les frais occasion- 
nés par la procédure du parlement ; mais, paraît-il, 
les sentences arbitrales occasionnaient des frais plus 
considérables encore. L'arbitrage obligatoire tombait 
donc en désuétude quand il fut consolidé et maintenu 
par les deux Statuts ci-dessus cités pour les contes- 
tations entre Nobles et Gentilshommes, les Seigneurs 
et leurs hommes et sujets ; les Universités et parti- 
culiers ; les parents affins et conjoints. 

L'on peut se demander si la règle de l'arbitrage 
obligatoire fut suivie avec une grande rigueur. Bomy 
au dix-septième siècle, annotant le Statut de 1469, 
met en marge : « On ne peut icy rié noter de nou- 



— 71 — 

veau ; d'autant que ce Statut p'est pas practiqué ; 
comme n'est aussi l'autre qui le suit » (1). 

Ceci est vrai sans doute pour l'époque à laquelle 
écrit Bomy, mais l'on doit croire, tout au moins en 
ce qui concerne le compromis entre parents, que ce- 
lui-ci fut pratiqué à l'origine. D'ailleurs, seuls, les 
parents étaient obligés de compromettre, et si un 
étranger figurait au procès, celui-ci cessait de ren- 
trer dans l'espèce visée par le Statut de 1491. 

Qui pouvait être arbitre ? En dehors des cas ordi- 
naires d'incapacité, nous savons que les religieux 
et les femmes étaient incapables de remplir cette 
fonction (2). Le pouvoir de l'arbitre ne pouvait s'éten- 
dre qu'aux choses énoncées dans le compromis ; au 
delà la décision rendue demeurait sans effet. Les 
arbitres étaient nommés par les parties, mais ils 
pouvaient se récuser ; cependant si l'un d'eux avait 
accepté ses fonctions, il était obligé de rendre une 
sentence (3). 

Cette législation locale parut heureuse et en 1560 



(4) Jean de Bomy, Statuts et coutumes du pays de Provence, 
1620, p 73. 

(2) Cependant celle incapacité cessait quand la femme exer- 
çait par ailleurs une juridiction. Jeanne de Bourbon, femme de 
Charles V, la comtesse d'Artois, élevée à la dignité de pair de 
France, furent appelées à se prononcer comme arbitre et le pape 
Alexandre III confirma une sentence rendue par une reine de 
France. 

(3) Guyot, Répertoire, au mot arbitrage. 



- 72 - 

le chancelier de l'Hospital fit rendre par François 
II un édit sur l'exécution des sentences arbitrales et 
sur la juridiction chargée des appels de ces senten- 
ces (1). Ce n'était que l'application du statut provençal 
étendue à toute la France. Dans l'édit, François II 
confirme le paragraphe 34 de l'ordonnance de 1510 
sur la réformation de la justice rendue par Louis XII 
aux termes de laquelle les sentences confirmées en 
appel par le juge, devaient être exécutées par la par- 
tie condamnée, quand celle-ci voulait interjeter un 
nouvel appel (2). L'édit de 1560 va plus loin : il veut 
que les décisions des arbitres « ayent telle force et 
vertu que les sentences données par nos juges, et que 
contre iceux nul ne soit reçeu appelant que préala- 
blement il ne soient entièrement exécutez. » Mainte- 
nant l'exécution devra suivre immédiatement la sen- 



(1) Isambert, Decrusy et Jourdan, Recueil général des anciennes 
lois françaises, tome XIV, p. 49. 

(2) « Item, que toutes parties qui compromettront eu arbitres, 
arbitrateurs ou amiables compositeurs, et chacun d'eux avec ad- 
jonction des peines ; après que la sentence sera donnée par les 
dits arbitres, arbitrateurs ou amiables compositeurs, la partie pré- 
tendant estre grevée, pourra recourir ou appeller au juge ordi- 
naire et si par le juge ordinaire la sentence des dits arbitres, ar- 
bitrateurs et amiables compositeurs est confirmée en ce cas, ne 
sera reçue partie à appeller de la dite sentence, sinon en payant 
préalablement l'arbitrage ; sauf toutefois à icelle recouvrer s'il 
est dit enfin la cause. » Dans le deuxième alinéa de l'édit de 1560 
le chancelier de l'Hospital ajoute que l'ordonnance rendue en vue 
d'abréger les procès n'a pas rendu les services qu'on en attendait. 



— 73 — 

tence arbitrale et le premier appel ne sera pas sus- 
pensif d'exécution. 

Les soins du chancelier de l'Hospital ne se bornè- 
rent pas là et quelques jours plus tard au même mois 
d'août 1560, un second édit fut promulgué étendant 
la compétence des arbitres. 

Ces édits ne sont pas, comme les statuts précités, 
un texte bref se prononçant d'une manière générale, 
c'est un véritable code sur la question. Les cas dans 
lesquels fonctionne l'institution sont déterminés avec 
exactitude ainsi que la composition du conseil, les 
pouvoirs qui lui sont attribués et la valeur de sa dé- 
cision : nous trouvons là la marque de l'esprit de 
l'Hospital. 

Dorénavant l'on sera tenu de constituer arbitre 
pour tous les faits, relatifs aux partages de « suc- 
cessions et biens communs de père ou mère, ayeuls, 
aveulies et enfans des enfans ; frères, sœurs, oncles 
et d 'enfans de frères et sœurs » ; il en sera de même 
pour les questions soulevées par les comptes de tu- 
telle et d'administration, et pour les restitutions de 
dot ou de douaire. Dans tous les cas, les « parents 
majeurs d'ans » devront élire trois parents, amis ou 
voisins. Si l'une des parties refuse d'élire l'arbitre, 
elle y sera contrainte par les juges qui sans doute le 
nommaient eux-mêmes quand celle-ci persistait dans 
son refus. Il y a vraiment là un tribunal de famille, 



— 74 — 

mais dont la compétence est circonscrite à ce qui 
ressort du domaine des intérêts pécuniaires. Mais, 
pour les questions qu'il est invité à connaître, le tri- 
bunal arbitral est une véritable cour souveraine et 
le jugement rendu par ces magistrats domestiques 
aura « force de chose jugée et sera mis en exécution 
par les juges du lieu. » 

Six ans plus tard, l'ordonnance de Moulins main- 
tient le tribunal arbitral. « L'ordonnance des arbi- 
tres pour les jugements des causes entre proches pa- 
rents en fait de partages et autres différends sera 
gardée et observée sans empêchement quelcon- 
que » (1). 

En 1609, Sully nous montre combien Henri IV te- 
nait aux arbitrages de famille et quel heureux résul- 
tat il en attendait (2). Dans tous les différends entre 
parents, le roi désirait que le demandeur fut tenu 
de s'en remettre « à l'arbitrage de quatre personnes 
choisies parmi les parents, ou amis des parties, deux 
pour chacune. » Un délai d'un mois était laissé aux 
parties pour élire leurs arbitres. Dans le^mois suivant 
ceux-ci devaient être saisis des pièces du procès et 
devaient rendre leur sentence dans le mois d'après. 
Enfin dernier délai d'un mois était laissé aux arbi- 



(1) Ordonnance de Moulins sur la ré forme de la justice, art. 83. 

(2) Mémoires de Maximilien de Béthune, duc de Sully, t. VII, 
livre XXVI, p. 209 et 2i0. Londres, in-12, H18. 



— 75 — 

très « pour nommer un sur-arbitre pour juger 

définitivement les points sur lesquels les voix au- 
raient été partagées. » 

Louis XIV ne fit pas de nouvel édit sur la ques- 
tion : il n'en était pas besoin ; mais dans l'ordon- 
nance du mois de janvier 1629, il entend « que l'or- 
donnance sur le fait des arbitrages du mois d'août 
1560 soit suivie » (1). 

La question fut donc souvent traitée. De nombreu- 
ses ordonnances s'en occupèrent, mais nous savons 
qu'elles étaient peu observées et « presque aussitôt 
oubliées que rendues » (2). Les auteurs des XVII e 
e? XVIII siècles qui se sont occupés de cette ques- 
tion sont d'accord sur ce point et ne parlent de l'ins- 
titution que pour montrer sa disparition. 

Quel que soit le nom qu'on lui donne, le tribunal 
arbitral était donc mort quand les législateurs de la 
Révolution tentèrent de le ressusciter malgré son 
insuccès. 



(1) Ordonnance (code Michaud) sur les plaintes des états as- 
semblés à Paris en 1614, et de l'assemblée des notables réunis à 
Rouen et à Paris en 1617 et 1626, art. 152. 

(2) Boncenne, Théorie de la procédure civile, introduction. 



SECTION II. — Le tribunal de famille sous la Révolution. 
(Loi des 16-24 août 4790). 



I. — Les préliminaires. 

Si nous avons insisté sur l'évolution historique du 
tribunal de famille, c'est que nous n'avons pas cru 
être en dehors de notre sujet en retraçant l'histoire 
un peu détaillée de l'institution. Nous croyons qu'il 
est d'une mauvaise méthode, d'étudier un point d'his- 
toire ou une institution en l'isolant des événements 
ou des tentatives qui l'ont précédé. 

Le tribunal de famille ne saurait donc être consi- 
déré comme une innovation des Constituants (1). En 
effet, l'institution qui fonctionna à Rome pendant plu- 
sieurs siècles, présente une grande analogie avec 
le tribunal de famille révolutionnaire. Nous avons 
vu d'autre part, comment notre ancien droit l'avait 
pratiqué. Mais nos édits cherchaient surtout à faire 
du tribunal d'arbitrage familial, un tribunal com- 



(i) Sagnac, La. législation civile de la Révolution française, p. 
311 et suiv. — Cf. Chassin, Le génie de la Révolution, t. II, p. 31 
et suiv. 



— 77 — 

pètent pour les questions du domaine des intérêts 
pécuniaires. Or, malgré les insuccès successifs des 
différentes ordonnances, un siècle n'a pas suffit pour 
faire oublier la dernière tentative de 1629. Les légis- 
lateurs de la Révolution ne vont donc faire qu'un 
nouvel essai en tentant de faire revivre l'ancienne 
institution. Ils modifieront, il est vrai, la compétence 
de cette juridiction domestique, lui donnant surtout 
pouvoir pour connaître et « réprimer les écarts » (1), 
dont se sont ou peuvent se rendre coupables les en- 
fants ; mais ils ne feront en cela, que se rapprocher 
de la conception romaine du concilium au point de 
vue de la compétence, justifiant ainsi La vérité de 
cette remarque, que l'histoire n'est qu'un perpétuel 
recommencement. L'essai, d'ailleurs, sera aussi in- 
fructueux, que furent infructueuses les tentatives de 
Louis XII, François II et Louis XIII. Ce n'est pas 
par une petite procédure que l'on arrive à de grands 
résultats, et quand le vice réside dans l'esprit des 
individus, c'est avant tout le cœur de l'homme qu'il 
faut changer. 

Mais nous devons reprendre notre étude, où nous 
l'avons laissée. 

Nous avons vu combien les lettres de cachet 
étaient, à la veille de la Révolution, une arme dan- 



(1) Loi du 16-24 août 1790, titre X, art. 15. 



78 — 



gereuse entre les mains de ceux qui les obtenaient. 
La façon arbitraire dont on les délivrait sous Louis 
XV, avait dégénéré en un dangereux abus. Nombre 
de pères de famille s'en étaient servis d'une manière 
injustifiée pour réprimer les prétendus scandales dus 
à leur fils, ou même simplement les désobéissances 
en perspective. L'histoire de Mirabeau, le récit de 
ses démêlés avec le sévère marquis de Mirabeau son 
père, ses internements successifs à l'île de Ré, à Ma- 
nosque, au château d'If, au donjon de Vincennes, 
ces trois derniers alors qu'il était marié, sont trop 
connus pour qu'il soit besoin de les rappeler (1). A 
la même époque, on cite l'exemple d'un jeune hom- 
me qui, à vingt-neuf ans, avait déjà fait l'objet de 
cinq lettres de cachet, délivrées à la requête de 
son père. 

Ces abus avaient ému l'opinion publique et les 
philosophes du XVIII e siècle avaient trouvé, dans les 
esprits d'alors, un terrain tout préparé pour y dé- 
poser avec succès leurs doctrines émancipatrices. 
On ne sera donc pas étonné de trouver dans les ca- 
hiers des Etats Généraux, des revendications en ce 
sens. C'est un cri presque unanime contre les lettres 
de cachet (2). Celles-ci étaient en effet un péril univer- 



(1) Darnis, Des tribunaux de famille dans le droit intermédiaire, 
p. 39 et suivantes. 

(2) Champion, La France d'après les cahiers de 1789, p. 70 et s. 



— 79 — 

sel. Malesherbes disait qu'aucun homme en, France, 
ne devait se croire « assez grand pour braver la 
vengeance d'un ministre, ou assez petit pour se dé- 
rober à l'inimitié d'un commis. » Quiconque avait un 
ennemi (et qui n'en a pas !) était sous le coup d'une 
lettre de cachet. Aussi, n'est-ce pas seulement dans 
les cahiers du Tiers que nous trouvons la demande 
de leur suppression, mais aussi dans ceux des pre- 
miers ordres : « Depuis longtemps on réclame con- 
tre le pouvoir arbitraire que les chefs de toutes les 
administrations exercent avec tyrannie et impunité... 
Que le roi fasse ouvrir les portes de la Bastille et 
des autres prisons d'Etat, qu'il interroge les malheu- 
reux qui y sont détenus, il serait surpris d'y trouver 
un si grand nombre de victimes de l'injustice des 
hommes qui ont abusé de son autorité » (1). Le cler- 
gé de Besançon tient un langage analogue, de même 
celui de Chatellerault, de Metz. Voilà dans quels 
termes s'exprime la noblesse de Bordeaux au sujet 
des lettres de cachet : « La justice et l'humanité com- 
mandent de ne pas perdre un instant ; un jour ajouté 
à la captivité d'une victime du pouvoir arbitraire, 
devient un crime de la société chargée de le proté- 
ger. Le premier acte de la Nation réunie, doit être 
un hommage à la liberté. Les députés demandent 



(1) Cahier du clergé de Loudun, art. 5. 



— 80 — 

qu'il soit formé dans le sens des Etats Généraux, 
un comité pour faire la recherche et l'examen des 
prisons soustraites à la juridiction des tribunaux. 
Qu'après cet examen, Sa Majesté soit suppliée de 
rompre les fers des malheureux, que de faux expo- 
sés, des trames ourdies par les passions et l'in- 
trigue, ou de légères faihlesses auraient conduits 
dans ces affreux séjours ; qu'après un préalable qui 
fera certainement connaître à quel degré peut monter 
l'abus de ces ordres vexatoires connus sous le nom 
de lettres de cachet, il soit statué sur leur suppres- 
sion absolue. » Les mêmes revendications se trou- 
vent dans les cahiers de la Noblesse de Provins, 
Montereau, Montpellier, Clermont en Beauvaisis, 
de Bar-le-Duc. La Noblesse de Paris, intra muros, 
demande en outre la destruction de la Bastille, et 
celle de Calais, celle de toutes les prisons d'Etat (1). 
Dans presque tous les cahiers, et leur nombre fut 
considérable, la suppression est demandée en termes 
plus ou moins indignés. Tandis que certains s'éten- 
dent en de longues diatribes, il en est qui résument 



(i) Les cahiers de Paris et de Montfort l'Amaury demandaient 
qu'à la place de la Bastille démolie, on établit une place publique 
et, au milieu, une colonne avec cette inscription : « A Louis XVI, 
restaurateur de la liberté publique. » Nous préférons encore 
l'inscription qu'avait proposée le district des Matburins-Sorbonne; 
« A Louis XVI, roi d'un peuple libre. » 



— 81 — 

leurs revendications à ce sujet par ce seul mot : 
« Plus de lettres de cachet » (1). 

Cependant il est certain cas où quelques cahiers 
demanderont le maintien des lettres de cachet : c'est 
précisément pour les fils de famille. Affranchir com- 
plètement l'enfant de l'autorité paternelle pourrait, 
pense-t-on, être dangereux ; il faut laisser au père 
de famille le pouvoir de châtier son fils lorsque ses 
débordements deviennent un sujet de scandale et 
l'incarcération paraît une mesure efficace. Aussi, 
importe-t-il de laisser au père une autorité suffisante. 
Malgré les argumentations philosophiques sur la li- 
berté de l'enfant, on considère que le laisser sous 
« l'autorité absolue » de ses père et mère, « tuteurs 
naturels » jusqu'à vingt ans, n'est pas une déroga- 
tion au droit naturel. Aussi la noblesse des baillages 
de Dourdan, Châlons-sur-Marne, Bar-sur-Seine, de- 
mande-t-elle que les père et mère puissent, sur « re- 
quêtes secrètes », faire subir une détention plus ou 
moins longue à leurs enfants mineurs de vingt 
ans (2). Mais voulant éviter le retour des anciens 
abus, « dans le cas où les père et mère ou tuteurs 



(1) A peine une vingtaine de cahiers ne demandent pas d'une 
manière absolue, la suppression des lettres de cachet et expri- 
ment seulement le désir de les empêcher « de servir à l'injus- 
tice et à l'oppression. » Ce sont en majorité des cahiers du 
clergé: clergés de Vitry-le-François, Caux, Armagnac, Limoges. 

(2) Chassin, Le génie de la, Révolution, tome II, p. 31. 

Masson. 6 



— 82 — 

auraient besoin du secours de la loi contre leurs 
enfants ou pupilles, il leur faudrait s'adresser aux 
tribunaux de justice, jugeant à huis clos » (1). Les 
tribunaux civils seront là pour couvrir de leur au- 
torité la décision du père. 

Cependant certains cahiers voulaient conserver au 
châtiment infligé au fils dont le père peut avoir à 
se plaindre, son caractère de punition domestique. 
C'est avec déplaisir qu'ils verraient la justice civile 
s'immiscer dans la famille. Pourquoi ne pas ressus- 
citer l'ancien tribunal de famille C'est à cet avis 
que se rangent un certain nombre de baillages (2). 
On rassemblera un conseil de famille auquel seront 
adjoints trois notables de la province. Les trois 
ordres de Saintes et ceux de Limoges pensent qu'il 
faut conserver au père une autorité suffisante pour 
châtier par incarcération le fils « coupable de graves 
désordres. » C'est également ce qui ressort de l'exa- 
men des cahiers du Tiers-Etat de Toulon et de 
Troyes. Mais le père, seul, sera incapable d'infliger 
une telle punition, il devra réunir un conseil de fa- 
mille composé de proches parents, qui sera appelé 
à concourir à la décision. Ce sera ce jugement rendu 



(1) Voir Cahiers de la noblesse de Dourdan, article Morale ; de 
Bar-sur-Seine, § 2° ; de Chalons-sur Marne, article 7. 

(2) Clergé de Paris hors-les-murs, chapitre II, art. 15 ; Noblesse 
de Condom, §11, art. 1 er . 



— 83 — 

par la famille constituée en tribunal, qui sera exé- 
cutoire, et à cette condition toutefois que la faute 
commise soit grave et que l'incarcération soit « tem- 
poraire et non. indéfinie ». 

Comme on le voit, terrifiés par les anciens abus 
dont on veut empêcher définitivement le retour, les 
baillages qui demandent le maintien de l'incarcé- 
ration, cherchent à l'entourer de toutes les garan- 
ties possibles. Ce n'est plus un ordre arbitraire, rap- 
pelant les lettres de cachet, mais un véritable juge- 
ment rendu par un tribunal d'exception. Nous com- 
prendrons alors pourquoi (plusieurs cahiers (1), qui 
demandent la suppression des lettres de « cachet » 
demandent cependant l'institution du tribunal de fa- 
mille. Il n'y a pas là contradiction. Un article de 
cahier est ainsi conçu : « On demandera l'autorisa- 
tion d'un tribunal de mœurs et de correction présidé 
par un officier municipal ; ce tribunal prononcera 
sur les fautes domestiques et privées dénoncées par 
les familles. » Or, c'est précisément le cahier du 
Tiers-Etat d'Aix, qui avait élu comme député Mira- 
beau, dont nous savons l'opinion sur les lettres de 
cachet (2). 

Il faudrait un examen beaucoup plus approfondi 



(i) Les trois ordres de Langres, les cahiers de Corse. 
(2) Mirabeau, Des lettres de cachet ; l'ouvrage fut publié à Ham- 
bourg en 1782. 



— 84 — 

des cahiers de 1789, pour voir les différents systèmes 
qui furent proposés. Cette étude serait d'un intérêt 
particulier et nous fournirait nombre de détails in- 
téressants. Mais nous devons nous borner à cette 
étude restreinte qui a montré suffisamment l'actua- 
lité de la question à la veille de la Révolution. Aussi 
n'est-il pas étonnant de voir l'attention des Consti- 
tuants se porter dès l'année suivante sur la régle- 
mentation du tribunal de famille, institution sur la- 
quelle les législateurs révolutionnaires fondaient 
tant d'espoir. 

II. — J l'Assemblée constituante. 

Le 17 juin 1789, le Tiers-Etat se déclarait Assem- 
blée Nationale et dix jours après la Noblesse et le 
Clergé se joignaient à lui. L'Assemblée Nationale se 
mit aussitôt à l'œuvre. 

Il n'est pas surprenant que l'attention des légis- 
lateurs se soit tout d'abord portée sur les trop fa- 
meuses lettres de cachet. Leur caractère d'arbitraire 
et d'oppression personnifiait l'ancien régime qu'il 
fallait remplacer par un régime de liberté. 

Le vœu de la nation exprimé dans ses cahiers, 
était leur suppression et le roi l'avait consentie dans 
une déclaration faite aux trois Ordres, le 23 juin : 
« Le Roi, désirant assurer la liberté personnelle de 
tous les citoyens d'une manière solide et durable, 



— 85 — 

invite les Etats à chercher et à lui proposer les 
moyens les plus convenables de concilier l'abolition 
des ordres connus sous le nom de lettres de cachet, 
avec le maintien de la sûreté publique et avec les 
précautions nécessaires, soit pour ménager dans cer- 
tains cas l'honneur des familles, soit pour réprimer 
avec célérité les commencements de sédition, soit 
pour garantir l'Etat des effets d'une intelligence cri- 
minelle avec les puissances étrangères (1) ». 

C'était le vœu de la Nation et tous étaient d'accord 
en principe sur leur suppression (2). Les partisans 
des lettres de cachet ne défendaient en elles, que 
leur application aux fils de famille. En effet, les 
lettres closes s'abattaient en particulier sur deux ca- 
tégories de personnes. Sous le nom de lettres de 
cachet politiques, elles servaient à faire interner à la 
Bastille ou dans quelque prison d'Etat, pour un 
temps indéterminé, parfois jusqu'à la fin de leurs 
jours, lorsqu'on oubliait la victime dans son cachot, 
les infortunés qui avaient eu le malheur de déplaire 
à quelqu'un de bien placé pour obtenir un ordre 
secret (maris importuns, créanciers gênants, faiseurs 
de libelles, etc., gens en général peu redoutables 
pour la sûreté de l'Etat) ; ou bien contre ceux dont la 



(1) Duvergier, t. I, p. 31, art. 15. 

(2) Chassaigne, Des lettres de cachet sous l'ancien régime, p. 45 
et suiv. 



— 86 — 

façon de penser donnait des inquiétudes aux minis- 
tres et aux gens en place. Une autre partie de la 
clientèle de la Bastille se recrutait parmi les fils 
de famille incarcérés sur l'ordre de pères trop ri- 
gides, pour des erreurs de jeunesse, ou seulement en 
prévision de celles qu'ils auraient pu commettre. 

Quant aux premiers, l'opinion était unanime (1). 
La seule question qui se posait, était celle de savoir 
par quel moyen l'on parviendrait maintenant, si l'on 
supprimait les lettres de cachet, à « prévenir le dés- 
honneur qui pourrait être imprimé aux familles par 
les désordres d'une jeunesse fougueuse », et c'est la 
question que le Roi avait posée aux Etats Généraux 
dans la déclaration que nous avons précédemment 
rapportée. « Quelles mesures faudrait-il prendre 
(( pour ménager dans certains cas l'honneur des fa- 
milles ? » La réponse se trouvait presque uniforme 
dans nombre de cahiers : c'était avec des divergences 
soit au point de vue de sa constitution, soit au point 
de vue de ses pouvoirs, la création d'un tribunal de 
famille. 

Mais avant d'entreprendre la discussion et de se 
mettre d'accord sur l'organisation de cette nouvelle 



(1) Voir dans les Archives Parlementaires à la date du 16 mars 
i790, t. XII, p. 201 et suivantes, les opinions diverses formu- 
lées par Fréteau, Pétion, Cazalès, Martineau, Robespierre, Mira- 
beau, Goupil de Préfeln. 



- 87 — 

institution et sur l'étendue de sa juridiction, une 
question urgente se posait : que faire des détenus 
incarcérés alors en vertu d'une lettre de cachet an- 
térieure ? leur sort, en effet, était digne d'intérêt. 
Les prisons d'alors regorgeaient d'hôtes et le nombre 
de ceux qui y étaient arbitrairement et injustement 
détenus, dépassait de beaucoup celui des criminels 
subissant une peine légitime. Une vérification était 
à faire immédiatement, car au moment où l'ère de la 
liberté venait de s'ouvrir, c'eût été se rendre complice 
des anciens abus, que de retarder d'une heure l'élar- 
gissement des victimes du pouvoir arbitraire. 

A la date du 24 novembre 1789, une commission 
spéciale fut nommée ; elle reçut le nom de Comité 
des Lettres de cachet. Les membres étaient au nom- 
bre de quatre, c'étaient Freteau de Saint-Just, le 
comte de Castellane,le comte de Mirabeau et Barrère 
de Vieuzac (1). Fréfeau de Saint-Just, nommé rappor- 
teur, rendait compte, le 16 mars 1790, des recher- 
ches faites par le comité et proposait les mesures à 
prendre vis-à-vis des différentes classes de déte- 
nus (2). Vivement combattu par Robespierre, après 
des amendements successifs, le projet de Saint-Just 
devait aboutir au décret du 26 mars consacrant l'a- 



(1) Archives parlementaires, t. X, p. 249. 

(2) Moniteur universel du 18 mars 1790. 



bolition des lettres de cachet (1). Le décret commence 
ainsi : « L'Assemblée Nationale étant enfin arrivée 
au moment heureux d'anéantir les ordres arbitraires, 
de détruire les prisons illégales et de déterminer une 
époque fixe pour l'élargissement des prisonniers qui 
s'y trouvent enfermés... considérant qu'il s'en trouve 
quelques-uns que leur famille a déférés à l'adminis- 
tration comme coupables de faits très graves, que 
l'on a crus certains et suffisamment avérés... a dé- 
crété et décrète ce qui suit. » 

Puis vient le décret composé de seize articles. L'ar- 
ticle 10 prononce l'abolition des lettres de cachet : 
« Les ordres arbitraires emportant exil ou tous au- 
tres de même nature, ainsi que toutes lettres de ca- 
chet, sont abolis et il n'en sera plus donné à l'a- 
venir. Ceux qui ont été frappés sent libres de se 
transporter partout où ils jugeront à propos. 

Art. 11. — « Les ministres sont tenus de donner 
aux citoyens ci-devant enfermés ou exilés, la com- 
munication des mémoires et instructions sur lesquels 
auront été décernés contre eux les ordres illégaux 
qui cessent par l'effet du présent décret. » 

Comme conséquence de la suppression des lettres 
de cachet, toutes les personnes détenues dans les 
« châteaux, maisons religieuses, maisons de force, 



(1) Duvergier, t. I, p. 142 et 143. 



— 89 — 

maisons de police et autres prisons », devaient être 
mises en liberté dans le délai de six semaines, à 
moins qu'elles ne soient également condamnées ou 
décrétées de prise de corps, qu'il y ait eu des plain- 
tes en justice portées contre elles pour raison de cri- 
mes portant peine afflictive, ou que leurs pères, mè- 
res, aïeuls ou aïeules, ou autres parents réunis, 
n'aient sollicité et obtenu leur détention d'après des 
mémoires et démarches appuyés sur des faits gra- 
ves. 

« Ceux qui seront déchargés d'accusation, recouvre- 
ront sur le champ leur liberté, sans qu'il soit besoin 
d'aucun ordre nouveau et sans qu'il puisse être 
permis de les retenir sous quelque prétexte que ce 
soit (art. 8). 

« Quant à ceux qui ont été enfermés sur la de- 
mande de leur famille sans qu'aucun corps de délit 
ait été constaté juridiquement, même sans qu'il y ait 
eu plainte portée contre eux en justice, ils obtien- 
dront leur liberté, si, dans Je délai de trois mois, au- 
cune demande n'est présentée aux tribunaux pour 
raison des cas à eux imputés » (art. 6). 

Les fils de famille, comme on le voit, furent traites 
avec une particulière rigueur. Tandis qu'en vertu 
de l'article 10, les détenus non retenus pour les 
causes particulières énumérées dans l'article pre- 
mier, furent élargis immédiatement, les fils de fa- 



— 90 — 

mille, incarcérés sur requête de leurs parents, durent 
attendre trois mois leur liberté, à condiiion toute- 
fois qu'une demande en maintien ne fut pas lancée 
contre eux. On ne voulait pas forcer le père à rece- 
voir son enfant immédiatement contre son gré. C'est 
encore une dernière trace de respect envers l'auto- 
rité paternelle, c'est son dernier vestige avant la loi 
des 16 et 24 août 1790. Enfin l'article 12 règle le 
sort des mineurs à leur sortie de prison : « Ils se- 
ront remis ou renvoyés à leurs pères et mères, tu- 
teurs ou curateurs. » 

C'est ainsi qu'on s'était efforcé de réparer les er- 
reurs dues à la législation défectueuse des siècles 
précédents ; mais que devaient faire pour l'avenir 
les législateurs de la Constituante ? Dans nombre 
de cahiers, on demandait la création du tribunal de 
famille ; ce fut l'ancienne institution que les Consti- 
tuants ressuscitèrent, malgré ses échecs successifs 
et qu'ils intercalèrent au titre X de la loi des 16-24 
août 1790 sur l'organisation judiciaire. 

Quel est l'esprit qui a présidé à cette institution ? 
Quel fut son but? 

« Faire de la famille une association régie comme 
le corps politique par la liberté et l'égalité, indépen- 
dante d'ailleurs de l'Etat, et en cela une association 
unique et privilégiée parce qu'elle est la seule na- 



— 91 — 

turelle, telle est l'idée directrice des révolution- 
naires » (1). 

Quant à son but, il était double dans l'esprit du 
législateur et c'est bien ainsi que le comprenait 
Thouret, rapporteur de la loi, lorsqu'il disait : cette 
institution « est nécessaire pour étouffer sans éclat 
les contestations de deux époux ou proches parents, 
qui sans cela, après avoir scandalisé la société, fi- 
nissent quelquefois par opérer la ruine d'une famille 
entière. L'autre objet de cette institution est de par- 
venir à corriger par des voies légales, les jeunes gens 
qui, encore sous l'autorité de leurs pères ou de leurs 
tuteurs, méconnaissent cette autorité et donnent les 
plus justes sujets d'alarme sur l'abus qu'ils peuvent 
faire de leur liberté (2). » 

A ne considérer que les termes de l'exposé de 
Thouret, on serait tenté de voir, dans le tribunal de 
famille, une institution heureusement inspirée et 
forte, tendant à faire de la famille une « république 
souveraine ». L'on prévoit qu'avec une famille con- 
çue sur le modèle de la famille patriarcale, l'enfant 
recevra une austère et sévère éducation, chacun des 
membres qui composent ce conseil domestique, atten- 
tif à ne laisser passer aucune faute sans la punir. 
Mais l'institution du tribunal de famille n'était pas 



(1) Sagnac, La législation civile de la Révolution, p. 305. 

(2) Discours de Thouret, séance du 5 août 1790, Moniteur du 6. 



— 92 — 

appelée à obtenir de si heureux résultats. L'autorité 
pour être efficace, doit être une ; la diviser, c'est 
l'anéantir. Cette autorité paternelle, si fortement con- 
çue, dont certes plus d'un père avait mésusé, mais 
dans laquelle se trouvait concentré néanmoins l'au- 
torité de la famille tout entière, Thouret et avec lui 
les législateurs qui vont le suivre, vont la décimer, 
la retirant à celui qui en est le dépositaire naturel, 
pour la disséminer entre les mains du groupe fami- 
lial : c'est ruiner la puissance paternelle. La raison 
de cette erreur se trouve dans la crainte qui hantait 
le législateur de la Constituante, de voir continuer à 
se produire les exemples révoltants de ces incarcéra- 
tions non justifiées dont tout le monde se souvenait. 
Mais le remède fut trop énergique ; on voulut atté- 
nuer la puissance paternelle ; on la supprima. Ce 
fut une erreur involontaire, car l'excellence des in- 
tentions du législateur ressort de la motion proposée 
par Gossin : « Après avoir rendu l'homme libre et 
heureux dans la vie publique, il nous restait à assu- 
rer sa liberté et son bonheur dans la vie privée. 
Vous le savez, sous l'ancien régime, la tyrannie des 
parents était souvent aussi terrible que le despotisme 
des ministres ; souvent les prisons d'Etat devenaient 
des prisons de famille. Il convenait donc, après la 
déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 



— 93 — 

de faire la déclaration des droits des époux, des 
pères, des fils, des parents, ete. » (1). 

L'avis sur cette question était presque unanime, 
mais où les opinions se partageaient, c'était sur 
la question de savoir jusqu'à quel âge l'autorité pa- 
ternelle ou plutôt celle du tribunal de famille, qui va 
lui être substituée, pourrait s'exercer sur l'enfant. 
L'âge primitivement proposé était celui de vingt ans. 
Seuls les mineurs de moins de vingt ans, seraient 
soumis aux décisions du tribunal de famille. Cet 
âge avait paru bien prématuré pour soustraire com- 
plètement l'enfant à toute autorité, et un membre 
avait demandé de retarder jusqu'à vingt-cinq ans 
l'heure où le jeune homme serait libéré définitivement 
de la surveillance du tribunal de famille et indépen- 
dant de sa juridiction. 

Ce n'est pas l'avis de Le Chapelier. A vingt ans, le 
jeune homme est capable de connaître la loi, c'est 
donc d'elle seule qu'il doit dépendre et non du tri- 
bunal de famille qui ne doit s'occuper que des ci- 
toyens que la loi n'aperçoit pas encore ; « il paraî- 
trait extraordinaire que celui que vous admettez à 
la prestation du serment civique, à ce premier pas 
vers la dignité de citoyen, ne fut pas affranchi des 
liens qui le retiennent à l'enfance » (2). 



(i) Archives parlementaires, t. XVII, p. 617. 
(2) Séance du 5 août, Moniteur du 6. 



— 94 — 

Cette opinion est également celle de Lanjuinais et 
de Barnave. « Je ne connais rien, dit ce dernier, qui 
avilisse plus les hommes que de les asservir dans un 
âge où la raison se développe, où le caractère se 
forme. » Il serait imprudent d'affranchir subitement 
et complètement le citoyen qui, jusqu'à vingt-cinq 
ans, sera resté sous la dépendance d'autrui. Lors- 
qu'il parviendra à cet âge, il sera appelé à concou- 
rir à la gestion des affaires publiques ; or, comment 
pourra-t-il le faire d'une manière utile et sage, si 
cette importante et grave fonction lui est confiée sans 
préparation, le lendemain même du jour où il se 
trouvait sous la dépendance presque absolue du tri- 
bunal de famille. Il faut lui ménager une transition 
et en l'affranchissant auparavant du joug du tribunal 
de famille, l'entraîner à la pleine capacité. « Vous 
ferez sagement en fixant à vingt ans le terme du pou- 
voir du tribunal de famille sur la liberté du citoyen. » 
Ce sont ces arguments que nous trouverons à nou- 
veau lors de la discussion des lois sur la majorité. 

L'amendement de Loys ne fut pas écouté. Ennemi 
d'une émancipation précoce, il pensait que ce n'est 
pas de vingt à vingt-cinq ans, alors que la jeu- 
nesse est la plus impétueuse, qu'il faut la laisser 
sans guide et sans frein. Rien n'est avilissant dans 
cette mesure de protection instituée pour préserver 
l'enfant des écarts dont on peut craindre qu'il ne se 



— 95 — 

rende coupable : « L'autorité du tribunal de famille 
ne peut dégrader l'homme puisque c'est l'autorité 
de la nature. » 

Ce fut en définitive l'avis de Le Chapelier qui pré- 
valut, quand celui-ci, après avoir proposé d'abord 
l'âge de vingt ans, eut retardé d'un an l'époque à la- 
quelle cesseraient les pouvoirs du tribunal de famille. 

Comme le dit Thouret et ainsi que le pense Gossin, 
le tribunal de famille a un double but : ce sera 
1° un tribunal appelé à juger les contestations entre 
parents et alliés, et 2° un tribunal chargé d'entendre 
les plaintes formées par les parents contre leurs en- 
fants, d'en examiner le bien fondé et de prononcer 
une sentence qui ne sera exécutoire qu'après avoir 
été ratifiée par l'autorité civile. 

1° Dans sa première fonction, le tribunal de fa- 
mille rappelle les compromis entre parents, tels que 
nous les avons trouvés dans les statuts de Provence. 

Dès 1789, les Constituants s'étaient occupés dans 
le projet du 22 décembre sur l'organisation judi- 
ciaire, de régler la procédure des litiges entre pa- 
rents et alliés. Le projet portait que « aucune femme 
ne pourra plaider contre son mari, aucun mari con- 
tre sa femme, aucun fils contre son père, aucun frère 
contre son frère, aucun pupille contre son tuteur, 
avant l'expiration de trois années après sa majorité, 
sans avoir consulté un tribunal de famille, composé 



— 96 — 
au moins de six parents qui jugeront par arbitra- 
ge (1) ». C'était l'arbitrage obligatoire. 

Ce projet fut repris et modifié par Thouret, qui 
l'incorpora au titre X du projet de loi sur l'organisa- 
tion judiciaire. Trois articles lui étaient consacrés 
(art. 12, 13 et 14). 

Avant la discussion des articles, Gossin, examinant 
les rapports entre époux, s'écriait : « Le tribunal de 
famille qui vous est proposé, Messieurs, va détruire 
pour jamais ces procès en séparation de corps (2), 
inconnus des anciens peuples et dont quelques na- 
tions modernes ont eu si longtemps à rougir (3). » 
Quels n'étaient pas les services que devait rendre 
le tribunal de famille dans l'esprit du législateur. 

L'airticle 12 fut proposé par Thouret rapporteur 
de la Commission. Audier-Massillon, de Folleville (4), 
Thévenot (5) proposèrent divers amendements. Leurs 
demandes étaient raisonnables. Si le nombre des pa- 
rents était insuffisant, il fallait permettre aux amis 



(1) Moniteur du 22 décembre. 

(2) Gossin était un adversaire irréductible de la séparation de 
corps qu'il appelle « un usage gothique » ; il demandait l'assimi- 
milation de la séparation de corps au divorce. 

(3) Archives parlementaires, t. XVII, p. 617. 

(4) De Folleville demandait à ce que, au cas où les parties ne 
s'accorderaient pas sur le choix des arbitres, ceux-ci fussent 
choisis d'office par les juges parmi les parents. 

(5) Thévenot désirait que la liberté fut laissée aux parties de 
choisir des amis ou voisins, si le nombre des parents n'était pas 
suffisant. 



— 97 — 

et voisins de venir le compléter. De même, il fallait 
autoriser le juge ordinaire à nommer d'office des ar- 
bitres pour la partie qui, par son mauvais vouloir et 
pour retarder la fin du débat, refusait de les nom- 
mer elle-même comme la loi le lui ordonnait. Thou- 
ret s'empressa de faire voter ces amendements, car 
l'institution commençait à être vivement attaquée, en 
particulier par Robespierre, et il était à craindre 
que, par des retards successifs, le succès de la pro- 
position ne fut compromis. 

L'article 12 proposait que, s'il s'élevait quelques 
contestations entre mari et femme, père et fils, frères 
et sœurs, neveux et oncles ou entre alliés au même 
degré, de même qu'entre les pupilles et leurs tuteurs 
pour des choses relatives à la tutelle, les parties 
fussent tenues de nommer des parents ou à leur dé- 
faut des amis ou voisins pour arbitres, devant les- 
quels leur différend serait éclairci et qui, après les 
avoir entendues, rendraient une décision motivée. 
L'article fut adopté sauf rédaction et voté définitive- 
ment le 16 août suivant, ainsi que les articles 13 et 14 
qui y furent ajoutés. 

Le nombre des arbitres avait été primitivement 
fixé à six dans le projet de 1789, mais à cause de la 
difficulté qu'il y avait à en réunir un tel nombre, 
celui-ci fut réduit à quatre. Chacune des parties 
nommait deux arbitres. Le demandeur nommait les 

Masaon. 7 



— 98 — 

siens et signifiait son choix à son adversaire qui, 
dans un délai que la loi n'a pas fixé mais que le de- 
mandeur devait indiquer dans sa signification, devait 
faire choix également de deux arbitres et tes faire 
connaître. Ceux-ci, après avoir tenté une concilia- 
tion, instruiront l'affaire comme un tribunal ordi- 
naire, ayant le droit de s'adjoindre un surarbitre en 
cas de partage d'opinion. C'est un véritable tribunal 
d'exception qu'on a pu comparer aux tribunaux de 
commerce (1). Il est à remarquer d'ailleurs, que la 
loi s'est exprimé d'une façon bien vague pour définir 
la compétence de ces tribunaux d'exception (« si quel- 
que contestation s'élève, etc. »). La sentence arbi- 
trale devra être présentée au président du tribunal de 
district qui, après vérification, apposera en fin du 
jugement une formule exécutoire. En cas d'appel, le 
tribunal de district se prononcera en dernier res- 
sort (2). 

C'est ce même tribunal de famille que nous retrou- 
verons dans la loi du 20 septembre 1792 sur le di- 
vorce (3). Son rôle n'est pas absolument le même que 
dans la loi de 1790. Dans le cas de divorce par con- 
sentement mutuel, l'Assemblée de famille ne sera 



(1) Darnis, Des tribunaux de famille dans le droit intermédiaire, 
p. 68. 

(2) Le délai d'appel était de huitaine à compter de l'ordon- 
nance du président. 

(3) Voir Olivier Martin, La crise du mariage dans le droit 
intermédiaire. 



— 99 — 

convoquée que pour faire des remontrances aux 
époux, et tenter une conciliation. Il en était de même 
en cas de divorce sur la demande d'un seul des 
époux sans cause déterminée (1). Lorsque le 
divorce était demandé pour une cause déterminée 
et que la cause invoquée n'était pas établie par juge- 
ment (2), le tribunal de famille jugeait si la demande 
était fondée. Si celui-ci répondait affirmativement, 
on renvoyait le demandeur devant l'officier munici- 
pal qui prononçait le divorce. 

Le rôle du tribunal de famille en cette matière, 
fut-il très efficace ? Il est permis d'en douter. Le lé- 
gislateur fut-il plus heureux dans l'application qu'il 
fit du tribunal de famille comme régulateur de la 
puissance paternelle ? C'est ce que nous allons exa- 
miner. 

2° Les articles 15, 16 et 17 étaient ainsi conçus : 

Art. 15. — « Si un père ou une mère, ou un aïeul, 

ou un tuteur a des sujets de mécontentement très 



(1) La réunion du tribunal de famille paraît une formalité bien 
inutile, car tout avait été probablement dit auparavant entre les 
époux et leurs parents, et cette nouvelle réunion devait amener 
sans profit pour personne de nouvelles scènes désagréables et 
pénibles. On a peine à croire que le législateur ait fondé un 
grand espoir sur cette institution. Dans le second cas, après une 
première convocation, le tribunal était convoqué deux mois 
après, puis, après un nouveau délai de trois mois, nouvelle 
réunion, procédure sans doute aussi vaine que la précédente. 

(2) Si la cause invoquée était établie par jugement il devenait 
inutile de convoquer le tribunal de famille. 



— 100 — 

graves sur la conduite d'un enfant ou d'un pupille, 
dont il ne puisse plus réprimer les écarts, il pourra 
porter sa plainte au tribunal domestique de la famille 
assemblée, au nombre de huit parents les plus pro- 
ches ou de six au moins, s'il n'est pas possible d'en 
réunir un plus grand nombre ; et à défaut de pa- 
rents il y sera suppléé par des amis et des voisins. 

Art. 16. — (( Le tribunal de famille après avoir vé- 
rifié les sujets de plainte pourra arrêter que l'enfant, 
s'il est âgé de moins de vingt ans accomplis, sera 
renfermé pendant un temps qui ne pourra excéder 
celui d'une année dans les cas les plus graves. 

Art. 17. — « L'arrêté de famille ne pourra être 
exécuté qu'après avoir été présenté au président du 
tribunal de district qui en ordonnera ou refusera 
l'exécution, ou en tempérera les dispositions après 
avoir entendu le commissaire du Roi, chargé de vé- 
rifier sans forme judiciaire les motifs qui auront 
déterminé la famille. » 

L'article 15 fut adopté immédiatement (1). On était 



(1) Dans le projet primitif, le numérotage des articles était 
différent et notre article répondait au numéro 13; c'est le 
numéro d'ordre qui lui est donné pendant le cours des discus- 
sions. Mais lors de la promulgation du décret, le numérotage des 
derniers articles du titre X, dut être changé. A l'origine, en effet, 
le tribunal de famille, pour ce qui touche sa compétence dans 
les conflits entre époux, ne faisait l'objet que d'un seul article. 
Celui-ci fut adopté sauf rédaction et celle-ci nécessita l'adjonc- 
tion de deux articles supplémentaires qui recula le numérotage 
des derniers articles de deux numéros. 



— 101 — 

en effet d'accord sur le principe de l'institution. 
Celle-ci, attaquée cependant par quelques partisnns 
irréductibles des lettres de cachet, trouva un défen- 
seur ardent dans la personne de Mirabeau : « Hâ- 
tons-nous, disait-il, d'établir un tribunal de famille. 
Prévenons les crimes par la justice et non par l'ar- 
bitraire. Il n'y a pas lieu de délibérer. » 

L'article, adopté sans changement, instituait le 
tribunal de famille ; mais le rôle de celui-ci était tout 
différent de celui qu'il avait à remplir aux termes 
des articles 12, 13 et 14. Ce n'est plus un tribunal 
de conciliation, c'est un tribimal de répression. D'au- 
tre part, le nombre de ses membres sera porté de 
quatre ou cinq en cas de partage de voix, à six au 
moins et huit au. plus. Le nombre de six est une to- 
lérance de la loi : « Six... s'il n'est pas possible d'en 
réunir un plus grand nombre ». Si l'on ne peut pas 
réunir ce nombre de six parents, les amis et les voi- 
sins seront appelés à le parfaire ; mais ils ne seront 
appelés qu'à défaut de parents. Ce mot « à défauî 
de parents », n'exprime pas seulement l'impossibilité 
de réunir le nombre requis parce que ceux-ci sont 
morts ou malades ou trop éloignés, il y a encore 
défaut quand ceux-ci refusent de se rendre à l'appel 
du père, de la mère, de l'aïeul ou du tuteur. 

Une fois le nombre suffisant, le tribunal se réunira 
et examinera le cas qui lui est soumis ; il a une 



— 102 — 

sentence véritable à rendre. Les membres du tribu- 
nal sont des juges et le langage de la loi est très 
significatif : le père pourra « porter sa plainte » de- 
vant l'assemblée de famille. 

De ce que la loi se sert du mot « pourra », il ne 
faudrait pas en déduire que l'institution du tribunal 
de famille laisse intacte la puissance paternelle. Le 
père, par le décret des 16-24 août, est dépouillé d'une 
façon absolue du droit qu'il avait autrefois, d'infliger 
à son fils sans contrôle, un châtiment de quelque sé- 
vérité. La seule alternative qui lui soit possible, est 
de déférer son fils au tribunal familial qui appré- 
ciera, ce qui n'est pas pour lui obligatoire, caractère 
qui est marqué par l'emploi du mot « pourra », ou 
bien de pardonner. 

Si le père s'adresse au tribunal de famille, c'est 
celui-ci qui se prononce ; le rôle du père est celui 
d'un accusateur. Pour réprimer un abus, l'on était 
tombé dans une exagération opposée, et après avoir 
reconnu autrefois au père- de famille une autorité 
sans limite, on se méfie maintenant de ses décisions 
qui sont devenues suspectes. Il fait partie cepen- 
dant de l'assemblée familiale, mais la présidence ne 
lui en a pas été confiée, pour être donnée à un ma- 
gistrat de l'ordre judiciaire. C'est le juge de paix 
qui sera président du tribunal, comme il l'est de toute 
assemblée familiale délibérant « sur la nomination 



— 103 — 

des tuteurs , la personne, l'état ou les affaires 

des mineurs (1) ». L'autorité paternelle recevait là 
une grande atteinte : réduit au rôle de dénonciateur, 
le père se trouvait ainsi posé en adversaire de son 
fils. Ce n'est certainement pas ainsi que l'on pouvait 
développer dans le cœur de l'enfant les sentiments de 
respect et d'affection qui font les familles unies et 
fortes. 

Mais les pouvoirs du tribunal de famille n'étaient 
pas sans limite. L'on voit déjà apparaître ici cette 
tendance qui se développera peu à peu et que les 
Conventionnels vont élever au rang de principe so- 
cial : l'Etat se substituant à la famille. La loi de 
1790 confie à l'assemblée de famille le soin de véri- 
fier les griefs du père, et si elle en reconnaît le bien 
fondé, elle peut prononcer une peine d'emprisonne- 
ment qui ne peut excéder un an. Mais cette sentence 
n'était qu'un désir et était dépourvue de moyens 
d'exécution. Pour que cette décision put produire 
son effet, elle devait être présentée au président du 
tribunal de district qui en ordonnait ou refusait l'exé- 
cution. L'exécution de l'arrêté de famille est donc 
suspendue tant que le pouvoir judiciaire ne l'a pas 
ratifié. D'ailleurs ce n'est pas uniquement d'une sorte 
de veto dont dispose le président du tribunal de dis- 



(1) Art. 11, titre III, même loi. 



— 104 — 

trict. Son pouvoir d'appréciation est plus complet, 
car non seulement il peut ne pas sanctionner la déli- 
bération du conseil de famille et refuser l'application 
de la peine qui lui est demandée, mais il peut en- 
core modifier la peine qui est requise quant à sa 
durée et quant à sa sévérité ; il n'est pas lié par la 
délibération familiale. D'ailleurs son opinion peut 
être modifiée par le commissaire du Roi que le pré- 
sident du tribunal est oblige d'entendre. Le rôle du 
commissaire est en effet de vérifier les motifs qui ont 
déterminé les parents à se prononcer dans le sens 
d'une condamnation. C'était un échelon nécessaire, 
car il est toujours difficile d'acclimater des institu- 
tions nouvelles, surtout quand elles ont pour but de 
combattre les pratiques et les façons de penser an- 
ciennes. Si un officier public n'avait pas été chargé 
de contrôler les décisions familiales, on aurait eu à 
déplorer la persistance, dans les vieilles familles 
fortement attachées aux anciens usages, des abus 
dont la répression avait nécessité la nouvelle légis- 
lation. Fidèles aux anciennes traditions, les membres 
du tribunal se seraient fait complices du père de fa- 
mille, couvrant par leur sentence, l'arbitraire de la 
décision paternelle. Le juge de paix était là, il est 
vrai, mais nous savons en quoi consiste son rôle dans 
les conseils de famille actuels. Celui qu'il jouait dans 
la réunion du tribunal de famille, ne devait pas être 



— 105 — 

sensiblement différent et une entente préalable entre 
les membres de la famille l'aurait rendu facilement 
dupe. L'intervention du commissaire du roi, organi- 
sant une enquête, était une sauvegarde pour le mi- 
neur. Au projet de loi proposé par Thouret, Loys 
proposa par amendement, d'ajouter que le commis- 
saire du roi procéderait à l'enquête « sans forme de 
procès ». L'amendement, adopté par le rapporteur, 
fut remplacé, dans la rédaction définitive, par les 
mots : « sans forme judiciaire ». 

D'ailleurs, toute autorité n'était pas enlevée au père 
de famille ; il reste encore maître de l'éducation de 
son fils et capable de le punir. Ce n'est seulement que 
dans les « cas très graves », que le père est obligé 
de s'en rapporter au tribunal de famille. La loi n'a 
pas défini, d'une manière explicite, les cas dans les- 
quels ce recours était obligatoire ; elle s'est conten- 
tée d'une expression vague. Mais le droit antérieur 
et les abus auxquels on a voulu remédier, nous ren- 
seignent suffisamment. On a voulu éviter les incarcé- 
rations pour un temps indéterminé requises par le 
père seul. On doit donc entendre par « cas très gra- 
ves », ceux dans lesquels la punition à infliger était 
une peine d'emprisonnement. Le tribunal de famille 
était alors convoqué et c'est sur son avis conforme, 
et seulement après les formalités que nous savons, 
que le mineur pouvait être conduit dans une pri- 



— 106 — 

son pour y subir sa peine, qui ne pouvait excéder un 
an. 

La création du tribunal de famille fut regardée par 
les contemporains, comme une des institutions sur 
lesquelles on devait fonder le plus d'espoir (1). Ce- 
pendant elle ne fut pas sans essuyer quelques criti- 
ques qui, hélas, étaient fondées, comme le prouve 
le peu de succès que l'institution remporta en pra- 
tique. 

Un des grands défauts des révolutionnaires de 
1789, est d'avoir eu les yeux trop souvent fixés sur 
l'antiquité. Les héros de la Grèce et de Rome tien- 
nent une place considérable dans les discours d'alors, 
en particulier dans ceux de la Convention, et c'est 
une erreur d'avoir voulu modeler la France de 1789 
sur les républiques antiques. Que le tribunal de fa- 
mille ait heureusement fonctionné au temps de Ca- 
ton, alors que la famille romaine, fortement consti- 



(1) M. Planiol, dans son Traité de droit civil, tome 1 er , 2« édi- 
tion, p. 703, note 1, cite l'opinion enthousiaste d'un contempo- 
rain. Cette pratique devait enfanter « la probité, la bonne intelli- 
gence, la concorde, la piété filiale, l'amour paternel,... tout ce 
qu'il y a de plus sublime, de plus aimable et de plus touchant 
parmi les vertus. » Guichard, Traité du tribunal de famille. Le 
Moniteur du 1 er avril 1791, portait ce jugement sur l'œuvre de 
Guichard et sur l'institution elle-même : « Parmi les nombreux 
écrits que le nouvel ordre de choses fait éclore chaque jour, on 
doit distiuguer le Traité du tribunal de Famille, ouvrage com- 
posé en vue de procurer une exécution facile et régulière à l'une 
des plus belles lois émanées de l'Assemblée Nationale. » 



— 107 — 

tuée, était rigoureusement soumise au paterfamilias, 
ce n'était pas une raison suffisante pour tenter de 
l'introduire en France à l'heure où la famille est en 
train de se désagréger. L'époque était mal choisie. 
« Toutes ces institutions sont excellentes en elles- 
mêmes, mais elles ne répondront pas aux espérances 
qu'on a fondées sur elles (1) ». 

Est-ce d'ailleurs un avantage aussi sûr et une 
garantie aussi certaine, que d'élire comme juges dans 
les affaires de la famille, les parents eux-mêmes ? 
Est-on bien sûr de leur impartialité, et n'est-on pas 
en droit de penser que leur affection pour l'une des 
parties en cause, pourra influer sur l'avis qu'ils émet- 
tront. Le juge étranger peut certainement envisager 
avec plus de sang-froid le litige qui lui est soumis. 
De plus, dans les conflits entre parents et alliés, ses 
connaissances techniques le mettent plus à même 
que quiconque de rendre un jugement motivé. D'ail- 
leurs la compétence accordée au tribunal de famille 
était tellement vaste, que, pour se conformer à la 
loi, on devait se trouver dans la nécessité de le con- 
voquer fréquemment. Dans certaines familles et à 
certains moments, il devait siéger en permanence et 
l'on comprend alors que ceux qui étaient appelés à 



(1) Véret, Réflexions sur l'arbitrage, les bureaux de paix et les 
tribunaux de famille. 



— 108 — 

en faire partie, cherchassent souvent les moyens de 
se soustraire à cette charge. On sollicitait alors des 
voisins ou des amis dont l'indifférence était à crain- 
dre. 

La place laissée au père dans le conseil familial 
était également un des vices du système. On lui 
avait enlevé une magistrature qu'il tenait de la na- 
ture, il ne pouvait être remplacé par d'autres (1). 

On s'aperçut bientôt que le nombre des procès 
n'avait pas diminué depuis la création du tribunal 
de famille qui devait les supprimer. Loin de rame- 
ner l'ordre et le calme au sein de la famille, celle-ci 
était au contraire fréquemment troublée par ces pro- 
cédures. Le tribunal de famille avait donc manqué 
son but, et un contemporain disait : « On risque de 
n'y trouver ni capacité ni lumière (2) ». 

Quelles que soient les atteintes que l'on ait portées 
à la puissance paternelle, elle avait été expressément 
reconnue par la loi des 16-24 août 1790, puisque 
celle-ci avait pour but de la restreindre. 

C'est à la Convention qu'il appartenait de l'anéan- 
tir. En cela les Conventionnels ne feront que conti- 
nuer leur œuvre de destruction systématique et ap- 



(1) Nougarède, Lois de famille, p. 79. 

(2) Creuset-Latouche, Réflexions sur l'institution des tribunaux 
domestiques ou de famille. 



— 109 — 

pliquer à la puissance paternelle, les principes qu'ils 
ont adoptés (1). 

Nous ne ferons que mentionner les lois du 10 juin, 
du 2 octobre 1793, du 1 er messidor an II (2). Nous 
ne retiendrons que l'extension donnée à l'arbitrage, 
et le caractère obligatoire qu'on lui a prescrit. 
Nous n'avons pas voulu passer ces décrets sous si- 
lence parce que le sort du tribunal arbitral est lié à 
celui du tribunal de famille. 

III. — La suppression du tribunal de famille. 

La Convention s'occupa fréquemment du tribunal 
de famille et y consacra plusieurs décrets : loi du 7 
messidor an II, du 17 pluviôse, du 18 thermidor, du 
28 thermidor an III. 

Mais après la Convention cesse l'attaque dirigée 
contre la puissance paternelle. L'esprit qui va pré- 
sider aux nouvelles discussions et les inspirer sera 
bien différent de celui que nous avons remarqué jus- 
qu'ici. Si quelque orateur élève encore de temps à 
autre la voix pour défendre les institutions votées 
par les législateurs de la Convention, la majorité 
ne se ralliera pas à son avis, et les Assemblées, gui- 



(1) Ce chapitre étant réservé à l'étude du tribunal de famille, 
la puissance paternelle sous la Convention, sera examinée plus 
loin, dans le chapitre consacré à la majorité. 

(2) Duvergier, V, 403 ; VI, 251 ; VII, 239. 



— 110 — 

dées par ceux qui vont devenir les rédacteurs du 
Code, et instruites par l'exemple, s'appliqueront à 
élaborer des lois plus saines, qui, par leur esprit 
plus pondéré et plus juste, seront plus durables. 

Après la crise que la France a traversée, l'on as- 
pire à retrouver le calme. Un besoin impérieux d'or- 
dre se fait sentir. On sent que, pour y parvenir, il 
faut substituer aux institutions chancelantes de la 
Convention, une législation plus sûre, plus humaine, 
mieux équilibrée. C'est ce souci constant que nous 
allons remarquer au cours de l'époque que nous 
allons étudier. 

Si cependant quelques institutions subsistèrent en- 
core quelque temps, l'arbitrage et le tribunal de fa- 
mille furent des premières à disparaître. Oudot, dans 
un projet de résolution présenté au conseil des Cinq- 
Cents, le 14 pluviôse an IV, jugeant que le tribunal 
de famille n'a pas rendu les services que le législa- 
teur en attendait, en demande la suppression. A la 
fin du même mois de pluviôse, plusieurs rapports 
sont présentés par Abolin, Berlier, J.-B. Desmolin 
tendant à la suppression de l'arbitrage. Le court 
projet de résolution de Berlier, qui contient deux 
articles, considère l'arbitrage comme contraire à la 
Constitution. 

Oudot, dans un second rapport, attaque le prin- 
cipe de l'arbitrage forcé, comme étant une atteinte 



— 111 — 

« au principe de la liberté du choix des juges, en ce 
cju'il force d'en prendre d'autres que ceux qui sont 
nommés par le peuple (1). » De plus, les citoyens 
sont privés dans ces sortes de jugements des formes 
solennelles, instituées pour l'exercice de la justice et 
qui sont une garantie et une précaution légale pour 
que celle-ci soit rendue avec exactitude et équité. 
« Relativement aux tribunaux de famille nous avions 
pensé qu'il était moral et utile de vous proposer de 
substituer des parents aux assesseurs... Mais nous 
avons pensé que si cette mesure pouvait avoir quel- 
quefois de grands avantages, elle serait le plus sou- 
vent inutile. Nous avons cru atteindre le même but 
de moralité et d'utilité en autorisant le juge de paix 
à s'aider d'un conseil de famille pour la conciliation 
dans les cas où les contestations qui existent entre 
parents sont de nature à irriter les passions, à pro- 
duire des haines quelquefois éternelles, ou à rendre 
publics des faits scandaleux et qu'il importe de ne 
pas divulguer (2) ». 

Il se trouva cependant quelqu'un pour défendre 
les tribunaux de famille, c'est Tlenaud (de l'Orne). Il 
s'oppose à cette allégation, que la Constitution ait 
aboli implicitement les tribunaux de famille. Com- 
ment, en effet, imaginer que le législateur « ait voulu 



(1) Moniteur du 5 ventôse an IV, séance du 29 pluviôse 

(2) Moniteur du 5 ventôse an IV, séance du 29 pluviôse. 



— 112 — 

détruire une institution aussi belle, aussi touchante, 
aussi utile que celle dont il s'agit. » Cette apprécia- 
tion de Renaud étonne, car,, au dire des contempo- 
rains, la pratique des tribunaux de famille pendant 
les quelques années qu'ils avaient fonctionné, n'a- 
vait pas donné de résultats satisfaisants. Néanmoins, 
se refusant à l'évidence, Renaud continuait, « rien 
n'est plus important pour la République que les tribu- 
naux chargés d'étouffer les haines et les animosités 
domestiques, de ramener la paix et le bonheur dans 
la famille... Au nom des mœurs, citoyens, gardez- 
vous d'y toucher » (1). Le seul grief que Renaud se 
permet de faire à cette institution tant vantée, est la 
lenteur avec laquelle elle opère. Il faut donc garder 
la pratique du tribunal de famille et essayer seule- 
ment de le perfectionner en cherchant le moyen de 
lui faire rendre une justice plus expéditive. Au pro- 
jet de Oudot, demandant la suppression du conseil 
familial, il propose de substituer un projet complé- 
tant les lois antérieures sur la matière (2). En ré- 



(1) Moniteur du 6 ventôse an IV, séance du 29 pluviôse. 

(2) « Le Conseil des Cinq-Cents, considérant qu'il est intéres- 
sant pour les mœurs et pour la République que les contestations 
entre parents aient le moins d'éclat possible. 

« Considérant aussi qu'il importe d'empêcher les lenteurs que 
mettent les tribunaux de famille à terminer les affaires soumises 
à leur décision, a pris la résolution suivante. 

Article premier. — Les décisions des tribunaux de famille ne 
pourront être portées par appel devant les tribunaux civils de dé- 



— 113 — 

ponse, Berlier dépose un projet tendant à la suppres- 
sion du tribunal de famille. 

Le résultat de l'examen de La commission fut 
exposé quelques jours après, à la séance du 9 ven- 
tôse par Paradis : « Cette institution est belle sans 
doute, mais nombre de familles n'avaient pas des 
membres assez éclairés pour devenir juges ; l'in- 
tention du législateur fut trompée, il fallut décider 
que les parties n'étaient point obligées de choisir 
leurs juges parmi leurs proches, et dès ce moment 
les tribunaux de famille n'en conservèrent plus que 
le nom » (1). Paradis signale un autre défaut du tri- 
bunal de famille et des arbitres familiaux. Ceux-ci 
ne se bornaient pas à être des juges, rôle que leur 
avait confié la loi ; peu à peu ils prirent partie dans 
l'instance pour ceux qui les avaient nommés, et se 
firent leur avocat. On s'appliqua dès lors, non pas à 



partement qu'après que la conciliation aura été tentée devant le 
juge de paix et ses assesseurs. 

Art. 2. — Les tribunaux de famille seront obligés de pronon- 
cer sur les contestations portées devant eux dans le délai d'un 
mois de leur formation. 

Art. 3. — Si les tribunaux négligeaient de prononcer leur 
jugement pendant ce délai, l'une des parties pourrait porter 
l'affaire immédiatement devant le juge de paix et ses assesseurs 
pour être conciliée, et si la conciliation ne peut avoir lieu, le 
juge de paix renverra sur le champ la contestation devant le 
tribunal civil. » 

Projet proposé par Renaud (de l'Orne) au conseil des Cinq-Cents. 

(I) Compte rendu de la séance du 9 ventôse, Moniteur du 15. 
Maison. 8 



— 114 — 

choisir comme arbitres les parents les plus proches, 
mais plutôt les plus habiles : ceux-ci devinrent des 
(( défenseurs officieux ». Reprenant un argument de 
Oudot, Paradis fit en outre remarquer que la Cons- 
titution de l'an III avait pris soin de ne pas sanction- 
ner les tribunaux de famille, laissant ainsi aux par- 
ties la faculté de s'en remettre à leur décision, sans 
en faire une obligation. Ceux-ci ne sont d'ailleurs pas 
compris dans l'organisation judiciaire. Guidée par 
toutes ces considérations, la Commission propose 
« que les affaires dont le jugement était par les lois 
antérieures à la Constitution attribué aux tribunaux 
de famille, seront portées devant les juges ordinai- 
res ». 

Mais quel serait le sort des jugements rendus par 
les conseils familiaux depuis l'acceptation et la mise 
en activité de la Constitution ? Devait-on les annuler 
complètement ou les laisser subsister ? Le Conseil 
des Cinq-Cents décida qu'on les laisserait subsister 
à titre de simple jugement de première instance sus- 
ceptible d'appel devant le tribunal civil du départe- 
ment. 

Ce fut l'objet de la loi du 9 ventôse an IV qui pro- 
nonça l'abolition des tribunaux de famille. 

Telle fut la destinée de cette institution sur la- 
quelle on avait fondé de si magnifiques espérances. 
Son admission temporaire dans notre législation n'a 
pas laissé de traces et après un peu de bruit fait au- 



— 115 — 

tour d'elle, elle est retombée dans l'oubli. Elle a 
emporté avec elle les séduisantes illusions qu'elle 
avait fait naître dans les esprits enthousiastes d'alors, 
mais qui sont demeurées des rêves irréalisés. 

A l'époque où nous nous sommes arrêtés, les légis- 
lateurs comprirent le néant de l'institution révolution- 
naire, et le danger qu'il y avait à obéir à une législa- 
tion aux bases fragiles. Il fallait infuser à la nation 
un sang nouveau, ramener l'ordre, et faire surgir des 
ruines accumulées une constitution meilleure et un 
droit mieux organisé. 

On s'appliqua après la suppression du tribunal de 
famille à rendre au père l'autorité dont il avait été 
dépouillé au profit de l'institution disparue. « Les fa- 
milles sont la pépinière de l'Etat », selon l'expression 
de Portalis, il convient donc de faire des familles for- 
tes et on ne pourra mieux y parvenir qu'en accordant 
à son chef le pouvoir suffisant pour maintenir l'ordre 
dans son sein. 

Ce principe paraissait d'une importance tellement 
primordiale, qu'en 1801, l'Institut de France propo- 
sait comme sujet de concours, la question suivante : 
« Quelles doivent être dans une République bien or- 
ganisée, l'étendue et les limites du pouvoir du 
père? (1) ». 



(1) Cité par Sagnac, La. législation civile et la révolution fran- 
çaise, p. 363. 



— 116 — 

La réponse à cette question se trouve dans les tra- 
vaux préparatoires du Code Civil. On ne songe plus 
à contester la légitimité de la puissance paternelle ; 
celle-ci est de droit naturel. D'ailleurs, on ne peut 
avoir aucune crainte en confiant au père cette auto- 
rité ; il n'en usera, dit Bigot du Préameneu (1), « que 
par un sentiment d'affection et pour l'intérêt de l'en- 
fant, il n'agira que pour remettre dans le chemin de 
l'honneur sans l'entacher, un enfant qu'il aime, mais 
que cette tendresse même l'oblige à corriger ; ce sera 
en effet le cas le plus ordinaire, celui par conséquent 
que la loi doit supposer (2) ». 

Ce n'est donc plus, comme autrefois, du père que 
l'on se méfie, c'est contre le fils qu'il existe une pré- 
somption de faute. 

Lorsqu'on aborda la question du tribunal de fa- 
mille, Berlier et Treilhard demandèrent qu'il fut con- 
sacré par le Code. Cambacérès combattit cette idée 
et rejeta le concours de la famille dans les procès 
entre parents, « attendu que trop souvent les haines 
et les intérêts séparent ceux que le sang unit ». Bi- 
got du Préameneu pense également qu'il faut éviter 
tout (( procès entre le père et le fils, fut-ce devant la 






(1) Sur l'orthographe de ce nom, voir l'ouvrage de M. Planiol, 
Traité élémentaire de droit civil, tome I, page 24, note 2. 

(2) Fenet, Travaux préparatoires du code civil, tome X, p. 495. 



— 117 — 

famille. Le père ne pourrait le perdre sans perdre en 
même temps une grande partie de son autorité » (1). 
Cette tentative est la dernière et le tribunal de fa- 
mille est définitivement une institution morte. 



(1) Fenet, Travaux préparatoires du code civil, tome X, p. 495. 



CHAPITRE II 

L'instruction publique dans ses rapports 
avec la puissance paternelle. 



On est étonné du nombre de décrets qui se suc- 
cèdent sur cette matière de 1791 à 1795. 

Nulle œuvre en effet n était plus susceptible d'ap- 
peler l'attention des législateurs révolutionnaires que 
celle de l'éducation et de l'instruction publique. C'est 
par l'éducation populaire que devaient pénétrer dans 
le cœur des foules et y germer les principes de 1789, 
et cette assimilation était nécessaire à la durée de la 
Constitution. Les fondateurs de la première Répu- 
blique ne s'y étaient pas trompés ; leur auxiliaire le 
plus précieux et l'aide nécessaire, ils devaient le 
trouver dans le peuple. Ils devaient donc le conqué- 
rir et le détacher, au moyen d'une éducation républi- 
caine, des anciens principes sur lesquels reposait la 
monarchie et auxquels le peuple des campagnes res- 
tait encore attaché. La solidité et la durée de l'œu- 
vre révolutionnaire reposaient sur cette conquête. 



— 119 — 

Ainsi se trouve justifié le reproche de Guizot qui ac- 
cusait Talleyrand,Condorcet et Daunou de n'avoir eu 
pour idéal que la République et de n'avoir songé à 
faire que des républicains. 

Faire des défenseurs de la nouvelle cause, c'est en 
effet le seul but que les Conventionnels se soient pro- 
posé. Dépassant les systèmes d'éducation nationale 
proposés sous l'Assemblée législative par Condorcet 
et auparavant par Talleyrand, par une sorte d'esprit 
sectaire, ils firent de l'école, moins un mode d'ensei- 
gnement libre accessible à tous, qu'une chaire d'élo- 
quence républicaine obligatoire pour tous. L'idée très 
belle d'un enseignement national gratuit qui avait été 
celle des premiers économistes, fut ainsi faussée et 
devint, du moins pour l'enseignement primaire, une 
atteinte à la liberté individuelle. 

Cependant il faudrait, croyons-nous, se garder de 
tomber dans une erreur regrettable qu'on serait peut- 
être tenté d'adopter. De ce que les Conventionnels 
aient eu une foi trop grande dans leur œuvre, et de 
ce que les institutions révolutionnaires aient été peut- 
être trop vantées par certains historiens du XIX e siè- 
cle, il ne faudrait pas en conclure, tombant dans une 
exagération opposée, que l'œuvre de la Convention 
fut uniquement regrettable et de nulle utilité. Après 
plus d'un siècle écoulé, on peut juger les institutions 
d'autrefois avec plus d'indépendance et plus de rai- 



— 120 — 

son. Ainsi, malgré l'erreur des révolutionnaires de 
1793, les lois de la Convention restent cependant une 
tentative intéressante, et si parfois nous sommes in- 
dignés des discours d'un Jacob Dupont ou d'un Du- 
cos, il n'en est pas moins vrai que l'idée d'un ensei- 
gnement universel et gratuit est un effort très méri- 
toire. D'ailleurs, qui pourrait songer que l'éloquence 
de Talleyrand, de Condorcet, de Lakanal, de Dau- 
nou, soit restée sans effet ; c'est sur leur initiative 
que la France fut dotée d'un plus grand nombre d'é- 
coles primaires, de nouveaux collèges et lycées, de 
l'Ecole Polytechnique, du Conservatoire des Arts et 
Métiers, du Conservatoire de Musique, de l'Ecole des 
Beaux-Arts. 

La Révolution avait fait table rase du passé. « Pour 
tout reconstruire, disait Mirabeau, la Révolution 
avait été forcée de tout démolir » (1). D'ailleurs, les 



(1) Mirabeau en effet ne devait pas rester indifférent à ces 
questions. Il nous reste de lui quatre discours sur ce sujet. Le 
premier ayant pour objet l'organisation du corps enseignant; le 
second s'occupant de l'organisation des fêtes publiques et mili- 
taires (on considérait en effet les cérémonies civiques comme 
aptes à développer dans le cœur des enfants, des sentiments 
patriotiques et républicains, et faisant à ce titre partie d'un sys- 
tème d'éducation générale) ; le troisième discours proposait l'or- 
ganisation d'un lycée national ; le quatrième présentait un plan 
d'éducation pour l'béritier présomptif de la couronne et indiquait 
la nécessité d'organiser le pouvoir exécutif. 

Ces quatre discours furent publiés après sa mort sous ce titre 
Travail sur l'éducation publique, trouvé dans les papiers de 



— 121 — 

révolutionnaires avaient fait bon marché du système 
scolaire antérieur. C'est sur leur foi qu'on a porté 
pendant longtemps sur l'instruction publique en 
France avant la Révolution, un jugement incomplet 
et inexact. Des études récentes ont jeté un meilleur 
jour sur cette partie de notre histoire. 

Quelles que soient ses imperfections et ses insuffi- 
sances, il existait cependant avant 1789, un système 
scolaire. Comme il résulte d'une ordonnance de 1698, 
il y avait, même avant cette époque, des écoles de 
paroisses en nombre insuffisant il est vrai, puisque 
l'ordonnance a pour but d'en augmenter le nombre. 
« Voulons, dit la dite ordonnance, que l'on établisse, 
autant qu'il sera possible, des maîtres et maîtresses 
d'école dans toutes les paroisses où il n'y en a point 
pour instruire les enfants... (1) ». L'ordonnance de 
1698 est intéressante à plus d'un titre, car nous y 
trouvons également l'ordre donné aux pères de fa- 
mille, d'envoyer leurs enfants à l'école pour les y 
faire instruire. « Enjoignons à tous, pères, mères, 
tuteurs et autres personnes qui sont chargées de l'é- 
ducation des enfants, de les envoyer aux dites écoles, 
jusqu'à l'âge de 14 ans. » Ce qui enlève à cette obli- 



Mirabeau, et publié par J.-G. Cabanis, docteur en médecine, 
Paris, Imprimerie Nationale, 179t. 

(1) Jourdan, Isambert, Decrusy, Recueil général des anciennes 
lois françaises, tome XX, p. 317, art. 9 et 10. 



— 122 — 

gation tout caractère d'arbitraire odieux, c'est le soin 
et le droit laissé aux pères de choisir eux-mêmes le 
maître chargé de l'éducation de l'enfant. D'ailleurs, 
malgré cette latitude, il est à croire que l'ordre 
royal n'était pas suivi avec une grande exactitude, 
puisque une ordonnance postérieure fut nécessaire 
pour rappeler aux pères de famille cette obli- 
gation (1). Un certain nombre d'ouvrages assez ré- 
cents, ont étudié le fonctionnement des écoles parois- 
siales dans certaines provinces et les statistiques 
qu'ils ont tentées prouvent que leur nombre, quoique 
insuffisant, était déjà considérable (2) (3). 



(1) Déclaration du 14 mai 1724 ; Jourdan, Isambert, Decrusy, 
Recueil général des anciennes lois françaises, t. XXI, p. 264 et suiv. 

(2) Daunou dans son Rapport sur l'instruction publique, présenté 
au nom de la Commission des Onze et du Comité d'instruction 
publique dans la séance du 23 vendémiaire an IV, portait ce 
jugement sur l'instruction publique en France, avant 1789 : « On 
ne pouvait pas dire qu'il n'y avait pas d'instruction chez un 
peuple qui commençait à méditer les écrits des Dalembert (sic), 
des Condillac et surtout de cet immortel auteur de l'Emile. » 

(3) Voir notamment : Dubord, L'Instruction primaire avant 
4789. — Faye, L'Instruction publique avant la Révolution. — 
Bonnel, De l'Instruction publique à Lyon avant 1789. — Foulques 
de Villaret, L'Instruction primaire avant 1789 à Orléans et dans 
les communes de l'arrondissement. — Guibert, L'Instruction pri- 
maire en Limousin sous l'ancien régime. — Urseau, L'Instruction 
primaire avant 1789 dans les paroisses du diocèse actuel d'Angers. 
— Bourilly, Les Cahiers de l'instruction publique en 1789. — 
Maître, L'Instruction publique dans les villes et dans les campa- 
gnes du Comté nantais avant 1789. — De Resbecq, Histoire de 
l'instruction primaire avant 1789, dans les communes qui ont 
formé le département du Nord. — Narbonne, L'Instruction 



— 123 — 

Quant à l'enseignement secondaire, tout porte à 
croire qu'il était suffisamment organisé, puisque c'est 
lui qui forma tant d'esprits d'élite qui furent la gloire 
d'un grand siècle et qui, jusqu'à nos jours, restèrent 
inégalés. 

La Révolution, dans sa haine du passé, devait pros- 
crire le système scolaire antérieur. Les régicides de 
1793 ne pouvaient admettre un enseignement dans 
lequel la royauté était considérée comme étant de 
droit divin. Le programme des législateurs révolu- 
tionnaires fut de tout anéantir pour tout réédifier. 

Aux séances des 10, 11 et 19 septembre 1791, Tal- 
leyrand, au nom du comité de constitution, fait un 
rapport et propose un projet à l'Assemblée nationale. 
Il demande l'instruction universelle existant 'pour 
tous les citoyens. Tout individu aura le droit de se 



publique à Narbonne avant 1789. — Chabrand, Etat de V instruc- 
tion primaire dans le Briançonnais avant 1790. — Gauthier, 
Histoire de V instruction publique avant 1789 dans le département 
de la Haute-Savoie et dans l'ancien diocèse de Genève. — Veuclin, 
Notes historiques sur Vinstruction publique avant la Révolution 
dans la ville de Bernay et les environs. — Delmas, Notice histori- 
que sur Vinstruction primaire à Apt, de 1377 à nos jours. — 
Plion, L'Instruction publique à Compiègne avant la Révolution. — 
Lacroix, Bibliothèque historique, L'Instruction primaire dans la 
Drôme av.int 1789. — Angot, Essai sur Vinstruction primaire 
avant 1789 dans le doyenné de Grez-en-Bouère (diocèse de Laval). 

— Gardère, L'Instruction publique à Çondom sous l'ancien régime. 

— Gaillard, L'Instruction publique à Saint-Flour de 1249 à 1881. 

— Laveille, L'Instruction primaire dans l'ancien diocèse d'Avran- 
ches avant la Révolution. 



— 124 — 

présenter aux écoles pour en suivre les cours et nul 
ne pourra en être légitimement privé ou exclu. D'ail- 
leurs, l'instruction ne pourra commencer pour les 
enfants qu'à l'âge de six ou sept ans. Avant cet âge, 
l'enfance est trop délicate et les soins qu'elle exige 
ne sont pas du ressort de l'Etat. « Il a fallu la nour- 
rir, la soigner, la fortifier, la rendre heureuse ; c'est 
le devoir des mères » (1). Cette partie de l'éducation 
leur appartient, et pour se diriger dans cette tâche 
délicate elles n'auront qu'à suivre les préceptes que 
leur a laissés l'auteur d'Emile (2). « Mais à peu près 
vers l'âge de sept ans, un enfant pourra être admis 
aux écoles primaires. Nous disons admis pour écar- 
ter toute idée de contrainte. La nation offre à tous les 
bienfaits de l'instruction ; elle ne les impose à per- 
sonne. Elle sait aussi que chaque famille est aussi 
une école primaire dont le père est le chef. » Il n'y 
a donc pas d'obligation pour le père de famille. La 
proposition de Talleyrand est pleine de sagesse ; le 
bienfait de l'instruction est à la portée de tous, mais 
le législateur a laissé à chacun la faculté d'en profi- 
ter. Sans porter atteinte à l'autorité paternelle, celui- 
ci laissait au père la faculté de donner à ses fils un 



(1) Rapport sur V instruction publique présenté au nom du comité 
de constitution à V Assemblée nationale, par M. de Talleyrand- 
Périgord, ancien évêque d'Autun. 

(2) Voir aussi la Nouvelle Héloïse, 5 me partie, lettre de Saint- 
Preux à mylord Edouard. 



— 125 — 

maître de son choix. C'était le respect du mot Li- 
berté écrit en tête de la Constitution. Talleyrand ne 
pensait pas qu'il put en être autrement ; il ne se dou- 
tait pas que les temps étaient proches où la France 
serait semblable à cette république ancienne dont il 
signalait les erreurs, « qui, pour établir une éducation 
strictement nationale, osa d'abord ravir le titre de 
citoyen à la majorité de ses habitants... et se vit en- 
suite obligée de briser tous les liens de famille, tous 
les droits de la paternité, par des lois contre lesquel- 
les s'est soulevée, dans tous les temps, la voix de la 
nature. » 

Un an nous sépare à peine du jour où un Conven- 
tionnel demandera, au milieu des applaudissements, 
renseignement obligatoire des écoles de l'Etat pour 
tous les citoyens. 

Quelques mois après le discours de Talleyrand, 
Condorcet présentait un autre rapport et développait 
un plan complet d'instruction nationale. Il proposait 
même à l'Assemblée un programme d'études en fai- 
sant remarquer qu un système d'éducation sembla- 
ble, devant convenir à tous les citoyens, l'on ne 
devait donc admettre l'étude d'aucun culte dans les 
écoles de la Nation. Cette instruction spéciale serait 
du ressort des ministres de chaque religion. « Ainsi, 
disait-il, les parents, quelle que soit leur opinion sur 
telle ou telle religion, pourront alors sans répugnance 



— 126 — 

envoyer leurs enfants dans les établissements 
nationaux » (1). Nous ne trouvons donc aucune obli- 
gation imposée dans le projet de Condorcet. Il ré- 
sulte bien du fragment que nous venons de citer, que 
la proscription des études religieuses n'est qu'une 
preuve de libéralisme et n'a d'autre raison d'être 
que de mettre la conscience des pères à l'abri et, par 
cette neutralité, de les engager à envoyer leurs en- 
fants dans les établissements qui seront fondés, mais 
toutefois sans les y contraindre en aucune manière. 

Les événements ne permirent pas de donner suite 
à ce projet (2) et le rapport de Condorcet resta sans 
effet. 

C'est au mois de décembre seulement que la dis- 
cussion, suscitée par le problème de l'éducation na- 
tionale, fut reprise avec un projet nouveau. Sur l'ini- 
tiative de Joseph Chénier, le premier article est voté 
le 12 décembre, c'est la loi du 22 frimaire an I qui 
institue les écoles primaires (3). 

Le premier article seul fut voté ; les autres furent 
livrés à la discussion. Le nombre des rapports et des 
projets qui furent proposés, fut considérable et prouve 



(1) Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de 
l'instruction publique présentés par Condorcet les 20 et 21 avril 
1792. 

(2) Le même jour, Louis XVI, entraîné par Dumouriez, avait 
proposé à l'Assemblée la déclaration de guerre à l'Autriche. 

(3) Duvergier, t. V, p. 99. 



— 127 — 

combien cette matière avait paru importante aux 
Conventionnels. L'école n'est-elle pas, comme le di- 
sait l'un d'entre eux, « la pépinière des citoyens » ! 
Mais l'esprit qui va présider à ces débats, sera tout 
autre que celui qui avait inspiré les orateurs de 
l'Assemblée Législative. Nous entrons maintenant 
dans la phase aiguë de la discussion et il y a loin de 
l'éloquence grave de Condorcet à la rhétorique force- 
née de Jacob Dupont et de Ducos. Comme l'a dit un 
écrivain, les législateurs de la Convention sont moins 
des jurisconsultes que des sectaires. 

Masuyer, qui ouvre La discussion aussitôt après le 
vote de l'unique article de la loi du 22 frimaire, expose 
qu'une éducation nationale doit être publique et 
commune à tous, gratuite, graduelle, constante et 
universelle. Tous les citoyens doivent se trouver con- 
fondus, pour ne former qu'un tout, la République : 
« Que la Nation s'empare du citoyen nouveau-né ; 
que le jour de son inscription au registre des vivants 
soit une fête civique ; que les parents viennent dans 
le temple auguste de la Liberté le consacrer à la Pa- 
trie entre les mains des vieillards. » Il est d'ailleurs 
difficile de savoir quelle fut à cette époque la teneur 
exacte du discours de Masuyer, celui-ci ne nous étant 
pas parvenu dans sa forme primitive (1). 



(1) Il ne fut imprimé, en effet, que beaucoup plus tard, et l'au- 
teur, en modifiant quelques passages, incorpora dans celui-ci des 



— 128 — 

C'est à cette même séance que fut distribué le pro- 
jet de Lanthenas. Celui-ci, en effet, élaboré depuis 
quelques jours ne fut probablement pas prononcé. 
Cette œuvre est sans originalité ; elle n'est qu'un ré- 
sumé succint des projets antérieurs. « Dès l'âge de 
six ans, les enfants de l'un et l'autre sexe y viendront 
puiser (à l'école nationale) des connaissances très- 
simples sans doute, mais dont l'ensemble suffira 
néanmoins pour soustraire la classe laborieuse à la 
dépendance où son ignorance l'a jusqu'à présent rete- 
nue » (1). Rien n'est dit expressément sur le carac- 
tère ni le degré de l'obligation qui pèsera sur les 
pères de famille et, en tout cas, elle reste sans sanc- 
tion. 

Depuis que l'ancien système d'éducation avait été 
abrogé pour faire place à un régime nouveau, les 
établissements libres s'étaient multipliés. Jaoob Du- 
pont dans un discours, où il fait naturellement profes- 



fragraents de discours prononcés postérieurement. L'impression 
en fut commencée en 1793, interrompue par la mise en état d'ar- 
restation de son auteur et terminée enfin en juin 1795. La date 
de 1793, mise sur la première page, explique l'erreur commune 
de quelques auteurs qui placent ce discours dans les premiers 
joursde 1793. Voir ce que dit M. Guillaume dans son édition des 
Procès-verbaux du Comité de l'instruction publique de la Conven- 
tion Nationale, t. I, p. 131. Ce discours, qui contient quatre-vingt- 
dix-huit pages in-8°, est presqu'un ouvrage. 

(1) Rapport et projet de décret sur l'organisation des écoles 
primaires de Lanthenas. 



— 129 — 

sion d'impiété et d'athéisme (1), qui fut fort applaudi, 
demande la suppression de ces établissements inuti- 
les, puisqu'un enseignement universel va être orga- 
nisé, et où les pères de famille préparent des ennemis 
à la Révolution. 

C'est quelques jours après que Ducos posa nette- 
ment, le premier, la question d'obligation laissée jus- 
qu'alors indécise. Plus d'écoles autres que celles de 
la Nation, et, hanté par le spectre de l'ancien régime, 
il s'écrit : « Les rois, les nobles, les prêtres, sont des 
enfants de l'erreur. Le retour des préjugés, voilà la 
véritable contre-révolution » (2). » Le procès des ins- 
titutions libres tient en un mot : « La première con- 
dition des institutions libres, est de n'enseigner que 
des vérités : voilà l'exclusion des prêtres. » Blessés 
par une telle décision, bien des pères auraient préféré 
faire instruire leurs enfants au sein de la famille, plu- 
tôt que de les confier à l'école nationale. Ducos avait 
vu le péril : « Je pense, disait-il, que tous les enfants 
nés de la République doivent être astreints, pour par- 
venir aux emplois publics, de suivre pendant un cer- 
tain espace de temps les écoles primaires... Il faut 



(1) C'est lui qui poussa ce cri resté célèbre : " La Nature et la 
Raison, voilà les dieux de l'homme, voilà nos dieux.» Si nous en 
croyons un discours de Joseph Serre, député des Hautes-Alpes, 
Joseph Dupont aurait été abbé. 

(2) Séance du 18 décembre, Moniteur du 20, Archives parle- 
mentaires, t. LV, p. 141. 

Masson, 9 



— 130 — 

opter* entre l'éducation domestique et la liberté ; car, 
tant que, par une éducation commune, vous n'aurez 
pas rapproché le riche du pauvre, le faible du puis- 
sant..., c'est en vain que vos lois proclameront la 
sainte égalité, la République sera toujours divisée en 
deux classes : les citoyens et les messieurs. » Les 
charges publiques ne seront désormais confiées qu'à 
ceux qui auront puisé une éducation et une instruc- 
tion républicaines dans les écoles nationales et qui 
auront acquis, par leur séjour dans les établissements 
officiels, une sorte de certificat de civisme. Cet acte 
de despotisme révolutionnaire est un empiétement 
sur l'autorité paternelle à laquelle il se substitue. Les 
pères de famille seront désormais, d'après le désir de 
Ducos, obligés d'envoyer leurs enfants aux écoles de 
la République sous peine de les voir frapper d'une 
mise à l'index des fonctions publiques. 

L'enseignement obligatoire, que Ducos propose, est 
appuyé par Leclerc. Le Comité avait laissé l'enseigne- 
ment facultatif tel que l'avait entendu Condorcet. 
Leclerc s'adressant au rapporteur : « Votre comité, 
dit-il, permet aux riches de s'abstenir des écoles... : 
les riches ne seront que trop disposés à céder à ces 
insinuations. » D'ailleurs par un raisonnement spé- 
cieux vraiment admirable, l'orateur ne voit pas là 
une atteinte à la liberté. Forcer les parents à envoyer 
leurs enfants aux « écoles du citoyen » ce n'est pas 



— 131 — 

gêner la liberté, car la Nation ne fait en cela, au 
contraire, que s'assurer que chaque individu aura les 
moyens de la conserver ; « et là dessus la Républi- 
que ne doit s'en rapporter qu'à elle-même. » Il est 
impossible de trouver mieux comme sophisme. Aussi, 
n'est-on pas étonné d'entendre affirmer aussitôt, 
qu'une telle proposition ne blesse en rien l'autorité 
paternelle et qu'elle n'a pour but que « d'exercer 
celle de la Nation » (1). Leclerc propose dans l'article 
premier de son projet que « nul ne sera dispensé d'en- 
voyer ses enfants aux écoles du citoyen », estimant 
que le droit à l'éducation est une dette de l'Etat à la- 
quelle celui-ci ne peut pas se soustraire, mais dont le 
citoyen qui en est créancier, ne peut pas faire remise 
et dont il est obligé de profiter. Du reste Leclerc en- 
visage moins l'intérêt du citoyen que celui de la cause 
qu'il sert : ce qu'il veut empêcher, c'est que les pères 
de famille ouvrent « leurs âmes aux malignes im- 
pressions des prêtres » qui les inciteraient à vouer 
« leurs enfants à l'ignorance, tant les préjugés ont 
encore d'empire ». « Que faut-il donc pour régénérer 
nos mœurs ? Une éducation commune. On n'y par- 
viendra pas sans ce moyen. » 

Les discussions furent interrompues pendant quel- 



(1) Procès-verbaux d u Comité d'Instruction publique de la Conven- 
tion, 1. 1, p. 194 et suivantes". — Archives parlementaires, t. LV, 
p. 143 et suiv. 



— 132 — 

ques jours sur la demande de Marat pour traiter 
l'affaire de Rethel. Elles furent rouvertes sur un pro- 
jet déposé par Romme : celui-ci, laissant en suspens 
la question de l'obligation, s'attache surtout à la gra- 
tuité et à l'exclusion du professorat des ci-devant 
nobles et ecclésiastiques. La révision de ce premier 
projet fut presque aussitôt ordonnée. 

Nous ne nous arrêterons pas davantage à l'examen 
du projet du pasteur protestant Rabaut Saint- 
Etienne, bien qu'il ait soulevé un grand enthousias- 
me. « Il faut faire des Français, un peuple nouveau... 
lui présenter une éducation aimable, séduisante, en- 
chanteresse, lui inspirer la liberté, l'égalité, la fra- 
ternité surtout, ce sentiment aimable et doux, la pre- 
mière loi, l'unique bonheur de la société » (1). Ce 
sont les chimères d'un « rêveur » (2). 

Jusqu'alors l'obligation proposée était demeurée 
sans sanction. Dans un nouveau projet dû à Bancal, 
et déposé à la Convention le 24 décembre, l'article 15 
prononce une peine à la foi morale et pécuniaire qui 
sera encourue par ceux qui auront fait infraction à 



(1) Convention Nationale, Projet d'instruction nationale pré- 
senté par J. P. Rabaut, député de VAude, 21 décembre 1792. 

(2) Cf. Orieux, Essai sur l'instruction publique en France sous 
la première Révolution, discours prononcé à la Société amicale 
des anciens élèves de l'école de Nantes, 1888, p. 11 et 12. 

M. Hippeau dans son ouvrage sur : VInstruction publique en 
France pendant la Révolution, trouve, dans ce discours, « quel- 
que chose d'admirable et de vraiment touchant. » 



- 133 — 

la loi, lorsque les projets déposés antérieurement au- 
ront pris corps et auront été convertis en une loi vo- 
tée par l'Assemblée. L'article proposé est ainsi con- 
çu : <( Tous les enfants de la République devront re- 
cevoir la même éducation élémentaire ; les pères, 
mères ou tuteurs dont les enfants n'iraient pas aux 
écoles pendant tout le temps prescrit par la loi, se- 
ront privés de leurs droits de citoyens et imposés à 
une triple contribution » (1). 

Chronologiquement, c'est à cet endroit que nous 
devrions étudier le plan de Lepelletier de Saint-Far- 
geau, qui fut rédigé à cette époque. Mais il ne fut 
connu de l'Assemblée que par la lecture qu'en fit Ro- 
bespierre six mois après. Nous en reporterons donc 
l'examen à cette époque. 

Un discours de Joseph Serre dans lequel il tente 
de combattre les propositions de Jacob Dupont, oc- 
casionne des désordres dans l'Assemblée et suscite 
de violentes altercations. Discours, projets, rapports, 
se succèdent jusqu'au moment où l'Assemblée décrète 
que le jeudi de chaque semaine sera réservé aux 
discussions relatives à l'instruction publique (2). 

Un silence de quelques mois se fit sur la matière 



(i) Discours et projet de décret sur Véducation nationale pro- 
noncés à la Convention le 24 décembre par Bancal, député du 
Puy-de-Dôme. — Voir aussi Archives parlementaires, t. LV, p. 
399. 

(2) Décret du 6 février 1793. 



— 134 — 

qui nous occupe, pour reprendre au mois de juin 
1793 avec un projet de Lakanal. Ce nouveau plan 
d'instruction était le fruit de la collaboration de trois 
esprits. Siéyès et Daunou s'étaient en effet joints à 
Lakanal pour édifier ce système nouveau. Cette ten- 
tative se recommandait par un respect mieux entendu 
de la liberté individuelle. Ce n'est plus uniquement 
un système politique, c'est vraiment un plan scolaire. 
Lakanal va jusqu'à reconnaître à tout citoyen, le 
droit d'ouvrir une école. Cette sorte de concurrence 
augmentera et stimulera le zèle des instituteurs natio- 
naux et maintiendra ainsi l'école républicaine au ni- 
veau désirable. 

Il est inutile de dire la violence des attaques aux- 
quelles ce projet fut en butte de la part des Convention- 
nels de la Montagne ; Hassenfratz s'attaque en parti- 
culier à Siéyès dont la part de collaboration avait été 
considérable et l'accuse de « liberticide ». Il se trou- 
vait pourtant des partisans du système proposé. Pru- 
d'homme, dans les Révolutions de Paris, s'élève con- 
tre l'instruction obligatoire : « A Athènes, à Rome 
son imitatrice, on laissait toute liberté aux citoyens 
d'instruire ou de faire instruire leurs enfants là où 
ils voulaient, et comme ils voulaient... » Laissez au 
père de famille « le plaisir de chercher et de trouver 
les maîtres qui lui en donneront pour son argent, 



— 135 — 

en même temps qu'ils lui conviendront pour l'humeur 
et la manière d'apprendre » (1). 

C'est le discours de Lepelletier de Saint-Fargeau 
qui servira de réponse aux Montagnards. Le projet 
de Lepelletier avait été composé plusieurs mois au- 
paravant, mais la mort de son auteur l'avait laissé 
tomber dans l'oubli. Trouvé dans ses papiers par son 
frère qui demanda l'autorisation de le lire à l'Assem- 
blée, il fut communiqué à Robespierre et déclamé à 
la séance du 13 juillet par celui-ci malgré la promesse 
qu'il avait faite à son collègue de lui laisser la gloire 
de le faire connaître. 

L'enthousiasme suscité par ce nouveau discours 
fut considérable et peut aujourd'hui nous paraître 
étrange. Nous n'y remarquons aucune originalité. 
Dans des phrases semblables, ce sont les idées qui 
furent avancées lors des premiers jours de la Conven- 
tion, dans les multiples discours dont retentit alors 
la tribune révolutionnaire. Selon toute apparence, il 
aurait eu le même sort que ceux que nous avons cités 
et que ceux plus nombreux que nous avons passés 
sous silence, pour ne pas nous étendre s^ns intérêt, 
sans la mort tragique de son auteur (2). Lepelletier 



(1) Révolutions de Paris n' 208 (du 29 juin au 6 juillet 1793). 

(2) Dans le procès de Louis XVI, Lepelletier s'était prononcé 
pour la peine de mort. Au moment où il sortait du Palais-Royal, 



— 136 — 

demande l'enseignement obligatoire. L'Etat ne doit 
pas se désintéresser des citoyens, même les plus jeu- 
nes ; dès leur plus tendre enfance, ils doivent être de 
sa part l'objet d'une sollicitude constante. Lepelle- 
tier « remarque avec peine que, jusqu'à six ans, l'en- 
fant échappe à la vigilance du législateur et cette 
portion importante de la vie reste abandonnée aux 
préjugés et aux vieilles erreurs » (1). Ceci ne laisse 
pas que de surprendre,car les influences que peuvent 
recevoir de si jeunes esprits, ne peuvent être guère 
considérées comme dangereuses pour la sûreté de 
l'Etat et le maintien de la Constitution. Mais à l'âge 
de cinq ans, l'Etat, sur la demande de Saint-Fargeau 
veillera à ce que les enfants soient élevés dans les 
principes républicains. Ce sera le rôle des écoles 
instituées. « L'institution publique sera-t-elle d'obli- 
gation pour les parents, ou les parents auront-ils seu- 
lement la faculté de profiter de ce bienfait national ? 
D'après les principes, tous doivent être obligés. Dans 
peu d'années, tous doivent être obligés. » Mais devant 
la difficulté qu'il y aura à vaincre l'antipathie d'un 
grand nombre de citoyens, Lepelletier propose la so- 



il fut assassiné par un ancien garde du corps qui voulut venger 
la mort du roi sur un de ses juges. 

(1) Plan d'éducation nationale de Michel Lepelletier, présenté 
à la Convention par Maximilien Robespierre au nom du Comité 
d'instruction publique. — Œuvres de Michel Lepelletier de Saint- 
Fargeau, Bruxelles, 1826. 



- 137 - 

lution suivante : pendant quatre ans, l'institution 
publique restera facultative pour les parents, « mais 
ce délai expiré, lorsque nous aurons acquis, si je 
peux m'exprimer ainsi, la force et la maturité répu- 
blicaines, je demande que quiconque refusera ses en- 
fants à l'institution commune, soit privé de l'exercice 
de ses droits de citoyen pendant tout le temps qu'il se 
sera soustrait à remplir ce devoir civique et qu'il paye 
en outre double contribution dans la taxe des en- 
fants.. » Nous ne voyons vraiment pas le succès qu'on 
pouvait attendre d'une telle proposition. Si Lepelle- 
tier était aussi sûr de l'excellence des maximes de la 
nouvelle Constitution, pourquoi en retarder l'applica- 
tion ? Et d'autre part, quelles modifications heureuses 
pouvait-on attendre de cdj délai ? L'esprit des 
pères, dont l'autorité est attaquée chaque jour, qui se 
tiendront à l'écart des affaires publiques en haine du 
nouvel esprit et des nouveaux principes, n'aura guère 
évolué en un si court espace. A cette époque comme 
aujourd'hui, il sera nécessaire de forcer leur con- 
science par une loi barbare. Et même alors combien 
ne préféreront pas cette déchéance civique à la dou- 
leur de voir élever leurs fils en haine des principes 
auxquels ils ont sacrifié leur titre de citoyen. Il est 
vrai que Lepelletier institue un conseil de surveil- 
lance composé de cinquante-deux pères de famille. 
Mais quelle garantie cette création pouvait-elle don- 



— 138 — 

ner à ceux des pères de famille qui n'en faisaient pas 
partie ? Chacun n'est-il pas jaloux du soin de diriger 
l'éducation de celui dans lequel il se retrouvera plus 
tard, dans lequel il met toutes ses espérances. Du 
reste quand on apprend le rôle auquel Lepelletier 
destinait le conseil de surveillance, on voit que cette 
garantie était illusoire. En effet, ces cinquante-deux 
pères de famille auraient pour fonction « de s'assu- 
rer de la bonne qualité et de la juste distribution des 
aliments, de maintenir l'exécution des règlements 
pour l'emploi des différentes heures de la journée, 
d'activer le travail des mains, etc.: » ce serait tout 
aussi bien le rôle d'un salarié quelconque. Après 
avoir offert toutes ces garanties, Lepelletier propose 
de décréter que « tous les enfants seront élevés aux 
dépens de la République depuis l'âge de cinq ans 
jusqu'à douze pour les garçons, et depuis cinq ans 
jusqu'à onze pour les filles (art. 1). 

Art. 2. — L'éducation nationale étant la dette de 
la République, tous les enfants ont droit de la rece- 
voir, et les parents ne pourront se soustraire à l'o- 
bligation de les faire jouir de ses avantages. » 

Cette obligation pèsera sur les pères, mères, tu- 
teurs qui seront obligés de conduire l'enfant à la mai- 
son d'éducation nationale et de le remettre entre les 
mains des personnes qui y sont préposées, et ce sous 
les ipeines que nous savons. 



— 139 - 

Oe projet fut jugé et combattu par Wandelincourt. 
« Le premier devoir d'un père est d'élever lui-même 
ses enfants... Où trouveront-ils une autorité plus ai- 
mable, un joug mieux proportionné à leur faiblesse, 
une voix plus efficace et plus persuasive pour graver 
dans leur cœur les leçons de la vertu » (1) ? Wande- 
lincourt se rappelait probablement à ce moment cette 
parole de J.-J. Rousseau qui pensait, que pour être 
précepteur, il faut être père ou plus qu'homme soi- 
même (2). Et l'adversaire de Lepelletier ajoutait qu'en 
agissant autrement, « on affaiblit à coup sûr la piété 
fdiale, la tendresse paternelle et les devoirs qui en 
dérivent. » 

Tel ne fut pas cependant l'avis de l'Assemblée où 
la lecture de Robespierre déchaîna un grand enthou- 
siasme. 

M. Duruy en donne deux raisons intéressantes (3), 
mais il n'en est pas moins étrange qu'un tel succès 
fut accordé à une compilation parfois aussi extrava- 
gante. Quant au programme d'éducation il est, quel- 
quefois aussi, singulièrement invraisemblable. Evi- 



(1) Wandelincourt, Plan d'éducation et d'instruction publique. 

(2) Le nom de Rousseau domine toute la Révolution en cette 
matière et les orateurs de la Convention lui accordent le titre de 
« divin ». Il est cependant à remarquer que c'est ce même auteur 
de l'Emile qui se débarrassa de ses enfants en les mettant aux 
enfants trouvés ; et il en eut cinq si nous en croyons ses Con- 
fessions. 

(3) Duruy, L'Instruction publique et la Révolution, p. 94. 



— 140 — 

demment on apprendra aux enfants à lire, à écrire et 
à compter, mais on leur apprendra aussi les chants 
civiques, on leur enseignera à soigner les malades 
et à penser les infirmes dont un certain nombre se- 
ront attachés à cet effet à chaque établissement sco- 
laire, on leur fera « ramasser et répandre des maté- 
riaux sur les routes. » On comprend qu'après avoir 
donné naissance à un tel projet, Lepelletier ait été 
comparé à Minos, à Socrate et à Platon, et Robes- 
pierre, dans un élan d'admiration, s'écriait : « C'est 
le premier ouvrage digne de la République. » 

La lecture de Robespierre ranima de nouveau la 
discussion. C'est Raffron avec son « Opinion sur 
l'Education Nationale ». — Delacroix, « Projet de loi 
sur V Education Commune ». — Nicolas Hentz, « Pro- 
jet de décret sur V Instruction Publique ». — Léonard 
Bourdon, « Projet de décret sur l'Education Natio- 
nale ». — Coupé, « Suite de l'Instruction publique : 
des Préjugés, — Suite de l'Instruction publique : de 
la Morale, et puis, du même : Observation sur les 
différents projets de l'Instruction Publique. » Il y en 
eut vingt autres (1). 

Parmi les orateurs que nous venons de citer, il s'en 



(1) Certains rapports ou projets de cette époque, sont in- 
croyables à la fois d'extravagance et de simplicité. Dans ce 
genre on lira avec intérêt un rapport et projet de décret sur la 
fête de la réunion républicaine du 10 août, présenté au nom du 
Comité d'instruction publique par David, député de Paris. 



— 141 — 

trouvait qui rejetaient l'idée d'une instruction obli- 
gatoire. Le « beau songe » de Lepelletier fut attaqué 
par plusieurs Conventionnels, ennemis d'une tyran- 
nie aussi révoltante. Thibaudeau, dénonçant l'ineffi- 
cacité et l'inutilité des sanctions proposées : Les pè- 
res, disait-il, s'écrieront : « Vous pouvez nous impo- 
ser une double, une triple contribution, vous pouvez 
nous noter d'infamie, mais vous ne nous enlèverez 
pas les droits de la paternité ; ceux de veiller nous- 
mêmes sur les jours et l'éducation de nos enfants ; 
vous ne nous enlèverez pas la gloire d'en faire un 
jour des hommes libres et des défenseurs de la Ré- 
publique » (1). 

Léonard Bourdon soumet un projet qui atténue 
le rigorisme de la proposition de Lepelletier. Tout en 
conservant le principe d'une éducation dirigée par 
l'Etat, il y apporte un tempérament. Il y aura deux 
sortes d'instruction ; une première instruction à la 
manière de Lepelletier, dont profiteront « les en- 
fants que leurs parents voudront confier aux soins 
de la République * ; ceux-ci seront élevés, nourris et 
entretenus à ses frais depuis l'âge de sept ans jus- 
qu'à celui de quatorze. Pour les autres, l'Etat pren- 
dra le droit de s'ingérer dans les familles et d'y exer- 
cer un contrôle de la manière suivante : « Les insti- 



(4) Guillaume, Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique 
de la Convention, t. II, p. 200 et suiv. 



— 142 — 

tuteurs et les pères de famille de l'arrondissement 
examineront avec attention, quels sont les principes 
que les enfants reçoivent dans la maison paternelle, 
et si ces principes sont contraires à ceux de la li- 
berté et de l'égalité, ils en dresseront procès verbal 
et le feront passer à l'administration qui ordonnera 
que l'enfant soit déposé dans une maison d'égali- 
té (1) ». Si le système de Léonard Bourdon est diffé- 
rent du projet de Lepelletier, cette différence est 
plus apparente que réelle, car l'esprit qui anime l'un 
et l'autre est identique. Quel que soit le plan adopté, 
il repose sur une violation de la liberté individuelle 
à laquelle se substitue la volonté souveraine de l'Etat 
ou, plus exactement, la tyrannie révolutionnaire. 
C'est elle, en effet, qui, par son enquête au sein des 
familles, obligera les enfants à subir l'éducation offi- 
cielle, sous peine de leur renvoi à l'école commune. 
Le projet de Léonard Bourdon marque même un 
progrès sur les propositions antérieures, puisque les 
nouvelles études se poursuivent jusqu'à l'âge de qua- 
torze ans, afin que les enseignements reçus se gra- 
vent plus profondément dans les jeunes esprits et que 
ceux-ci en conservent l'empreinte d'une manière plus 
durable. 
Le projet de Lepelletier avait été renvoyé à la 



(1) Rapport de Léonard Bourdon au nom de la Commission 
d'Instruction publique (sans date). 



— 143 — 

Commission des Six, chargée de l'examiner et de 
présenter un rapport. A la séance du 29 juillet, Ro- 
bespierre fit une nouvelle lecture du discours de Mi- 
chel Lepelletier. Fourcroy lui succède à la tribune 
et fait l'apologie du même projet. « Il (Lepelletier) a 
regardé, avec les sages de la Grèce, les fils des 
citoyens comme les enfants de la République ; il les 
sépare de leurs parents ; ils ont avant eux une pre- 
mière mère : c'est la Patrie ; il les recueille dans le 
sein de cette mère commune (1) ». La stabilité de la 
République et de sa Constitution est entre les mains 
des citoyens ; le rôle du législateur et son devoir, 
sont de veiller à ce que, par une éducation conve- 
nable, ceux^i soient à même de comprendre la gran- 
deur de leur tâche, or « l'éducation commune est la 
seule convenable à des républicains. » « Qu'on ne 
m'objecte pas que l'éducation commune ne convien- 
dra pas à tous les parents ; que c'est forcer les in- 
tentions des pères et mères et leur arracher leurs 
enfants. Vos écoles primaires, une fois instituées 
avec la pureté et l'utilité qui convient à nos mœurs, 
les pères s'empresseront d'y envoyer leurs enfants. » 
Cependant Fourcroy se sépare de Lepelletier lors- 
qu'il s'agit de l'entretien des écoles. Lepelletier les 
mettait à la charge de la République. Les dépenses 



(1) Rapport de Fourcroy présenté à V Assemblée Nationale, le 
29 juillet 1793. 



— 144 — 

occasionnées par l'établissement d'un grand nombre 
d'écoles, étaient considérables, et les finances natio- 
nales, fort éprouvées alors, n'étaient pas en état d'y 
subvenir. Cette objection, suscitée à plusieurs re- 
prises déjà par des députes opposés à l'institution 
d'une école nationale obligatoire, avait été vivement 
combattue. Inculpés d'antipatriotisme, les opposants 
avaient été voués au silence. Mais l'objection n'en 
subsistait pas moins avec autant de force. Ceci est 
d'ailleurs caractéristique. Dans le désir de tout ré- 
former, animés du zèle révolutionnaire, les Conven- 
tionnels ne se préoccupèrent jamais des moyens pra- 
tiques de réaliser leur œuvre. Combien de proposi- 
tions, votées dans l'enthousiasme, sont demeurées 
lettres mortes, sans même une tentative ou un début 
de réalisation. Le plan de Michel Lepelletier devait 
en être un exemple. En fin de son rapport, Fourcroy 
demandait que les citoyens fussent imposés pour 
subvenir aux dépenses occasionnées par la création 
et le fonctionnement des écoles nationales. 

En butte à de vives attaques de la part des parti- 
sans de la liberté scolaire, le projet de Lepelletier fut 
défendu par Robespierre qui en avait fait son œuvre. 
Félix Lepelletier, frère de Michel, oubliant sa haine 
contre celui-ci, tenta de rallier les suffrages autour 
du projet de son frère en appuyant l'orateur révolu- 
tionnaire. Il faut se hâter d'établir l'éducation com- 
mune obligatoire « parce que c'est la meilleure, la 



— 145 — 

plus courte et la plus sûre manière d'établir léga- 
lité... Le riche et le noble, seuls, seront choqués de 
ne pas élever leurs enfants et de payer une taxe 
forte à ce sujet. Mais vous arracherez salutairement 
leurs enfants à la molesse et aux préjugés (1) ». 

Après tant de discours, projets et rapports con- 
tradictoires, l'indécision était grande dans l'Assem- 
blée. Il fallait cependant rallier les hésitants à l'une 
ou à l'autre des deux opinions. Danton posa la ques- 
tion à l'Assemblée en ces termes : « Sera-t-il formé 
aux dépens de la Nation, des établissements où cha- 
que citoyen aura la faculté d'envoyer ses enfants 
pour recevoir l'instruction publique ? » Plusieurs voix 
s'élevèrent alors et demandèrent l'éducation nationale 
facultative. C'est à la suite de cette discussion, que 
fut voté le décret du 13 août. Il était ainsi conçu : 

»< La Convention décrète qu'il y aura des établis- 
sements nationaux où les enfants des citoyens seront 
élevés et entretenus en commun, et que les familles 
qui voudront conserver leurs enfants dans la mai- 
son paternelle, auront la faculté de les envoyer rece- 
voir l'instruction publique dans les classes instituées 
à cet effet (2) ». 



(i) Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique de la. Con- 
vention Nationale, t. II, p. 235 et suiv. 

(2) Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique de la Con- 
vention Nationale, t. II, p. 273. 

Maison, j# 



— 146 — 

C'est tout ce qu'il restait du discours de Lepelle- 
tier et de son plan d'éducation. D'ailleurs ce court 
décret ne reçut même pas un commencement d'exé- 
cution. Dans cette lutte si ardente, la victoire était 
restée à l'autorité et à la conscience paternelle. Ce 
triomphe ne devait être que de courte durée. 

Le lendemain, le Journal de la Montagne rappor- 
tait en ces termes, le dénouement de cette première 
phase : « La Convention Nationale décide, sur 
la proposition de Danton, qu'il y aura des maisons 
communes d'éducation entretenues par la Républi- 
que. Les citoyens ne seront pas forcés d'y envoyer 
leurs enfants. 

« Il y aura en outre des classes particulières, desti- 
nées à l'éducation des enfants qui n'auraient pas été 
envoyés aux maisons communes (1) ». 

Le silence se fit pendant quelques temps. Mais la 
Commission ne resta pas inactive. Elle s'occupait 
de mettre maintenant sur pied un plan nouveau re- 
latif aux degrés supérieurs de l'enseignement. Les 
partisans de renseignement obligatoire voyaient 
dans ce nouveau projet, le moyen de forcer l'opposi- 
tion des pères de famille. Seraient, en effet, seuls 
admis dans les instituts et collèges, les enfants ayant 
suivi les cours de l'éducation nationale (2). 



(1) Journal de la Montagne, du 44 août 1793, n° 73. 

(2) Voir Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique de la 
Convention? Nationale, t. II, p. 398, art. 5. 



I 



— 147 — 

Les ennemis de l'enseignement facultatif n'avaient 
pas désarmé et ne se tenaient pas pour battus après 
l'insuccès du plan de Lepelletier. Au début du mois 
de frimaire de la même année, plusieurs pétitions 
parvinrent à l'Assemblée, demandant la promulga- 
tion d'un décret sur l'Instruction publique organisant 
les écoles nationales, dont la loi du 13 août avait posé 
le principe. L'une d'entre elles était ainsi conçue : 
« Vous ne souffrirez pas plus longtemps que nos 
enfants sucent le poison du mensonge, quand nous 
buvons à longs traits, le nectar de la coupe de la 
Vérité (1) ». 

A quelques jours de là, de jeunes enfants de la 
section Mucius Scœvola, viennent presser la Conven- 
tion d'organiser l'Instruction publique dont « le be- 
soin est de jour en jour plus imminent », et de hâter 
l'époque de leur « régénération ». 

L'Assemblée ne pouvait rester insensible à de tels 
vœux. Ce fait n'est d'ailleurs pas exceptionnel et il 
n'est pas rare de voir des enfants de quinze ans se 
présenter à la barre et féliciter l'Assemblée de ses 
travaux. Danton, devant ces revendications, déclare 
qu'on ne peut voir sans émotion de tels actes de foi 
patriotique et il pense que le zèle de l'Assemblée 
doit être stimulé. 



(1) Pétition de la Commune de Paris, signée Legrand, président 
de la commune, Dunouy, Renard, Leclerc, Dorigny. 



— 148 — 

La discussion d'abord fixée au premier frimaire, 
puis remise au 11, ne commença que le 18. Avec 
elle, recommence la série des discours et des pro- 
jets. Après plusieurs rapports présentés par Four- 
croy, Thibaudeau, Edme Petit, Delagueule, Danton 
soulève à nouveau la question de l'obligation autour 
de laquelle gravite toute la discussion. Dans le Jour- 
nal de la Montagne, Danton proclamait que « les en- 
fants appartiennent à la société avant d'appartenir 
à leur famille » (1). 

Dans les projets précités, la rédaction des arti- 
cles s'était ressentie du principe adopté par la loi 
du 13 août. La liberté scolaire y était respectée. Les 
articles étaient ainsi conçus : les pères, mères, tu- 
teurs et curateurs « pourront », à leur choix, envoyer 
leurs enfants ou leurs pupilles aux « écoles de pre- 
mière instruction. » C'était l'expression qui avait 
succédé à celle d' « école primaire. » 

Un député de la Marne, Charlier, demande à ce 
que l'expression « pourront », soit remplacée par 
celle de « seront tenus ». Cette modification considé- 
rable est combattue par Thibaudeau qui défend les 
droits de la nature et de la paternité. Danton qui lui 
répond, se fait le défenseur de l'enseignement obli- 
gatoire : « Qui me répondra que les enfants travaillés 



(1) Journal de la MonUgne, n° 30, 23 frimaire an II. 



— 149 — 

par Fégoïsme des pères, ne deviennent pas dange- 
reux pour la République?... Que doit donc nous im- 
porter la raison d'un individu devant la raison natio- 
nale » (1). Aucune autre école ne doit être tolérée en 
dehors de l'école nationale, c'est là que les enfants 
doivent « sucer le lait républicain ». Lecointe Puyra- 
veau appui cette proposition, il pense également que 
la République ne peut subsister que si l'on s'assure 
de la génération future, et celle-ci ne peut être for- 
mée que dans l'école républicaine. C'est là seule- 
ment, qu'au dire de Danton, les préjugés pourront 
être victorieusement combattus, qu'on pourra for- 
mer à souhait le cœur des jeunes citoyens et en faire 
des défenseurs incorruptibles de la République. « Si 
les pères pouvaient garder chez eux leurs enfants, les 
aristocrates, les égoïstes, les riches leur transmet- 
traient leurs préjugés et les propageraient dans une 
génération que l'on veut en garantir. » 

Cette fois, la victoire devait rester aux mains des 
partisans de l'obligation scolaire, et le principe en 
est voté le 29 frimaire an II. La Convention décrète, 
dans la section IV, article 6, que : « Les pères, mè- 
res, tuteurs ou curateurs seront tenus d'envoyer leurs 
enfants aux écoles du premier degré en observant ce 
qui suit : 

(1) Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique de la Con- 
vention nationale, t. III, p. 152. 



— 150 — 

Art. 8. — « Les enfants ne seront point admis dans 
les écoles avant l'âge de six ans accomplis ; ils y se- 
ront envoyés avant celui de huit. Leurs pères, mères, 
tuteurs ou curateurs ne pourront les retirer desdites 
écoles que lorsqu'ils les auront fréquentées au moins 
pendant trois années consécutives. 

Art. 9. — <( Les pères, mères, tuteurs et curateurs 
qui ne se conformeraient pas aux dispositions des 
articles 6, 7 et 8 de la présente section, seront dénon- 
cés au tribunal de police correctionnelle ; et si les 
motifs qui les auraient empêchés de se conformer 
à la loi ne sont pas reconnus valables, ils seront 
condamnés pour la première fois à une amende égale 
au quart des contributions. 

En cas de récidive, l'amende sera double et les 
infracteurs seront regardés comme ennemis de l'éga- 
lité et privés pendant dix ans de l'exercice des droits 
de citoyens. Dans ce dernier cas, le jugement sera 
affiché (1) ». 

Une telle décision ne peut pas rester sans nous 
étonner. Les Conventionnels sont enfin parvenus par 
une loi draconienne à forcer l'opposition des pères 
de famille, mais ils ont en même temps forcé leur 
conscience. L'école révolutionnaire est devenue iné- 
luctable et cela sous des peines d'une étrange sévé- 



(1) Duvergier, t. VI, p. 428 et suiv. 



— 151 — 

rite. L'amende et la radiation des droits de citoyens 
étaient propres à influer sur les esprits les plus irré- 
ductibles ; et pour combien, le châtiment, craignons- 
nous, ne fut-il pas plus terrible et plus cruel encore. 

C'est sous cette tyrannique législation que vécut 
la France pendant plus de deux ans, jusqu'au jour 
où la réaction thermidorienne anéantit ces vestiges 
d'une époque de violence et de haine. Une accalmie 
relative a succédé à la tempête révolutionnaire et 
la Commission de l'Instruction publique, avec 
Boissy d'Anglas comme rapporteur, va tenter d'édi- 
fier un système d'éducation libéral et durable. Ce- 
lui-ci, jugeant l'œuvre des législateurs de 1793, 
pense qu'il faut reviser en entier l'œuvre de ces « fa- 
rouches ennemis de l'humanité ». L'instruction pu- 
blique, pour être efficace et utile aux citoyens, doit 
être libre, et le respect de la liberté individuelle est 
le premier précepte qu'on doit envisager. Les meil- 
leures républiques sont celles dont les lois sont les 
plus humaines. 

C'est à Daunou que revient l'honneur d'avoir déve- 
loppé ces maximes, dans le projet qu'il proposa à 
la séance du 23 vendémiaire an IV. Son rapport, 
présenté au nom de la Commission des Onze et du 
Comité d'Instruction publique, débutait par un ra- 
pide exposé de l'œuvre accomplie jusqu'alors. 
« Nous nous honorons de recommander ce projet, 



— 152 — 

des noms de Talleyrand, de Condorcet et de plu- 
sieurs autres écrivains. Nous n'avons laissé que 
Robespierre qui nous a aussi entretenu d'Instruc- 
tion publique, et qui, jusque dans ce travail, a trouvé 
le secret d'imprimer le sceau de sa tyrannie stupide 
par la disposition barbare qui arrachait l'enfant des 
bras de son père, qui faisait une dure servitude des 
bienfaits de l'éducation et qui menaçait de la prison 
et de la mort, les parents qui auraient pu et voulu 
remplir eux-mêmes le plus doux devoir de la nature, 
la plus sainte fonction de la paternité (1) ». 

Ce jugement porté sur l'œuvre de la Convention 
par un contemporain, est, malheureusement exact. 
La haine violente qui avait inspiré tant de projets, 
avait empêché de faire une œuvre utile et il n'est 
rien resté de cet amas de décombres. Les rapports 
se sont succédés sans obtenir de réalisation, alors 
que se soutenaient péniblement les rares écoles qui 
restaient debout (2). Selon l'expression de Mira- 
beau, la Révolution avait bien tout démoli, mais elle 
n'avait rien rebâti à la place. 

Daunou, envisageant l'œuvre à faire, chercha sur 
quels principes il devait s'appuyer pour faire œuvre 



(1) Daunou, Rapport sur Vlnslruction publique, présenté le 
23 vendémiaire an IV. 

(2) Voir Brouard, Essai d'histoire critique de VInstruction pri- 
maire depuis 1789 jusqu'à nos jours. 



— 153 — 

bonne. « Nous avons cru, dit-il, devoir rechercher 
d'abord quelles étaient les limites naturelles de la 
loi dont nous avions à vous présenter le projet et 
nous avons aperçu ces limites dans les droits indi- 
viduels que la Constitution nous ordonne de respec- 
ter ». 

La loi du 3 brumaire an IV sera en effet la con- 
sécration de ces principes. Elle reconnaîtra la liberté 
de l'éducation domestique et la liberté des établisse- 
ments particuliers d'instruction. 

En matière d'instruction publique, le décret du 3 
brumaire est l'œuvre capitale de la Convention, elle 
est son « testament scolaire (1) ». Alors que toutes 
les tentatives faites auparavant ont sombré, elle a 
l'avantage de n'être pas resté lettre morte. C'est elle 
qui nous conduira jusqu'à la loi du 11 floréal an X 
qui va réorganiser l'instruction publique (2). 



(1) Duruy, L'Instruction publique et la Révolution, p. 137. 

(2) Voir Bonnel, Réorganisation de V instruction publique en 1802. 



CHAPITRE III 
L'exhérédation et la quotité disponible. 



Le système successoral eut à subir une profonde 
transformation sous l'influence du nouvel esprit révo- 
lutionnaire. 

Dans les cahiers, on ne trouve pas de demandes de 
réforme à ce sujet (1), mais les législateurs de la Cons- 
tituante devaient être amenés nécessairement, sous 
l'impulsion des nouveaux principes, à refondre un 
système successoral basé sur l'inégalité des partages. 



(1) Cependant quelques cahiers demandaient la suppression 
du droit d'aînesse et la réduction du nombre des substitutions : 
Tiers-Etat d'Artois, du baillage de Tours, du baillage de Ven- 
dôme, de Valenciennes. 

Voyez Aron, Etude sur les lois successorales de la Révolution, 
p. 15 et suiv. — Dans une adresse des Cadets du Tiers de Pro- 
vence, on lit : « En vain le flambeau de la philosophie éclaire 

tous les peuples civilisés le Provençal rend un culte idolâtre 

à la brillante divinité de ses lois romaines Dans les cahiers 

de doléances des trois Ordres, pas un mot, pas un seul mot de la 
suppression de l'inégalité de partage dans les biens de famille. » 
Adresse des Cadets du Tiers-Etat de Provence et d'autres pays de 
droit écrit au Roi (1789). 



- 155 - 

C'était une survivance de l'ancien régime, et, à ce 
titre seul, l'institution devait être condamnée. 

La nuit du 4 août avait vu la ruine des anciens pri- 
vilèges ; le système successoral devait en ressentir le 
contre-coup ; c'était une application de principes. 
Dans la loi des 15-28 mars 1790, le législateur décla- 
re que « tous privilèges, toute féodalité et nobilité 
de biens étant détruits, les droits d'aînesse et de mas- 
culinité à l'égard des fiefs, domaines et alleux no- 
bles, et des partages inégaux à raison de la qualité 
des personnes, sont abolis » (art. 11) (1). Les succes- 
sions se partageront donc dorénavant suivant les lois 
et statuts qui règlent les partages entre les citoyens, 
sans aucun égard à la qualité des personnes et des 
biens. Une exception intervenait cependant en faveur 
de ceux actuellement mariés ou veufs avec enfants, 
qui continueront à jouir de tous les avantages que 
leur attribuent les anciennes lois. 

Mais il était loisible au père de tourner la loi et de 
rétablir au profit de son fils aîné l'ancien privilège 
en l'avantageant dans sa succession par un testament. 
Pour rendre la loi efficace, il fallait enlever au père 
la faculté de tester au profit d'un de ses enfants. Mais 
le remède était dangereux par son efficacité même ; 
enlever au père la possibilité de disposer d'une par- 



(i) Duvergier, t. I, p. 135 et suiv. 



— 156 — 

tie de ses biens pour avantager tel fils ou punir tel 
autre, n'était-ce pas porter une grave atteinte à la 
puissance paternelle ! 

Les discussions déchaînées sur ce sujet, sont res- 
tées célèbres et ont eu une influence profonde sur l'es- 
prit de la Révolution en cette matière. Ce n'est d'ail- 
leurs que plus tard, que les idées émises par les ora- 
teurs constituants, aboutirent à une réforme et ce 
n'est pas dans la loi du 8 avril 1791 qu'il faut en cher- 
cher le résultat. Cette loi, conséquence immédiate de 
cette discussion, qui dura plusieurs séances, ne s'est 
occupée que de la succession ab intestat, sans toucher 
à la liberté testamentaire. 

Le 2 avril, la séance s'ouvrit sur une demande de 
Pétion, tendant à supprimer les inégalités dans les 
partages résultant de la volonté arbitraire du père. 
Cette faculté laissée au père, ne peut amener aucun 
résultat heureux. Elle n'inspire aucun sentiment 
meilleur au cœur de celui qui aura été dépouillé et 
ne développera pas l'affection chez celui qui en aura 
profité. « Ce serait un étrange moyen de se faire ché- 
rir de ses enfants, de les former à la vertu, que de les 
conduire par le sordide intérêt, que de leur dire : 
« Si vous n'obéissez pas à mes volontés, je vous dés- 
hérite. L'amour filial est-il un sentiment qui se 
paie ? » 

Talleyrand lui succéda à la tribune et donna lec- 



— 157 — 

ture aux membres de l'Assemblée d'un discours de 
Mirabeau qu'une cruelle maladie tenait éloigné de 
l'Assemblée depuis quelques temps, et qui venait 
d'expirer quelques heures auparavant. L'irréductible 
ennemi de l'ancien régime félicitait les Constituants 
d'avoir détruit la féodalité et les encourageait à la 
poursuivre dans ses effets. Le droit de tester, disait- 
il, est la source de tous les abus en matière d'inéga- 
lité dans les successions. Or, ce droit n'a pas son 
fondement dans une loi immuable de la nature, car 
il repose sur le droit de propriété qui, lui non plus, 
n'est pas un droit naturel ; « c'est le partage des 
terres fait et consenti par les hommes rapprochés en- 
tre eux, qui peut être regardé comme l'origine de la 
propriété ». Ce partage suppose donc une convention 
première, c'est donc une création sociale. 

Mais ce droit de propriété est-il transmissible ? 
Oui, du vivant du propriétaire ; non, après sa mort, 
car la mort anéantit tous les droits de l'homme, qui 
meurent avec lui. Supposer que les rapports attachés 
à notre existence puissent nous survivre est « une illu- 
sion véritable, c'est transmettre au néant les qualités 
de l'être réel ». 

Ce n'est pas ce que nous enseignent les lois ro- 
maines, il est vrai ; mais après les avoir aveuglément 
suivies, ne nous appartient-il pas, alors que l'esprit 
humain est éclairé d'une nouvelle lumière, de les ana- 



— 158 — 

lyser et de les juger? Il était temps, pensait Mirabeau, 
de rejeter des lois « où la servitude filiale découlait 
de l'esclavage autorisé par ces lois mêmes ». La con- 
ception des rapports juridiques entre le père de fa- 
mille romain et ses fils, était trop différente de la 
nôtre, pour que nous puissions longtemps rester 
les « écoliers de Rome ». Aux jours de la Révolution, 
c'était en effet un « axiome de droit devenu vulgaire, 
que les enfants sont les héritiers naturels de leurs 
parents (1), ce qui indique à la fois et la légitimité 
du titre en vertu duquel une famille entre dans l'héri- 
tage laissé par ses chefs, et l'égalité du droit que la 
nature donne à chacun de ses membres sur cet héri- 
tage ». Or, cette loi est violée par le testament et 
les conséquences de cette dérogation sont terribles. 
Des enfants d'un même père, le testament peut faire 
un riche et des pauvres, un protecteur hautain et 
d'obscurs subordonnés. Conserver une telle pratique, 
c'est rester volontairement dans la barbarie. 

Il est en effet inique et irraisonnable que la loi 
sanctionne les caprices et les passions injustes des 
hommes qui ne sont plus. Si l'injustice est trop fla- 
grante, quand le testament porte trop l'empreinte 
d'une colère illégitime, la loi pourra bien, en vérité, le 



(1) Cf. Montesquieu, Esprit des lois, livre XXVI, chap. VI : 
« La loi naturelle ordonne aux pères de nourrir leurs enfants ; 
mais elle n'oblige pas de les faire héritiers ». 



— 159 — 

rendre inexistant, laissant à l'héritier le soin de l'at- 
taquer par l'action ab irato, « mais ces testaments 
que l'on pourrait appeler a decepto, a moroso, ab 
imbecilli, a délirante, a superbo, la loi ne les casse 
point et ne peut pas les casser. Combien ces actes 
signifiés aux vivants par les morts, où la folie semble 
le disputer à la passion, où le testateur fait de telles 
dispositions de sa fortune, qu'il n'eut osé de son vi- 
vant en faire la confidence à personne, des disposi- 
tions telles, en un mot, qu'il a eu besoin, pour se les 
permettre, de se détacher entièrement de sa mémoire 
et de penser que le tombeau serait un abri contre le 
ridicule et les reproches (1) : . 

De nombreux applaudissements avaient souligné la 
fin de cette tirade qui paraissait un argument sans 
réplique. Ce fut un hommage posthume rendu à son 
auteur. C'était la pensée de la majorité des membres 
de l'Assemblée que Mirabeau avait exprimée. Dans ce 
siècle d'égalité, alors qu'il n'y avait plus d'aînés, plus 
de privilèges dans la grande famille nationale, il n'en 
fallait pas davantage dans les familles qui la compo- 
saient. 

Plus de testaments, s'écriait Mirabeau en termi- 
nant, ou si nous les admettons, que la quotité dispo- 
nible soit tellement infime, qu'elle ne constitue pas un 



(1) Discours de Mirabeau, Histoire parlementaire de Bûchez et 
Roux, 1846, t. IX, p. 292. 



— 160 — 

péril sérieux pour le patrimoine de l'enfant. On allé- 
guait bien que la tendresse et l'affectueux intérêt que 
les pères prennent en général de leurs enfants, sont 
des mobiles sérieux qui combattront d'une manière 
efficace dans le cœur du chef de famille en faveur de 
ses descendants. Mais ces allégations n'avaient pas 
trouvé d'écho dans le cœur de Mirabeau qui se sou- 
venait trop de l'éducation Spartiate que lui avait fait 
subir le marquis son père. Il y a de mauvais pères, 
comme il y a de mauvais citoyens et c'est le devoir 
des lois de mettre des bornes à l'injustice, à la du- 
reté et à la partialité de ceux qui mésusent de leur 
autorité. « Moins les lois accorderont au despotisme 
paternel, plus il restera de force au sentiment et à 
la raison ». Cette maxime tombée de la plume de Mi- 
rabeau, sera la loi de la Révolution en cette matière. 
Les décrets qui se succéderont sur la puissance pa- 
ternelle ne seront que l'application de ce principe. 

En fin de son discours, et comme péroraison, Mira- 
beau demandait que la quotité disponible soit réduite 
à un dixième, ce qui est assez pour « ceux qui dé- 
sirent laisser après eux quelques témoignages d'affec- 
tion » et que les donations entre vifs, institutions con- 
tractuelles, dispositions testamentaires sans charge 
de rapport, soient prohibées. 

Reprise à la séance du 4, la discussion fut marquée 
par un court discours de Saint-Martin. Les idées qui 



— 161 — 

seront adoptées avec tant de facilité par les Conven- 
tionnels de 1793, ne sont pas sans étonner et effrayer 
un peu quelques membres de la Constituante. La 
transformation due à l'esprit révolutionnaire s'accom- 
plit en ce moment, la pensée n'est pas arrivée à son 
complet développement. Les hésitations et les objec- 
tions que souleva à l'Assemblée le discours de Mira- 
beau, caractérisent bien cette période de transition. 
En ce moment quelques voix s'élèvent encore pour 
signaler le péril et tenter de le conjurer ; en 1793 on 
votera d'enthousiasme ces motions funestes qui abou- 
tiront à la destruction de la famille et à la destitution 
de son chef. 

« Ne doit-on pas craindre d'affaiblir l'autorité pa- 
ternelle et le respect qui lui est dû ? C'est par la 
douce et salutaire dépendance de l'autorité pater- 
nelle que les enfants s'habituent à la soumission aux 
lois (1) ». Il serait donc imprudent et dangereux d'en- 
lever entièrement au père la faculté de disposer, il 
faut laisser à celui-ci la possibilité de faire une libé- 
ralité soit à un étranger, soit à un de ses enfants 
dont il voudrait reconnaître et récompenser les bons 
offices. Cette quotité disponible, Saint-Martin de- 
mande qu'elle soit fixée au tiers. 

Robespierre combattit cette motion le lendemain. 



(1) Discours de Saint-Martin, séance du lundi 4 avril, Moniteur 
du 6. 

Masuon, 11 



— 162 — 

Ses arguments sont ceux de Mirabeau dont le dis- 
cours transparaît à travers celui de Robespierre. Il 
s'insurge à nouveau contre la pratique du testament 
(( vestige de la féodalité ». C'est une institution anti- 
républicaine, elle s'oppose à la division des fortunes 
en réunissant sur la tête du fils avantagé, les droits 
de ses frères injustement dépouillés. Un père de fa- 
mille n'a pas le droit d'agir ainsi, et la loi ne doit pas 
hésiter à priver un père d'une autorité dont il més- 
use. « Il n'y a de sacré dans la puissance paternelle 
que l'autorité qui lui est confiée. Quant au fils qui 
ne respecte son père que parce qu'il espère une plus 
forte part de sa succession, celui-là est bien près 
d'attendre avec impatience le moment de la recueil- 
lir, celui-là est bien près de haïr son père (1) ». 

Tronchet, sollicité par plusieurs membres de l'As- 
semblée de donner son avis, combattit les motions 
de Robespierre et de Mirabeau, et s'efforça, dans un 
discours très remarqué, dont l'impression fut décré- 
tée, d'accroître la quotité disponible réduite à un 
dixième dans le projet de Mirabeau. La loi de la na- 
ture qui a fait l'homme mortel, a borné par ce fait 
son droit de propriété aux limites de son existence. 
Si la loi sociale a reconnu à l'homme le droit de 
transmettre après sa mort, c'est une exception qu'elle a 



(1) Séance du S avril 1791, Moniteur du 7. 



— 163 — 

faite à la loi primitive, une concession faite à l'homme 
« moins pour son avantage personnel que pour 
l'intérêt commun de la société ». Et comme le 
droit de transmettre est une convention sociale, cette 
convention doit poser en outre les règles de la dévo- 
lution du patrimoine. La loi, en effet, est plus sage 
que la volonté de l'homme et c'est elle qui doit avoir 
la préséance sur celle-ci lorsqu'il s'agit de régler le 
fond et la forme du droit de transmission. Mais ces 
règles ne devront pas être d'une rigidité absolue, elles 
devront admettre des exceptions, et comme celles-ci 
sont nombreuses, il est impossible à la loi de les pré- 
voir toutes, d'où la nécessité de laisser dans une cer- 
taine mesure au possesseur le droit de disposer. 
(( Pourra-t-on lui refuser de récompenser par un té- 
moignage d'affection plus particulier, l'enfant qui se 
sera le plus distingué par son respect et sa tendresse 
filiale, qui se sera dévoué à secourir la vieillesse in- 
firme d'un père commun ; qui, par son travail, aura 
contribué sans intérêt à augmenter le patrimoine qui 
devient commun ? Un père, qui voit l'un de ses en- 
fants assailli dans sa fortune par des malheurs qu'il 
ne peut se reprocher, et les autres, au contraire, en- 
richis par le hasard, peut-il être privé de venir au 
secours de ce fils infortuné ? (1) » Il est certain que 



(1) Séance du 5 avril, Moniteur du 7. 



— 164 — 

plus d'un père abusera de son pouvoir ; mais le nom- 
bre des cas où il en sera ainsi, sera-t-il considérable ? 
D'un autre côté, il est non moins certain que bien 
des héritiers présomptifs regardant la succession 
qu'ils convoitent comme une proie qui ne peut leur 
échapper, seront tentés d'oublier les devoirs de la 
piété filiale. Quel sera le danger le plus à craindre ? 
Tronchet pense que le péril est moins dans l'injus- 
tice des pères que dans l'ingratitude des enfants, et 
que la faculté de disposer, sera dans les mains du 
chef de famille un moyen de bienfaisance légitime et 
non une arme destinée à servir sa passion et sa va- 
nité. <( Confier à sa sagesse, dit-il, un quart de sa 
fortune, et réserver à ses enfants, comme un patri- 
moine de la nature et de la loi, les trois quarts de sa 
portion héréditaire : telle est la mesure la moins forte 
que l'on puisse admettre ». 

L'autorité paternelle et la faculté de tester, parfai- 
tement défendues par Tronchet, furent moins bien ser- 
vies ipar un de leurs partisans. Cazalès, dans un dis- 
cours interminable qui fut souvent interrompu par des 
cris, et qui suscita quelque tumulte, demanda l'appli- 
cation dans tout le royaume, de la loi romaine avec 
quelques exceptions exigées par les circonstances et 
les convenances locales. « La faculté de tester est la 
conséquence nécessaire de la puissance paternelle », 
et la loi ne peut supprimer l'une sans porter atteinte 



— 165 — 

à l'autre. C'était certainement exact, mais la pensée 
de Cazalès aurait gagné à être présentée sous un jour 
plus favorable. Dès le début de son discours, en ef- 
fet, Cazalès avait demandé l'application de la « loi 
romaine ». Or, ces seuls mots avaient frappé désa- 
gréablement la majorité de l'Assemblée. C'était ré- 
veiller les souvenirs de l'ancien régime, de son droit 
arbitraire et des abus auxquels il avait donné lieu. 
Plusieurs expressions fâcheuses avaient indisposé les 
auditeurs qui les avaient soulignées par des interrup- 
tions bruyantes, qui, en d'autres temps, auraient pu 
être d'un mauvais présage (1). Le discours de Cazalès 
n'eut donc pour résultat que d'indisposer davantage 
les adversaires de l'ancien régime. 

Le 6 avril, Prugnon monta à la tribune pour défen- 
dre l'autorité paternelle. Il semble que l'orateur ait 
pris à cœur de corriger les exagérations et les er- 
reurs de Mirabeau. Il le fit avec modération, parlant 
avec respect d'un adversaire dont la mort trop ré- 
cente imposait plus de réserve. Ce discours est, avec 
<:elui de Tronchet, un des plus intéressants sur notre 
question. Son auteur pense que le droit de tester est 
un des attributs de la puissance paternelle et il ajoute 
qu'il n'y a aucun danger à laisser cette arme entre 



(1) En 1793, un membre de la Convention, soutenant une motion 
impopulaire, fut interrompu en pleine assemblée aux cris de : « A 
la guillotine». 



— 166 — 

les mains du père, « non seulement parce que l'a- 
mour paternel est le plus profond et le plus délicieux 
sentiment de la nature, mais parce que le père s'aime 
lui-même dans ses fils et qu'en général pour les en- 
fants, le lien de l'espérance est aussi fort au moins 
que celui de la reconnaissance (1) ». Quant aux abus, 
il est certaia qu'il s'en est produit et il s'en produira 
encore ; la meilleure institution parviendra toujours 
à être tournée et faussée par des hommes pervertis : 
mais cela est arrivé moins souvent qu'on ne le sup- 
pose. Bien souvent, si les pères dont les testaments 
ont été attaqués, avaient pu revenir à la vie, ils au- 
raient peut-être fait à leurs ennemis de terribles ré- 
ponses ; les mauvais pères sont rares. Une objection 
plus imposante restait à résoudre : tester, disait-on, 
c'est commander après sa mort. Prugnon la combat- 
tit de la façon suivante. En donnant entre vifs, l'on 
peut mettre un terme à sa libéralité ; or, dans le tes- 
tament, le terme fixé est le jour de la mort du testa- 
teur. Le testament est révocable, il est vrai ; c'est 
donc une donation dans laquelle le donateur se ré- 
serve le droit de voir si le bénéficiaire est toujours 
digne de la libéralité. L'orateur pense donc que la 
loi ne doit pas supprimer la faculté de tester, mais 
qu'elle doit seulement la limiter. Il propose donc 



(i) Archives parlementaires, t. XXIV, p. 597 et suiv. 



— 167 — 

d'accorder la libre disposition du quart au tiers en 
ligne directe, soit en faveur des enfants, soit en fa- 
veur des étrangers et la disposition du tiers à la moi- 
tié pour la ligne collatérale. Nous sommes loin de la 
quotité proposée par Mirabeau, que Prugnon a visée 
à plusieurs reprises dans son discours. C'est à l'ora- 
teur défunt qu'il s'adressa encore avant de descendre 
de la tribune. « Au reste, dit-il, pour l'honneur de la 
paternité, qu'intéresse essentiellement cette discus- 
sion, il faut convenir que s'il y a eu, ainsi que l'ex- 
pose Mirabeau, des testaments faits a moroso, a su- 
perbo, a délirante, il s'en est rencontré un nombre 
infini qui ont été faits a justo,a bono,ab amante. Quoi 
que l'on fasse, une galerie des mauvais pères ne sera 
ni riche, ni vaste, et la plus immense collection sera 
toujours celle des Bons pères... Les lois ont appelé 
le jugement des pères, la justice par essence, justa 
sententia judicîum paternum (1) ». 

Nous aurons terminé l'examen des préliminaires 
de la loi du 8 avril 1791, en mentionnant seulement un 
peu intéressant discours de Lanjuinais, long rappel 
des arguments de Mirabeau et de Robespierre. D'ail- 



(1) Séance du mercredi 6 avril, Moniteur du 8. Prugnon, parlant 
de Mirabeau, termine ainsi son discours très applaudi : « Mais je 
me reproche de combattre l'auteur de celte objection, et je me 
rappelle à ce moment la réponse que fit mylord Bolingbroke aux 
détracteurs de Marlborough : « C'était un si habile homme que 
j'ai oublié ses défauts. » 



— 168 — 

leurs, ces chaudes discussions n'eurent pas le résul- 
tat qu'on était en droit d'en attendre. En effet, le dé- 
cret du 8 avril qui en fut la conséquence immédiate, 
ne touche pas à la liberté de tester qui avait cependant 
été le texte de l'argumentation, il ne s'occupera que 
de succession ab intestat pour laquelle il établira 
l'égalité de partage. 

« Toute inégalité ci-devant, résultant, entre les 
héritiers ab intestat, des qualités d'aîné, de puiné, de 
la distinction des sexes et des exclusions coutumières, 
soit en ligne directe, soit en ligne collatérale, est 
abolie. Tous héritiers en égal degré, succéderont par 
portions égales aux biens qui leur sont déférés par 
la loi ; le partage se fera de même par portions égales 
dans chaque souche dans les cas où la représenta- 
tion est admise » (1). La même loi admettait la repré- 
sentation à l'infini en ligne directe. L'article 5 mainte- 
nait les exceptions contenues dans la deuxième partie 
de l'article 11 du titre premier du décret du 15 mars 
1790, maintenant les avantages faits par les anciennes 
coutumes aux héritiers mariés ou veufs avec enfants. 

Les questions soulevées par le discours de Mira- 
beau, restèrent donc momentanément irrésolues et 
la liberté de tester subsista. Mais l'attaque avait porté 
et la pratique du testament était trop contraire aux 



(1) Loi des 8-15 avril 1791, art. 1 er ; Duvergier, tome II, p. 348 
et suiv. 






— 169 — 

idées égalitaires de la Révolution pour durer encore 
longtemps. Les discussions, qui avaient occupé et pas- 
sionné l'Assemblée Constituante pendant les premiè- 
res séances du mois d'avril, eurent leur répercussion 
dans toute la France, et ce sont les principes qui 
commencent à s'y faire jour, qui vont régner sur toute 
la Révolution. 

Quelques jours après le décret sur l'égalité des 
partages dans la succession ab intestat, l'Assemblée 
Nationale recevait des jeunes gens d'Autun, une 
adresse demandant que les testaments faits depuis 
1789 jusqu'à l'époque où la question des testaments 
sera réglée, soient déclarés nuls » (1). Les revendi- 
cations des jeunes citoyens d'Autun reposaient sur 
des faits allégués par eux. On avait eu des exemples, 
disaient-ils, de pères qui se vengeaient de leurs en- 
fants en les déshéritant ou qui poussaient leur désir 
de vengeance jusqu'à donner leurs biens en simulant 
de les vendre pour frustrer leurs descendants. 

A la même époque, les membres de la Société des 
Amis de la Constitution de Castelnaudary adres- 
saient également à l'Assemblée une requête dans le 
même sens. Les auteurs de l'adresse demandent la 
suppression de la liberté de tester,- car la pratique du 
testament, fréquente dans le pays de droit écrit, ren- 



(1) Cette adresse fut remise à l'Assemblée Nationale le 20 avril 
1791, Arch. nat. C. 124. 



— 170 - 

dait presque nul le nombre des successions ab intes- 
tat et laissait ainsi la loi sur l'égalité des partages 
sans application. Rien n'est plus injuste que « ces lois 
que le despotisme seul a inventées; elles ne peuvent 
pas subsister, elles révoltent la nature. Les enfants 
ont tous un droit égal sur les biens du père. Rendez 
aux enfants du même père les droits imprescripti- 
bles que la nature leur donne » (1). 

Ces adresses ne sont pas des manifestations iso- 
lées et plusieurs pétitions parviennent à l'Assemblée, 
faisant valoir les mêmes revendications. Toutes se 
font l'écho du discours de Mirabeau auquel elles 
s'attachent comme à un évangile. L'une d'elles, adres- 
sée à l'Assemblée Nationale par les Amis de la Cons- 
titution de Toulon, en fait des citations textuelles. Ces 
manifestations eurent leur retentissement dans les 
clubs ; elles y suscitèrent plusieurs discours et l'un 
d'eux, prononcé au Club des Jacobins, eut sa réper- 
cussion jusque dans l'Assemblée. 

La question resta cependant irrésolue pendant la 
court règne de l'Assemblée Législative (2). Une seule 
tentative fut faite à la date du 25 août 1792. Un mem- 
bre de l'Assemblée avait proposé de discuter un projet 
de décret tendant à la suppression des substitutions 



(1) Voir Aron, Etude sur les lois successorales de la Révolution, 
p. 52 et suiv. 

(2) Albert, La liberté de tester, p. 651. 



— 171 — 

et à l'égalité du partage dans les successions. Bri- 
val demande qu'on supprime les substitutions qui 
pourraient se faire aux Colonies sur les biens possé- 
dés par les émigrés. A la demande de Lacroix, le 
principe de l'abolition des substitutions est déclaré 
d'urgence, mais l'Assemblée, sur la proposition de 
Thuriot et Ducastel, renvoie au Comité de législa- 
tion pour faire un rapport sur la nullité des substitu- 
tions et l'égalité des partages (1). 

Le projet ne fut proposé par Lalaigne que deux 
mois après, à la séance du 25 octobre. Seul le 
premier article en fut voté (2), les deux autres arti- 
cles, complément du décret, ne furent adoptés que 
le 14 novembre (3). Revenant à la proposition primi- 
tive, Lanjuinais demande à ce qu'on discute la ques- 
tion de l'égalité des partages. Il est, en effet, temps 
d'élaborer une loi complète sur la question, pense-t- 
il, et de mettre ainsi les fils à l'abri des persécutions 
de leurs pères qui poursuivent en eux les idées répu- 
blicaines auxquelles ils sont dévoués. Que le décret 
soit voté sans délai. Rappelant la disposition du rè- 
glement de l'Assemblée, Cambacérès demande à ce 
que la proposition soit renvoyée au comité de légis- 



(1) Séance du 25 août 1792. Moniteur du 27. 

(2) Cet article était ainsi conçu : « Toutes substitutions sont 
interdites et prohibées à l'avenir. » 

(3) Duvergier, t. V, p. 57 et 58. 



— 172 — 

lation. La motion fut votée et le comité invité à pré- 
senter son rapport le lendemain. Mais le lendemain 
et les jours suivants se passèrent sans que le rapport 
fut présenté. Ce n'était pas un fait sans exemple. Tou- 
tes les décisions étaient votées d'urgence et les rap- 
ports à présenter s'accumulaient dans les commis- 
sions. D'ailleurs les premiers mois de la Convention 
furent occupés par des discussions plus politiques 
que juridiques. C'était l'époque où les Conventionnels 
s'occupaient de régler le sort du roi et discutaient la 
possibilité de traduire à la barre Louis XVI que Gré- 
goire appelait irrespectueusement « le premier com- 
mis de la Nation ». 

Ce ne fut que le 4 janvier 1793, que Le pelletier fit 
son rapport au nom du Comité de législation et sou- 
mit le projet suivant : « La Convention Nationale 
décrète que les exceptions portées dans la seconde 
partie de l'article II du décret du 15 mars 1790 et aux 
articles V, VI, VII, VIII et IX de la loi du 8 avril 
1791, en faveur des personnes mariées ou veuves, 
sont abrogées. Le surplus des dites lois sera exécuté 
selon sa forme et teneur » (1). Le décret fut adopté (2). 

Absorbé par le courant des affaires journalières, 
on ne parlait plus de testaments ; mais la question 
n'était cependant pas tombée dans l'oubli. La haine 



(1) Séance du 4 janvier 1793, Moniteur du 6. 

(2) Duvergier, t. V, pages 128 et 129. 



— 173 — 

de l'ancien régime était au contraire devenue plus 
vivace après deux années, et les Conventionnels s'é- 
taient déclarés ses ennemis irréductibles. Inspirée 
toujours par le discours de Mirabeau, l'Assemblée 
volait de temps à autre, à la hâte, au cours d'une 
séance, un court décret, espérant pouvoir voter le 
lendemain une loi d'ensemble sur la question. 

Le problème de l'exhérédation fut agité à nou- 
veau à la séance du 7 mars 1793 par un Convention- 
nel anonyme, désigné au Moniteur par la lettre N. 
(( Parmi les moyens, s'écriait-il, que l'aristocratie 
emploie pour détacher les hommes de la Révolution, 
l'un des plus puissants, celui qui réussit le mieux, 
c'est l'exhérédation. » Le farouche orateur proposait 
un énergique remède : « Il faut atteindre l'aristocra- 
tie jusque dans ses tombeaux en déclarant nuls tous 
les testaments faits en haine de la Révolution. » Il 
avouait cependant avec un sérieux admirable , que la 
question avait besoin d'être examinée et concluait à 
son renvoi au Comité de législation qui élaborerait un 
projet et ferait un rapport. Cette proposition, comme 
on le pense, trouva facilement un écho dans l'Assem- 
blée. Plusieurs orateurs se succédèrent à la tribune (1). 
Leurs discours peuvent se résumer ainsi : le droit de 
tester est une loi uniquement sociale ; sans froisser 



(1) Mailhe, Boussin, Duroy, Lamarque, Barère. 



— 174 — 

aucun principe fondamental, la société peut poser 
une loi contraire si elle juge la première dangereuse 
et pernicieuse ; or, cette loi est en premier lieu im- 
morale, puisqu'elle permet au père, dont l'autorité 
est contestable, de dépouiller son fils de la part de 
patrimoine à laquelle il a un droit absolu ; en second 
lieu inique, puisqu'elle tend à donner à l'un ce dont 
on prive l'autre et froisse ainsi le principe d'égalité, 
un des plus chers principes républicains. 

L'Assemblée était, en majorité, d'accord sur le 
principe, mais les avis différaient sur la portée qu'il 
fallait donner à la loi. Etendrait-on l'interdiction de 
tester à la ligne collatérale, ou la bornerait-on à la 
ligne directe ? et quelle que soit l'opinion adoptée, 
donnerait-on à la loi un effet rétroactif, faisant re- 
monter son application jusqu'au 14 juillet 1789, ou 
prendrait-elle seulement rang à sa date ? Toutes ces 
questions devaient soulever de longues discussions. 
L'Assemblée, en prévision du temps qu'il faudrait 
pour élaborer et voter ce projet complet, décida seu- 
lement sur l'heure que « la faculté de disposer de ses 
biens, soit à cause de mort, soit entre vifs, soit par 
donation contractuelle, en ligne directe, serait abolie; 
en conséquence que tous les descendants auraient un 
droit égal sur le partage des biens de leurs ascen- 
dants » (1). La faculté de tester était donc momenta- 



(1) Duvergier, tome V, p. 232. 



- 175 — 

nément maintenue en ligne collatérale. D'ailleurs ce 
décret devait être suivi d'une loi que l'Assemblée 
chargeait son comité de législation de lui présenter. 

La loi de 1793, quoique marquant un progrès sur 
l'état du droit antérieur, n'est qu'un principe qui 
trouvera son application complète et son complément 
nécessaire dans les lois postérieures. Le père de fa- 
mille se trouve dès à présent dans l'impossibilité 
d'exhéréder un de ses enfants au profit d'un autre, 
mais c'est tout, et la liberté du père subsiste en la li- 
gne collatérale (1). 

Dans un projet de Code de Durand-Maillane sou- 
mis à l'Assemblée quelques mois après, l'on trouve 
la proposition suivante : « Les pères et mères qui ont 
des enfants, ne peuvent faire des testaments que pour 
leur nommer des tuteurs quand ils prévoient que leur 
mort peut les laisser en bas âge, ou pour nommer 
des curateurs à ceux de leurs enfants qui se trouve- 
raient en démence » (2). Ce projet qui n'aboutit pas, 
avait pour but de frapper les pères et mères d'une 
incapacité absolue de tester ; ce n'est pas en effet le 
testament que Durand-Maillane attaque, car dans 
son développement, il en demande au contraire le 
maintien, le jugeant utile à ceux qui n'ont pas d'héri- 



(1) Moniteur des 9 et 10 mars 1793, séance du 7. 

(2) Projet de code civil et uniforme, 8 juillet 1793, titre VIII, 
section l re , art. 1. 



— 176 — 

tiers directs, pour s'en procurer ; la mesure qu'il pro- 
pose a uniquement pour but de faire des enfants des 
héritiers nécessaires à l'égard du père. 

'Cette proposition suscita un nouveau projet sans 
particularités remarquables dû à Noël (1). 

Cambacérès, dans son projet de Code de 1793, n'ap- 
porte pas de modification au système adopté par la 
loi du 7 mars. Il consacre l'égalité du partage. « Il 
n'est ipas permis de donner soit entre vifs, soit à cause 
de mort, à aucun de ses héritiers. La loi veut qu'ils 
soient tous également apportionnés dans la même hé- 
rédité » (2). Il décrète l'abolition des testaments, des 
legs, et des codiciles « pour leur substituer deux 
actes simples, la donation entre vifs et la donation 
héréditaire » : la première irrévocable reposant sur 
l'idée de bienfaisance dont seuls pourraient profiter 
ceux dont la fortune ne dépasserait pas un certain 
maximum, la seconde révocable et ne pouvant jamais 
excéder la quotité dont chaque citoyen pourra dispo- 
ser ; cette quotité était fixée par l'article 26, titre III, 
livre II, au dixième de son bien si l'on a des héri- 
tiers en ligne directe et au sixième si l'on n'a que des 
héritiers collatéraux. Cambacérès, dans cette partie 



(1) Projet de loi sur les successions, par Noël, député des Vos- 
ges, 17 juillet 1793. 

(2) Cambacérès, Projet de Code civil de 1793, livre II, titre 
III, art. 24. 



— 177 — 

de son projet, a poursuivi un double but : empêcher 
le père de pouvoir manifester par un don quelconque 
« une injuste préférence pour aucun de ses enfants »; 
éviter la réalisation de fortunes importantes en frap- 
pant les citoyens riches d'une incapacité générale de 
recevoir. 

C'est cette double pensée qui a dirigé toutes les 
discussions de cette époque sur notre matière. Il 
faut « proscrire tout ce qui pourrait tendre à perpé- 
tuer ou à faire naître l'orgueil de la naissance, le 
despotisme des pères, la division entre les enfants, la 
prétention brutale des mâles à la supériorité sur les 
femelles, les préjugés de primogéniture et l'accumu- 
lation des fortunes si contraire à l'égalité républi- 
caine » (1). Nicolas Hentz, appréhendé par cette 
même crainte, demandait qu'il fut défendu de donner 
au riche et que jamais trop de biens ne s'amassas- 
sent sur la même tête (2). 

La loi du 5 brumaire fut le résultat de ces proposi- 
tions. La réforme qu'elle apportait était considérable 
et montre bien jusqu'à quel point les législateurs ré- 
volutionnaires savaient pousser l'application des 
principes qu'ils avaient posés. La loi de brumaire est 



(1) Garran, Exposé des motifs qui ont déterminé la section du 
Comité de législation à adopter les bases qui sont posées au 
titre III, livre II, sur les successions. 

(2) Nicolas Hentz, Exposé des motifs qui ont déterminé les 
bases adoptées pour les donations entre vifs et à cause de mort. 

Maseon. 12 



— 178 — 

le complément de la loi du 7 mars et elle résout les 
questions laissées en suspens lors de la rédaction de 
celle-ci. Ses innovations portent sur deux points : 
elle établit l'égalité des partages en ligne collatérale, 
et, pour donner plus d'étendue à la loi, elle décrète sa 
rétroactivité jusqu'au 14 juillet 1789. Dans son ar- 
ticle premier, elle répute non écrite toute clause 
impérative ou prohibitive « lorsqu'elle est contraire 
aux lois et aux mœurs, lorsqu'elle porte atteinte à la 
liberté religieuse du donataire, de l'héritier ou du 
légataire, lorsqu'elle gêne la liberté qu'il a de se ma- 
rier ou remarier même avec des personnes désignées, 
soit d'embrasser tel état, emploi ou profession, ou 
lorsqu'elle tend à détourner de remplir les devoirs 
imposés et d'exercer les fonctions déférées par les lois 
aux citoyens. » Nous trouverons l'application de ces 
principes dans les lois postérieures et notamment 
dans celle du 9 fructidor an II. L'examen du texte 
montre l'esprit du législateur. Dans l'énumération des 
cas de nullité, ceux-ci n'ont pas à ses yeux une im- 
portance identique. Il n'innove pas en disant que les 
dispositions contraires aux lois et aux mœurs seront 
réputés non écrites, ceci est de droit commun, et s'il 
commence ainsi, c'est pour donner à la loi un aspect 
général. Mais la véritable raison du décret se trouve 
dans l'énumération qui suit. Depuis le 14 juillet 1789, 
les héritiers n'auront plus à craindre une disposition 



— 17 ( J — 

défavorable de leur auteur inspirée par la différence 
de leurs idées religieuses, par un mariage paraissant 
peu sûr et repréhensible aux yeux du père, par le 
dévouement peut- être trop absolu d'un fils aux nou- 
velles idées patriotiques ; c'est là ce qu'il importe 
au législateur d'empêcher. Et de la disposition de 
l'article premier, il faut rapprocher celle de l'article 
12 : « Toutes dispositions entre vifs ou à cause de 
mort, faites par des pères ou des mères encore vi- 
vants au préjudice de leurs enfants en faveur de leurs 
collatéraux ou d'étrangers, sont nulles et de nul effet.» 
Combiné avec l'article 13, c'est la suppression de la 
liberté de tester en ligne collatérale. Les successions 
soit en ligne directe, soit en ligne collatérale se par- 
tageront donc également entre les héritiers. 

Quelle que soit l'importance de cette disposition, 
celle qui eut le plus de retentissement, fut l'effet ré- 
troactif accordé à la loi, qui amena un profond bou- 
leversement dans les familles. Philippeaux niait l'effet 
rétroactif ; ce n'est, disait-il, qu'une application de la 
déclaration des droits décrétés en 1789 ; « à partir 
du 14 juillet 1789, tous les hommes ont dû être parfai- 
tement égaux dans l'exercice des droits politiques : 
comment ne pas admettre qu'ils n'ont pas dû l'être 
dans la jouissance de leurs droits civils » (1). 



(1) Philippeaux, Opinion sur V égalité des partages, lue à la 
séance du 5 brumaire. 



— 180 — 

Cambacérès définit la loi de brumaire « un grand 
acte de justice » (1). L'on ne saurait nier que le par- 
tage égal et la suppression des anciens privilèges de 
primogéniture ne fut une réforme désirable ; peut- 
être pourrait-on regretter cependant que les législa- 
teurs conventionnels aient donné une extension trop 
considérable à ce principe et qu'ils aient ainsi im- 
primé un caractère tyrannique à une œuvre qui eût pu 
être heureuse. Mais ce serait envisager la loi sous un 
jour incomplet, si nous ne considérions pas les mobi- 
les politiques qui l'ont également inspirée. Les gran- 
des fortunes étaient regardées d'un œil défavorable 
par les législateurs révolutionnaires, car ils trouvaient 
dans leurs détenteurs des adversaires à craindre. 
Ceux-ci se faisaient peu volontiers, à part quelques 
exceptions remarquables, les apôtres de la Révolu- 
tion. Il convenait donc de « frapper les grandes for- 
tunes, toujours dangereuses dans la République. » 
L'égalité obligatoire des partages fut un des moyens 
pour arriver à la réalisation de ce but. Mais, par sa 
disposition générale, combien de petits propriétaires 
furent atteints. 

Combien la loi de brumaire suscita de troubles 
dans les familles ; nous le voyons dans le discours de 
Thuriot. Faire tomber toutes les dispositions faites 



(1) Séance du 6 nivôse, Moniteur du 8. 



— 181 — 

antérieurement à la loi depuis le 14 juillet 1789, devait 
occasionner une perturbation qu'on s'imagine aisé- 
ment, et les multiples pétitions qui parvinrent à l'As- 
semblée, montrent que l'exécution n'allait pas sans 
difficultés. Celles-ci n'arrêtent pas Philippeaux qui, 
en réponse à quelques députés qui doutaient déjà de 
l'excellence de la loi, disait : « Une loi est bonne lors- 
qu'elle fait le bonheur du plus grand nombre ; or les 
cadets sont certainement en plus grand nombre que 
les aînés. » Devant ces indécisions, Pons (de Ver- 
dun) demande que la Convention se prononce immé- 
diatement sur la question. 

Berlier (1) s'en fit le défenseur. Il examina chacun 
des articles de la loi, en exposant et combattant les 
critiques faites à leur propos. Certains articles com- 
plexes sont développés ; un certain nombre d'autres 
sont ajoutés, de telle sorte que les seize articles de 
la loi de brumaire sont portés dans le projet de Ber- 
lier au nombre de soixante-quinze. 

Un amendement est proposé par Marin, député du 
Mont-Blanc, qui, tout en demandant à ce qu'on fasse 
tomber les dispositions faites depuis le 14 juillet, 
parce qu'elles « sont l'ouvrage de quelques scélérats 



(1) Berlier, Rapport sur l'exécution de la loi du o brumaire 
relative aux successions. — On lit à la première page de ce rap- 
port : « Cet écrit pourra paraître long au premier aspect, mais 
il fallait répondre à des milliers de pétitions et prévenir des 
milliers de procès. » 



— 182 — 

qui ne se sont conduits qu'en haine de la Révolution », 
invite cependant l'Assemblée à exempter de cette 
obligation, les départements annexés depuis 1789. 

Cet amendement n'est pas adopté et l'on s'en tient 
au projet de Berlier qui, après quelques modifications 
qui portent le nombre des articles à quatre-vingt-dix, 
devient la loi du 17 nivôse an II. 

Cette loi consacre à nouveau les dispositions adop- 
tées dans la loi de brumaire, en comblant les lacunes 
que celle-ci avait laissées et en en déterminant le 
mode d'application. L'égalité des partages tant en 
ligne directe qu'en ligne collatérale est maintenue et 
la représentation à l'infini est reconnue en ligne col- 
latérale. On reconnaît bien la faculté de disposer 
d'une partie de ses biens, mais cette quotité disponi- 
ble d'un dixième s'il existe des héritiers en ligne di- 
recte ou du sixième s'il n'existe que des héritiers col- 
latéraux est tellement infime qu'elle ne peut consti- 
tuer un danger sérieux. Cependant, hanté par la 
crainte que le père ne manifeste, même dans la me- 
sure d'un dixième, la prédilection qu'il pourrait avoir 
pour un de ses enfants, et craignant de voir ressus- 
citer sous cette forme l'ancien privilège de primogé- 
niture, la loi ne permet de disposer de cette portion 
de l'hérédité, qu'au profit de personnes autres que 
celles « appelées par la loi au partage des succes- 
sions » (art. 16). Quant à l'effet rétroactif, il est main- 



— 183 — 

tenu malgré les troubles qu'il a occasionnés; l'article 
9 de la nouvelle loi est identique à l'article 9 de la 
loi de brumaire ; une seule modification y a été in- 
troduite : le texte de la loi de brumaire faisait tomber 
sous le coup de la loi les successions ouvertes « de- 
puis le 14 juillet 1789 » ; la loi de nivôse dit « depuis 
et y compris le 14 juillet 1789 ». La disposition de 
l'article premier était particulièrement grave. En ef- 
fet, si les donations entre vifs sont annulées lors- 
qu'elles ont été faites postérieurement au 14 juillet, 
celles faites antérieurement sont maintenues ; il n'en 
est pas de même des dispositions à cause de mort que 
la loi vise d'une manière spécialement sévère : ces 
dispositions ainsi que les institutions contractuelles 
<( dont l'auteur est encore vivant ou n'est décédé que 
le 14 juillet 1789, ou depuis, sont nulles, quand 
même elles auraient été faites auparavant. » C'était 
faire tomber des testaments qui pouvaient avoir été 
faits dix ans ou vingt ans avant. Cependant certaines 
dispositions dans certains cas n'étaient pas soumises 
exceptionnellement à l'effet de la rétroactivité (1). 

L'absolutisme de la loi de nivôse devait en amener 
bientôt la réforme. Consacrer la suppression des an- 
ciennes inégalités, appeler les plus jeunes enfants 
à bénéficier de la succession paternelle au même titre 
et dans la même mesure que les aînés, était certaine- 



(1) Voir loi du 17 nivôse, art. 13, 14, 15, 32,34,44,46, Duvergier, 
t. VI, p. 460 et suiv. 



— 184 — 

ment des dispositions désirables, mais on pouvait ar- 
river à ce résultat par des mesures moins draconien- 
nes. Cependant l'admiration des législateurs de la loi 
de nivôse pour leur œuvre, était considérable : et l'on 
trouve cet aveu naïf dans la bouche d'un représentant: 
« Il y a lieu de croire, grâce à l'intrépidité de nos bra- 
ves sans-culottes, que l'Europe comprendra bientôt 
que les représentants du peuple français ne plaisan- 
tent pas avec les droits de la nature » (1). 

L'enthousiasme des citoyens soumis à la loi était 
beaucoup moindre que celui des représentants, et les 
pétitions s'accumulèrent à l'Assemblée comme avant 
la loi de nivôse. Presque toutes demandaient l'ad- 
jonction de nouvelles exceptions analogues à celles 
que l'on avait déjà consenties. 

Les départements normands avaient demandé en 
particulier, qu'on put déroger au principe de l'éga- 
lité en matière successorale au profit des garçons, et 
qu'il fut permis de pratiquer l'ancien statut. Les fils 
concourant par leur travail à augmenter le patri- 
moine de la famille, il paraissait injuste que ceux-ci 
ne fussent appelés à participer au partage que pour 
une part égale à celle des filles. 

Berlier, visant toutes les demandes adressées, de- 
mande qu'aucune nouvelle exception ne soit consen- 
tie, celles-ci n'ayant pour but que de chercher « à 



(1) Rapport sur la loi des successions ouvertes depuis 1789, par 
Laboissière, député du Lot. 



— 185 — 

énerver le système par tous les moyens que la cupi- 
dité invente et à l'exagérer par des prétentions très 
voisines de la dissolution de l'ordre social » (1). Le 
contenu de ces pétitions avait été groupé sous soixante 
questions qui toutes furent rejetées. La demande des 
départements normands reçut la réponse suivante : 
<( Considérant que, dans un partage de succession, l'on 
ne saurait sans bouleverser l'ordre social avoir égard 
au nombre d'années pendant lesquelles les enfants 
sont restés en la maison paternelle, ni au plus ou 
moins de travaux que chacun a pu y conférer..., mais 
que, dans tous les cas, un article spécial pour les ha- 
bitants de la ci-devant Normandie est une chose inad- 
missible, lorsque l'uniformité des lois est un des pre- 
miers besoins d'un peuple composé d'hommes égaux 
et libres..., décrète sur le tout qu'il n'y a pas lieu de 
délibérer » (2). 

Après les attaques successives qu'avait eu à su- 
bir la puissance paternelle, et, à la suite de chacune 
desquelles elle était sortie amoindrie, il semble qu'il 
était impossible de la restreindre encore. Après 
l'avoir mise hors d'état de se manifester, on en avait 
nié le principe. Cependant même dans cet état, les 
législateurs craignaient de la voir revivre. Dans la 



(1) Berlier, Proposition d'ordre du jour sur diverses pétitions 
relatives à la loi des successions (s. d.) 

(2) Loi du 22 ventôse an II, Duvergier, t. VII, p. 117 et suiy. 



— 186 — 

vingt-troisième question de la loi du 9 fructidor an 
II, ils la visèrent à nouveau, ne faisant que répéter 
ce qu'ils avaient édicté dans les lois de brumaire et 
de nivôse. 11 avait été demandé « à ce que les dis- 
positions de la loi du 17 nivôse obtiennent leur effet, 
nonobstant toutes clauses par lesquelles un enfant 
aurait été exhérédé pour fait de mariage sans le con- 
sentement de son père, ou une femme privée de ses 
avantages pour cause de remariage. » A cette ques- 
tion, il est répondu que « toute exhérédation qui tend 
nécessairement à donner à l'un ce dont on prive l'au- 
tre, est implicitement abolie avec tous ses effets de- 
puis le 14 juillet 1789 ; qu'au surplus, et tant dans 
la première que dans la seconde espèce proposées, 
l'article 12 de la loi du 17 nivôse annule clairement 
de pareilles clauses comme contraires à la liberté, 
lorsque l'effet ne s'en est ouvert que postérieurement 
à l'époque générale déterminée par la loi... décrète 
sur le tout qu'il n'y a pas lieu de délibérer » (1). 

Tel était l'état de la législation à la veille de la 
réaction thermidorienne. C'était un désarroi complet, 
auquel avait contribué l'exécution du décret sur la 
rétroactivité qui semait partout le désordre (2). 



(1) Loi du 9 fructidor an II, 23 e question, Duvergier, t. VII, 
p. 318. 

(2) Sagnac, La législation civile de la Révolution française, 
p. 325 et 326. 



— 187 — 

Des citoyens étaient venus à la barre réclamer con- 
tre l'effet rétroactif et la séance du 5 floréal an III fut 
témoin d'une lutte ardente. Parmi les orateurs qui 
s'y signalèrent, Merlin (de Douai) se fit surtout re- 
marquer et c'est avec lui que s'ouvre la nouvelle pé- 
riode de réaction au cours de laquelle, par des res- 
trictions successives, les lois de brumaire et de ni- 
vôse vont se transformer et perdre le caractère de 
tyrannie qui fut la caractéristique de l'œuvre de cette 
époque. Merlin fit l'historique des lois successorales 
révolutionnaires, montra sous quelle influence les lois 
de brumaire et de nivôse avaient été rendues (1), et 
marqua l'intérêt qu'il y avait pour la République, à 
ce qu'on fit cesser au plus tôt le désordre qu'avait 
occasionné l'application du principe de la rétroac- 
tivité. Sous l'impression produite, l'Assemblée vota 
immédiatement le décret du 5 floréal an III, aux ter- 
mes duquel on devait suspendre toute action intentée 
d'après l'effet rétroactif de la loi de nivôse (2). 

Cependant le 14 floréal, Gleysal demandait le 
maintien de la loi de nivôse telle qu'elle avait été 



(1) Merlin met à jour la tactique de Hérault de Séchelles qui 
avait usé de son influence pour faire voter ces lois et s'était 
efforcé de leur faire accorder l'effet rétroactif, mesure à laquelle 
il devait gagner 80.000 livres de rentes. Voir Moniteur du 
9 floréal. 

(2) Duvergier, tome VIII, p. 117. 



— 188 — 

votée (1), appuyé par Laboissière qui proposait le 
rapport du décret du 5 floréal (2). 

L'attaque devint plus vive et plus franche avec 
Lanjuinais qui, à la séance du 2 messidor, se pro- 
nonce nettement contre l'effet rétroactif (3). Son rap- 
port commence par ces mots : « Futuris non autem 
pr&teritis leges dant $ormam. » Accorder à la loi un 
effet rétroactif, c'est admettre que la loi, dont le but 
est d'établir l'ordre et l'harmonie, pourrait occasion- 
ner le désordre et amener le bouleversement dans la 
République ; « ce serait supposer que la loi qui, dans 
son acception la plus exacte, n'est autre chose que la 
garantie des droits de tous, pourrait violer, anéantir 
ces mêmes droits dont chaque citoyen a joui, dont 
elle était l'égide, et détruire ainsi la foi publique, la 
propriété, la sûreté individuelle. » Lanjuinais n'atta- 
que d'ailleurs que la rétroactivité ; dans ses autres 
dispositions, il demande le maintien de la loi, esti- 
mant que la Convention n'a rien fait qu'elle n'ait eu 
le droit de faire, rien qu'elle n'ait fait avec justice. 
Cependant, l'on trouve dans le discours de Lanjui- 



(1) Opinion de Claude Gleysal, représentant du peuple sur la 
demande en rapport de la loi du 17 nivôse concernant le partage 
des successions. 

(2) Réflexions présentées par Laboissière, député du Lot, à ses 
collègues. 

(3) Lanjuinais, Rapport et projet de décret sur l'effet rétroactif 
des lois du 5 brumaire et du 17 nivôse de l'an deuxième. 






— 189 - 

nais, une pensée singulière qui surprend et qui peut 
être considérée comme un présage. « Le droit na- 
tional, dit-il, doit-être sans doute le principe et le 
régulateur de la législation ; il n'est cependant pas 
la loi même; et si à la faveur de ce mot vague, de 
retour au droit naturel, il était permis de renverser 
toutes les lois positives qui, jusqu'aujourd'hui, ont 
dirigé les transactions sociales, réglé l'ordre des suc- 
cessions, fixé les rapports des citoyens entre eux, 
qui de nous ne serait pas effrayé du chaos où nous 
irions nous plonger. » Lanjuinais proposait que la loi 
du 5 brumaire et la première partie de celle du 17 
nivôse an II jusqu'au titre des règles générales sur 
le partage des successions, fussent rapportées et ré- 
putées non avenues, sauf les modifications et excep- 
tions proposées dans les articles suivants (1). 

Villetard défend de toutes ses forces l'effet rétroac- 
tif. Quels troubles, en effet, les lois de brumaire et de 
nivôse ont-elles pu apporter, puisqu'elles n'ont fait 
que consacrer les principes adoptés depuis le 14 juil- 
let 1789 ? En décrétant l'égalité entre tous les citoyens, 
ne l'avait-on pas décrétée en matière civile aussi bien 
qu'en matière politique ? Et après avoir présenté des 
arguments, l'auteur proposait des exemples ; com- 



(1) Voir le rapport précité. Un second rapport fut présenté 
dans lequel l'ordre des articles avait été interverti, mais sans 
changement important. 



— 190 — 

ment hésiter, si l'on considérait a tout ce qu'aurait 
d'incohérent, avec notre révolution, un système qui 
livre des enfants à l'injustice, qui les sacrifie à l'or- 
gueil, qui les dépouille de leurs droits, qui prolonge 
les effets mortifères de la féodalité, et les fait survi- 
vre à sa destruction. » Villetard explique ainsi le 
grand nombre de pétitions qui sont parvenues à l'As- 
semblée, demandant le rapport de la rétroactivité ou 
celui de la loi entière : « Le possesseur légitime jouit 
en paix de ses droits et les croit suffisamment assurés 
par la justice, tandis que l'envahissante cupidité, l'in- 
trigue s'agite, circonvient et saisit avec une funeste 
activité tous les moyens de tirer partie des sophis- 
mes » (1). 

La loi elle-même, en dehors du principe de la ré- 
troactivité, est attaquée par Oudot (2). Cette loi qu'il 
déclare « très-sage et très-politique » dans la plupart 
de ses dispositions, en contient cependant quelques- 
unes qui semblent incompatibles avec la liberté natu- 
relle et le droit de propriété. « Il est contraire à la 
raison, à la justice de priver le citoyen de donner ce 
qui lui appartient et d'en faire l'usage que bon lui 
semble. » 

L'œuvre de la Convention ainsi attaquée montre la 



(i) Villetard, Opinion sur la loi du 17 nivôse. 
(2) Oudot, Opinion sur les dispositions de la loi du 17 nivôse, 
thermidor an III. 






— 191 — 

réaction qui s'opérait dans les esprits. Bien qu'il se 
trouve encore des représentants pour défendre les 
institutions conventionnelles, le mouvement est cepen- 
dant assez caractérisé pour faire prévoir la chute 
prochaine du système révolutionnaire. Nous n'en 
sommes encore qu'à cette phase indécise, où le légis- 
lateur inquiet commence à douter de son œuvre, mais 
proche cependant de l'heure où, certain de son erreur, 
il adoptera des principes plus humains et plus jus- 
tes, qui le guideront pour édifier une œuvre durable. 

Cependant déjà à cette époque, Oudot qualifiait 
ces lois de « funestes et corruptrices ». Leur rigorisme 
avait incité les hommes à tenter de les tourner et 
beaucoup en avait trouvé le moyen par la pratique 
d'actes fictifs : ventes simulées, échanges, transac- 
tions frauduleuses. On trouvait ainsi le moyen d'éten- 
dre la quotité disponible laissée trop infime. Oudot 
avait pensé justement en proposant de l'étendre au 
sixième lorsqu'il y avait des descendants, et, quand 
il n'y avait que des ascendants et des collatéraux, 
au tiers pour les dispositions testamentaires et à la 
moitié pour les donations entre vifs. 

Lanjuinais (1), le 8 fructidor, reprenant le projet 
qu'il avait proposé au début de messidor, attaque à 
nouveau le principe rétroactif et s'efforce de mettre 



(1) Lanjuinais, Rapport sur la loi du 41 nivôse. — Voir aussi 
Moniteur des 14 et 12 fructidor an III. 



— 19Î — 

les membres de l'Assemblée en garde contre la faus- 
seté de cette assertion, que les lois de brumaire et de 
nivôse ne contiennent pas à proprement parler d'ef- 
fet rétroactif, et qu'elles ne sont que l'application des 
principes proclamés dans la Déclaration des droits 
de l'homme et du citoyen. Or « la Déclaration des 
droits n'est pas une loi : c'est la loi seule qui peut 
établir un nouvel ordre de succéder... la loi civile 
crée les propriétés et peut seule régler l'ordre et le 
mode de leur transmission. » Combattant les argu- 
ments qui ont été placés en avant pour justifier l'ef- 
fet rétroactif, notamment le désir de favoriser les 
cadets qui sont en plus grand nombre que les aînés, 
et l'échec à faire au « royalisme », il ajoute : « Au- 
cune considération politique ne peut justifier la ré- 
troactivité ; tous les motifs de justice et de saine poli- 
tique s'élèvent contre la rétroactivité. » 

Un partisan de la rétroactivité, Pérès, député de 
la Haute-Garonne, attaque la loi de nivôse dans une 
autre de ses décisions (1). On avait vu avec défaveur 
le principe de l'égalité des partages étendu de la 
ligne directe à la ligne collatérale. Une telle disposi- 
tion n'était guère justifiable ; elle ne pouvait être 
expliquée que par cet excessif besoin d'égalité, légi- 
time à l'origine, qui devint chez les législateurs de 



(1) Moniteur du 12 fructidor an III. 



— 193 — 

la Convention une dangereuse et incompréhensible 
monomanie. Pérès demande la suppression de cette 
partie de la loi et porte ce jugement sur la loi de 
nivôse : celle-ci « va beaucoup trop loin ; tranchons 
le mot : elle confond tout, elle gâte tout. » Il ajoute : 
« Un père, en donnant la vie à ses enfants, contracte 
l'obligation sacrée de les nourrir, de les entretenir 
et de pourvoir à leurs besoins par delà même le tom- 
beau... il n'en est pas de même d'un collatéral. » Il 
est certain qu'aucune obligation naturelle n'existe 
entre ceux-ci et que la libre disposition des biens doit 
exister à leur égard. Le retour à l'ancienne liberté 
en cette matière paraissait tellement désirable, qu'il 
fut demandé que la question de la rétroactivité fut 
renvoyée jusqu'au moment où l'on aura rétabli la » 
faculté de tester en ligne collatérale. 

Il ne devait pas en être ainsi et la question ne fut 
résolue que plus tard. Cependant le mot de Boissy 
d'Anglas qui, quelques jours auparavant, demandait 
à <( revoir toutes les lois barbares consacrées par la 
tyrannie décemvirale » avait été écouté, et l'on pa- 
raissait décidé à entrer dans cette voie. 

La proposition de Dubois-Crancé sur le rapport 
de l'effet rétroactif, combattue par Laboissière et 
Blutel, est soutenue par Laurenceot (1). Il est temps 



(1) Telle paraît être l'orthographe de ce nom, bien qu'on le ren- 
contre quelquefois sous la forme de Laurenceau. 

Maison. 13 



- 194 — 

de revenir enfin aux principes de justice dont on s'est 
malheureusement écarté. « Il faut rendre à toutes les 
familles cette harmonie salutaire que les lois dévas- 
tatrices leur avaient enlevée parce qu'il était dans le 
besoin des fripons de tout diviser pour établir leur 
empire. » A la séance du 9 fructidor, Paganel re- 
prend la demande de Pérès, soutenu par Mailhe et 
Saladin (1). 

Ces discussions ne furent pas sans résultat et le 9 
fructidor marqua le déclin de la loi de nivôse. Aux 
termes du décret issu de ces débats, « les lois du 5 
brumaire et du 17 nivôse an II de la République con- 
cernant les divers modes de transmission des biens 
dans les familles n'auront d'effet qu'à compter des 
époques de leur promulgation » (2). 

Bien que la réforme apportée par ce dernier décret 
fut désirable, celui-ci fut loin de ramener l'ordre. 
Pour s'imaginer le bouleversement occasionné par 
cette nouvelle décision, il faut penser que, parmi les 
dispositions atteintes par la rétroactivité des lo^s 
de brumaire et de nivôse, un certain nombre avaient 
déjà été attaquées et leur annulation avait donné lieu 



(1) Les séances consacrées à ces discussions furent très mou- 
vementées et nous sommes loin d'avoir cité tous ceux qui y ont 
pris part. Chacun voulait émettre un avis et plusieurs voix s'éle- 
vèrent pour demander qu'on fermât la discussion. La séance du 
9 fructidor se termina au milieu des cris et du tumulte. 

(2) Décret du 9 fructidor an III, Duvergier, t. VIII, p. 304. 



— 195 — 

à de nouveaux partages qui allaient à leur tour deve- 
nir nuls par l'effet du nouveau décret. Il y avait lieu 
de rétablir les choses dans leur premier état après 
une double annulation. 

Ces difficultés donnent' lieu à la loi du 3 vendé- 
miaire an IV qui s'occupe des modes de restitution, 
décret complété par la loi du 18 pluviôse an V (1). 
La loi de nivôse subsiste pour le surplus de ses dis- 
positions jusqu'à la loi du 4 germinal an VIII. 

Les préliminaires de cette loi qui devait rétablir la 
faculté de tester dans une certaine mesure, rappellent 
les débats qui précédèrent le décret du 9 fructidor 
an III. 

Le nombre des rapports qui se succédèrent sur 
cette matière fut considérable : la question des testa- 
ments était en effet trop importante pour qu'un grand 
nombre s'en désintéressât. 

Regnault (de Saint- Jean d'Angély) prit l'initiative 
de ce projet qui tendait à accorder la possibilité de 
disposer par donation entre vifs ou par testament, 
de la quotité disponible, quotité beaucoup plus éten- 
due que celle laissée par la loi de nivôse et établie 
selon une certaine proportion calculée d'après le nom- 
bre des enfants et la qualité des successibles. 

Bien que le nom de Mirabeau ait été fréquemment 



(1) Duvergier, t. VIII, p. 354 et suiy., et t. IX, p. 312 et suiv. 



— 196 — 

prononcé au cours des discussions, nous sommes 
loin de la conception qu'il avait du testament : a Le 
testament, dit Duveyrier, c'est-à-dire le droit de 
donner son bien après sa mort, a trouvé des contra- 
dicteurs célèbres,... mais je crois qu'il est d'une lé- 
gitimité immémoriale autant qu'universelle » (1). C'est 
un moyen pour le père de récompenser ou de punir, 
mais l'infime quotité laissée à sa disposition par la 
loi de nivôse, avait rendu cette faculté illusoire. 
Déplorant les effets de cette loi, l'orateur traçait le ta- 
bleau des mœurs familiales qu'elle avait engendrées : 
« Les pères de famille étaient tombés de ce trône pa- 
triarcal, autour duquel toutes les vertus et tous les 
sentiments appelaient les hommages... L'irrévérence 
des enfants allait jusqu'à la révolte ; l'obéissance et 
même le respect filial ne provoquaient plus que la 
dérision et le sarcasme. » 

Ce discours suscite une réponse d'Andrieux, ré- 
ponse importante par la décision à laquelle elle 
donna lieu (2). Défendant l'interdiction de tester en 
ligne directe, Andrieux s'écriait : « En l'an 8, en l'an 
8 de la République, ce principe d'égalité entre les 
enfants, principe si simple, si naturel, si juste, est 



(1) Rapport fait par Honoré Duveyrier, tribun du peuple, sur le 
projet de loi relatif à la faculté de disposer (26 ventôse an VIII). 

(2) Andrieux, Opinion contre le projet de loi tendant à rétablir 
la faculté de tester au préjudice de Végalité en ligne directe 
(28 ventôse an VIII). 



— 197 — 

traité de système d'interdiction de la propriété fondé 
sur des idées fausses d'égalité et de liberté politi- 
ques !... O Mirabeau, où êtes-vous? » Avant de des- 
cendre de la tribune, il demanda à ce qu'on relut le 
discours de Mirabeau. Cette proposition fut adoptée 
et on fit à l'Assemblée une seconde lecture du dis- 
cours lu par Talleyrand le 2 avril 1791. 

L'effet produit ne fut pas aussi considérable 
qu'Andrieux l'avait présumé. A part quelques mem- 
bres comme Chaillan (1) et Legonidec, la majorité 
demeure partisante du nouveau projet. Favard voyait 
dans l'extension de la quotité disponible telle qu'on 
la proposait, un hommage rendu a spécialement à 
l'autorité paternelle » (2), et Grenier, envisageant la 
nouvelle proposition sous le double rapport de la mo- 
rale et de la politique, assurait qu'elle ne pouvait 
produire que de salutaires effets. « Sous le rapport 
de la morale, j'y vois un des moyens de maintenir 
la puissance paternelle,... et on ne peut qu'accueil- 
lir avec transport toute législation qui tend à retirer 
la puissance paternelle de l'état de nullité où elle a 
été réduite et à lui redonner la place que la nature 



(1) Challan, Opinion sur le projet de loi relatif à la faculté de 
disposer de ses biens (28 ventôse an VIII). 

(2) Opinion sur le projet de loi relatif à la faculté de disposer 
(28 ventôse an VII5). 



— 198 — 

môme lui a assignée » (1). Il n'y a pas à craindre 
que le père abuse de ce pouvoir, et il faut plutôt ten- 
ter de prévenir les fautes des fils que les excès des 
pères. Grenier rappelle à ce propos cette pensée de 
Vauvenargues : « Il suffit d'être homme pour être un 
très bon père ; il faut être honnête homme pour être 
un bon fils. » Au point de vue politique, le danger 
n'existe plus, maintenant que les orages politiques 
sont passés. L'on peut rapprocher cet avis de celui 
de Benjamin Constant qui trouvait la mesure propo- 
sée « conforme à la justice, utile à la morale, néces- 
saire au bonheur domestique de la famille et propre 
à l'affermissement de la République » (2). 

Pour des raisons différentes, Huguet et Legonidec 
s'opposent au vote du projet proposé. Huguet, quoi- 
que partisan de l'extension de la quotité disponible, 
demande une loi plus complète sur la question (3). 
Quant à Legonidec, fidèle aux doctrines de 1793, il 
réédite les arguments que nous avons retrouvés si 
souvent à cette époque : permettre au père de dis- 
poser d'une partie de ses biens au profit d'un de ses 
enfants, c'est vouloir faire naître la piété filiale de 






(1) Grenier, Opinion sur le projet de loi relatif à la faculté de 
tester (28 ventôse an VIII). 

(2) Benjamin Constant, Opinion sur le projet de loi relatif à la 
faculté de lester (29 ventôse an VIII). 

(3) Huguet, Opinion sur le projet de loi relatif aux dispositions 
testamentaires (29 ventôse an VIII). 



— 199 — 

la crainte ou de l'intérêt ; c'est empoisonner dans leur 
source les jouissances paternelles que de mettre les 
pères dans l'impossibilité de distinguer désormais si 
l'affection de leurs enfants est la soumission d'un es- 
clave ou l'espoir d'un mercenaire » (1). Ces raisons 
soutiennent peu l'examen et Garry ne pense pas qu'on 
doive s'y arrêter (2). 

Le discours de Mirabeau est attaqué directement 
par Jard-Panvillier qui considère le droit de tester 
comme la faculté d'user de sa propriété de son vivant. 
Le discours de Mirabeau, dit-il, n'est pas d'un grand 
poids ; (( quand les dissentions domestiques de sa 
famille et les rigueurs paternelles dont il a été l'objet 
n'auraient pas eu l'éclat qu'il leur a donné lui-même, 
il suffirait de lire son opinion sur les testaments pour 
juger qu'elle a été faite ab irato » (3). 

Malgré une proposition de Légier (4), tendant à 
maintenir la loi de nivôse, l'Assemblée vota la loi 
du 4 germinal an VIII (5). C'était l'abrogation tacite 



(1) Legonidec, Opinion sur la faculté de tester (29 ventôse an 
VIII). 

(2) Garry, Opinion sur le projet de loi relatif à la faculté de 
disposer. 

(3) Jard-Panvillier, Discours sur le projet de loi concernant la 
faculté détester. 

(4) Légier, Opinion sur le projet de loi relatif à la faculté de 
tester. On lira avec intérêt en note de l'opuscule, les opinions 
d'une jeune citoyenne, remises au tribun au moment où il descen- 
dait de la tribune. 

(5) Duvergier, t. XII, p. 186. 



— 200 — 

de la loi de nivôse. On restitue au père une autorité 
convenable et juste par l'augmentation de la quotité 
disponible ; celle-ci est fixée au quart si le père laisse 
moins de quatre enfants, au cinquième s'il en laisse 
quatre, au sixième s'il en laisse cinq et ainsi de suite 
en comptant toujours, pour déterminer la quotité dis- 
ponible, le nombre des enfants plus un. Cette disposi- 
tion est une réaction saine. Accorder la disponibilité 
complète eût été une exagération regrettable et les 
membres du tribunat se sont gardés de tomber dans 
cette erreur : les droits du père doivent être limités 
par ceux de l'enfant. Quand le disposant ne laisse 
que des ascendants ou des frères et sœurs, la quotité 
est de la moitié ; elle est des trois quarts quand le dé- 
funt ne laisse que des oncles ou grands-oncles, tan- 
tes ou grand'tantes, cousins germains ou enfants de 
cousins germains. Mais la grande innovation de la 
loi de germinal est la liberté absolue de disposer de 
la portion disponible laissée au père. Il n'est plus, 
comme sous le régime de la loi de brumaire et de 
nivôse, tenu de ne disposer de la portion laissée li- 
bre qu'au profit d'une personne étrangère à la suc- 
cession, dorénavant « les libéralités autorisées par 
la présente loi pourront ê'tre faites au profit des en- 
fants ou autres successibles du disposant, sans qu'ils 
soient sujet à rapport. » Art. 5. — Le père pourra 
ainsi gratifier un enfant, tandis que la loi sauvegarde 



— 201 — 

les droits des autres descendants, en interdisant au 
père d'exagérer le don au delà d'une juste quotité. 

Un mois après, Chazal proposait différentes mesu- 
res relatives aux successions et aux testaments (1). 
Il demandait la condamnation des testaments faits 
in extremis, la limitation de la représentation en li- 
gne collatérale et surtout le rétablissement du droit 
d'exhérédation, mais en soumettant ce dernier droit 
à l'existence de justes causes qui seraient limitative- 
ment énumérées par la loi. Cette motion, combattue 
par Favart et Grenier, resta sans effet (2). 

Le projet de Code proposé en l'an VIII tendait 
encore à accorder au père une plus grande liberté de 
disposer que celle fixée par la loi de germinal. Quel 
que soit le nombre des enfants, on demandait que la 
quotité fut d'un quart ; dans les cas où il n'y aurait 
que des ascendants ou des frères et sœurs, celle-ci 
serait de moitié ; elle s'étendrait aux trois quarts des 
biens si le défunt ne laissait que des neveux ou nièces, 
enfants au premier degré de frères ou de sœurs (3). 

Dans les observations du tribunal de Cassation, 



(i) Chazal, Motion d'ordre et proposition d'un vœu à émettre 
pour des améliorations aux lois sur les successions et la faculté de 
tester (16 floréal an VIII). 

(2) Favard, Opinion sur la motion du tribun Chazal; — Grenier, 
même titre. 

(3) Projet de Code de Van VIII, livre III, titre IX, ch. II, art. 16; 
Fenet, Travaux préparatoires, t. II, p. 276. 



— 202 — 

un membre proposait d'établir une différence entre les 
donations entre vifs et les dispositions à cause de 
mort, et de graduer la faculté de disposer selon le 
plus ou moins grand nombre des enfants d'après 
le principe qu'avait adopté la loi de germinal. Son 
avis ne fut pas pris en considération. 

Toutes ces tentatives montrent combien peu l'on 
se méfiait du mauvais usage que les pères pouvaient 
faire de la liberté qui leur était laissée. Les déplora- 
bles résultats qu'avait donnés, au dire des contem- 
porains, la législation révolutionnaire, avaient fait 
naître le besoin de se rattacher aux anciens principes. 
Un membre de la Commission disait : « A la règle 
générale qui ne peut être que l'égalité parfaite, une 
loi judicieuse peut et doit admettre des exceptions 
confiées à la prudence du père, desquelles on se flatte, 
avec raison, que le plus grand nombre des pères n'a- 
busera pas » (1). 

C'est cet esprit qui a inspiré les rédacteurs du Code 
et en examinant les travaux qui ont précédé la loi du 
13 floréal an XI, on remarque combien le législa- 
teur a su voir l'importance que sa décision aurait 
sur la -puissance paternelle : en légiférant sur cette 
question, disait Bigot du Préameneu, « vous allez 
poser la principale base de l'autorité des pères et 



(1) Fenet, Travaux préparatoires, t. II, p. 699. 



— Î03 — 

mères sur leurs enfants » (1). Jamais la loi ne s'était 
montrée aussi favorable à l'initiative et à la liberté 
du père. On étendit encore une fois la quotité dispo- 
nible, lui Faisant ainsi atteindre la limite extrême à 
laquelle eîle pouvait parvenir ; elle fut fixée à la 
moitié si le père n'a qu'un enfant, au tiers s'il en laisse 
deux, au quart s'il en laisse un plus grand nombre. 
Combien était loin la quotité disponible proposée par 
Mirabeau. 

Mais la condition du fils est également favorable. Il 
n'a plus à redouter l'exhérédation qui n'est pas réta- 
blie et il se trouve ainsi certain de recueillir l'héré- 
dité pour la part raisonnable que le législateur lui 
a attribuée. Seule la déclaration d'indignité peut l'en 
priver. 

L'histoire et l'évolution de la quotité disponible, sa 
quasi-disparition et sa nouvelle marche ascendante, 
sont peut-être les phénomènes juridiques les plus cu- 
rieux et les plus caractéristiques sur la matière qui 
nous occupe. Celle-ci suit toutes les évolutions de 
la puissance paternelle ; elle en donne pour ainsi 
dire la mesure. C'est le niveau auquel on peut suivre 
la marche de celle-ci depuis son anéantissement jus- 
qu'au jour de sa restauration. 



(1) Bigot de Préameneu, Exposé des motifs de la loi relative 
aux donations entre vifs et aux testaments (2 floréal an XI). 



CHAPITRE IV 
La Majorité. 



Un auteur dans l'œuvre duquel on perçoit le reflet 
de l'esprit et des principes révolutionnaires (1), dé- 
finit la majorité, l'âge « où l'homme s'élance vers la 
vie avec le désir de la consacrer tout entière à l'uti- 
lité publique. » L'homme n'existe pour la loi que 
lorsqu'il est capable de faire un citoyen et de se dé- 
vouer à la patrie. Dans les premières années de sa 
vie, il n'est occupé que « du soin de former son cœur 
à la vertu, d'ouvrir son esprit à la science, de dévelop- 
per toutes ses facultés ; il éprouve maintenant le 
besoin impérieux de fixer sa place dans la société 
et de connaître à fond la mesure exacte de ses droits 
et de ses devoirs » (2). 

Ces définitions sont issues directement des concep- 
tions philosophiques du XVIII e siècle. La croyance 



(1) Desquiron, Traité de la minorité, de la tutelle et de Véman- 
cipation, 1810, p. 4. 

(2) Desquiron, ibidem. 



— 205 — 

à la bonté originelle de l'homme, cet élan naturel 
et continu vers un idéal moral inhérent à son cœur, 
tous ces articles de foi indémontrés, sont les princi- 
pes directeurs des philosophes et des jurisconsultes 
de la Révolution. lis s'attachèrent à ces vérités avec 
amour, les prenant pour bases des institutions qu'ils 
proposèrent pour régir des hommes idéalement bons. 
Leur erreur fut une erreur de principe. 

Il est cependant certain que l'individu, quelle que 
soit sa valeur morale, parvenu à un certain âge, 
prend plus nettement conscience de lui-même et as- 
pire à être plus pleinement. Le législateur doit pré- 
voir cette transformation et, à cette époque, il sera 
bon de laisser à l'individu une initiative plus grande 
qui lui permettra d'orienter sa vie vers un but désiré 
en utilisant les aptitudes qu'il avait en germe pen- 
dant son enfance et qu'il a développées pendant 
son adolescence. Ce serait méconnaître les lois 
naturelles que d'anéantir la personnalité de l'individu 
et de le rendre, eh vertu d'un principe social, tribu- 
taire et dépendant durant toute sa vie, et quel que 
soit son âge, d'une autorité souveraine. Il est donc 
juste qu'à l'âge de la majorité l'homme devienne un 
citoyen libre de toute dépendance. 

Cette loi, respectée dans les pays de coutumes, 
n'était pas parvenue à l'être d'une manière uniforme. 
Dans les pays de droit écrit nous avons vu ce qu'il 
fallait entendre par l'expression « majorité de vingt- 



— 206 — 

cinq ans ». En cette matière, comme en d'autres, ce 
fut la Révolution qui apporta l'unité nécessaire à 
cette législation indécise. L'on peut dire, en effet, 
que, malgré ses erreurs, la Révolution eût un rôle 
fécond dans notre histoire juridique. A ces institu- 
tions multiformes et à ces mille coutumes qui se par- 
tageaient l'ancienne France, elle fit succéder l'unité 
et l'ordre. Et n'eût-elle fait que cela, son œuvre serait 
encore considérable. 

Il fallait aussi en cette matière une loi unique s'ap- 
pliquant à tous et universellement à toute la France. 
Le résultat ne fut pas atteint immédiatement. Des 
réformes partielles consécutives furent nécessaires 
pour arriver après quelques années au but désiré. 

La question de la majorité fut agitée dès les pre- 
miers mois de la Constituante. On s'occupait alors de 
la constitution des assemblées primaires. Celles-ci 
devaient choisir les électeurs chargés d'élire les re- 
présentants à l'Assemblée Nationale. Etaient mem- 
bres de ces assemblées primaires, tous les citoyens 
actifs, c'est-à-dire tous les Français majeurs domi- 
ciliés dans le canton, payant une contribution directe 
de la valeur de trois journées de travail et n'étant 
pas serviteur à gages (1). 

Mais l'âge de la majorité n'étant pas uniforme, 



(1) Loi du 22 décembre 1789-janvier 1790, Duvergier, I, p. 86 
et suiv. 



— 207 — 

il importait de le fixer d'une manière définitive. La 
plupart des coutumes adoptait, en cette matière, l'âge 
de vingt-cinq ans. Seule la coutume de Normandie 
faisait exception en admettant la majorité de vingt 
ans. 

C'est cette dernière majorité que l'on aurait cer- 
tainement adoptée, s'il s'était agi d'une majorité pure 
et simple. Mais il s'agissait ici de quelque chose de 
plus. Etre citoyen actif, c'est être maître en partie 
du sort de l'Etat ; il importait donc de ne conférer 
ce titre qua des citoyens à l'esprit suffisamment for- 
mé, et susceptibles de comprendre la grandeur de 
leur tâche et d'avoir conscience de leur responsabi- 
lité. Ceci ressort du discours de Legrand, partisan 
avéré de la majorité civile de vingt-et-un ans. « La 
majorité de vingt-cinq ans est trop éloignée pour 
qu'un citoyen exerce ses propres droits, elle ne l'est 
point assez pour exercer ceux des autres » (1). Il 
proposait trois sortes de majorités : une majorité 
pure et simple, civile, « dans mon opinion particu- 
lière, je crois qu'elle devrait être fixée à vingt-et-un 
ans. » A cet âge la puissance paternelle devait ces- 
ser et le jeune homme devait jouir d'une liberté et 
d'une capacité complètes. Une majorité de vingt-cinq 
ans serait exigée pour être admis aux assemblées 



(1) Archives parlementaires, t. IX, p. 470 et 471, 



— 208 — 

primaires, tandis que les autres resteraient fermées 
aux citoyens jusqu'à l'âge de trente ans. 

Le Chapelier, plus confiant, demandait une majo- 
rité unique de vingt-et-un ans. « Les circonstances 
présentes, les réformes qui seront faites dans l'ins- 
truction publique peuvent faire espérer que, bien 
avant l'âge de vingt-cinq ans, les hommes seront 
capables de remplir les fonctions publiques, je pense 
que la majorité devrait être fixée à vingt-et-un ans.» 

Ce n'est cependant pas son opinion qui triomphe, 
et Le Pelletier de Saint-Fargeau fait adopter la ma- 
jorité de vingt-cinq ans, L'article 2 de la section pre- 
mière de la loi du 22 décembre 1789, énonce comme 
deuxième condition requise pour être citoyen actif : 
être majeur de vingt-cinq ans accomplis. 

Mais cette majorité est une majorité politique. A 
partir de vingt-cinq ans, l'individu devient un citoyen 
ayant une place et un rôle dans l'Etat, mais il reste 
vis-à-vis de son père dans la même condition que 
précédemment. Sa situation à cet égard n'a pas 
changé. 

Faire du citoyen majeur un citoyen libre de toute 
puissance et abaisser l'âge de cette majorité tardive 
de vingt-cinq ans, telle sera l'œuvre de l'Assemblée 
Législative. Aux derniers jours de sou court règne, 
elle votera le décret du 20 septembre 1792, dans 



— 209 — 

lequel elle adoptera la majorité de vingt-et-un ans 
qui est restée la nôtre. 

La loi du 20 septembre qui consacra la nouvelle 
majorité, est le résultat de deux séries de discussions: 
l'une dirigée par Muraire, rapporteur de la loi, sur 
le mode de constater l'état civil des citoyens, l'autre 
suscitée par Ducaslel, rédacteur d'un plan tendant à 
la restriction de la puissance paternelle. Les deux 
projets distincts à l'origine, se sont fondus l'un dans 
l'autre pour aboutir au décret que nous allons étu- 
dier. 

L'importante question de la majorité fut agitée à 
la séance du 7 juillet 1792. Elle n'était pas l'objet 
principal de la discussion. On s'occupait alors de 
poursuivre l'examen du projet de Muraire. Les pre- 
miers articles avaient été étudiés aux précédentes 
séances, et l'on était parvenu au titre IV sur le ma- 
riage. Le rapporteur, combattant l'ancien droit, pro- 
posait qu'à l'âge de vingt-et-un ans accomplis ceux 
pour qui était jadis nécessaire le consentement de 
leurs parents fussent dispensés de le requérir : « Les 
mineurs de vingt-et-un ans accomplis ne pourront 
se marier sans le consentement de leur père, mère, 
tuteur ou curateur. » 

Cette proposition fut vivement combattue par La- 
source, demandant, non pas comme on pourrait le 
croire, que l'ancienne majorité de vingt-cinq ans 

Masson. 14 



— 210 — 

fut maintenue, mais militant en faveur d'une majorité 
plus hâtive. Le député du Tarn pensait qu'après 
avoir accordé la possibilité de se marier aux jeunes 
filles à treize ans, et à quinze ans pour les garçons 
lorsque ceux-ci avaient obtenu le consentement de 
leurs parents, il était dangereux et injuste de re- 
tarder jusqu'à l'âge lointain de vingt-et-un ans, l'é- 
poque où l'un et l'autre pourront se marier sans con- 
sentement : « L'intervalle de cet âge jusqu'à celui de 
vingt-et-un ans me paraît trop considérable. Une 
jeune fille de treize ou quatorze ans commence à 
soupirer pour une union qui est dans la nature : elle 
lutte entre les passions et le devoir, si elle succombe, 
elle est perdue,sielle triomphe, elle est martyre » (1). 
Les martyres du citoyen représentant Lasource, 
font un peu sourire et l'on a peine à s'imaginer les hé- 
roïnes de treize ans luttant entre l'amour et le devoir. 
Lorsque l'opinion s'est trouvée ébranlée par les dis- 
cours de quelque ardent révolutionnaire, quelques li- 
gnes dans le genre de celles que nous venons de 
citer, suffisent pour rappeler à la réalité : le discours 
de Lasource abonde d'ailleurs en traits semblables. 
L'orateur se défend d'ailleurs de vouloir détruire la 
puissance paternelle, « personne ne la respecte plus 
que moi. C'est dans les limites temporaires que lui 



(1) Archives parlementaires, t. XL VI, p. 214. 



— 211 — 

a prescrites la nature, une autorité sacrée, mais je 
crois que le comité protège un peu trop la dépendan- 
ce des enfants et qu'il recule trop loin l'époque à la- 
quelle on pourra se marier sans consentement. » Il 
n'est pas besoin de s'attarder à réfuter cette opinion. 
L'autorité paternelle, qui peut devenir une entrave à 
la liberté individuelle lorsqu'elle se prolonge jusqu'à 
un âge trop avancé, ne s'exerce sur l'enfance et l'a- 
dolescence que sous forme d'affectueuse protection. 
Quels que soient les motifs qui incitent le père de fa- 
mille à refuser son consentement à un mariage pré- 
coce, il est impossible à la loi de trouver une raison 
sérieuse pour accorder à l'enfant une liberté absolue 
dans un âge où il sera tenté d'en mésuser en se pré- 
parant pour l'avenir d'irrémédiables regrets. La- 
source avait prévu ces objections qu'il qualifiait de 
« spécieuses ». « On dit qu'il se fera des unions mal- 
heureuses, ainsi que des mésalliances. J'observe qu'il 
y aurait moins de mal à ce que deux personnes fus- 
sent malheureuses toute leur vie par l'effet de leur 
propre volonté, qu'il y en aurait qu'elles le fussent 
un seul instant par le caprice des pères et la défec- 
tuosité de la loi. » S'il en est ainsi, la proposition de 
Lasource est incomplète, et en partant de ce prin- 
cipe, il faut accorder à l'enfant la pleine capacité 
dès le lendemain de sa naissance. 
Le projet de Muraire ne s'occupait pas de la ma- 



— 212 — 

jorité en général qui restait fixée de manières diffé- 
rentes par les diverses coutumes. Celui-ci, dans l'ar- 
ticle précité, n'avait envisagé qu'une sorte de majo- 
rité particulière, majorité qui, une fois atteinte, per- 
mettait de se marier sans consentement. A l'égard 
des contrats civils ordinaires, le mineur de vingt-cinq 
ans restait toujours sous l'empire du droit antérieur. 
Ce n'était donc qu'une nouvelle tentative contre l'au- 
torité paternelle inspirée par la haine des anciennes 
institutions. Le projet du comité ne dit pas, en effet, 
qu'à vingt-et-un ans, tout citoyen sera majeur ; à cet 
âge seulement il pourra se marier seul. Il y a là un 
illogisme que fît remarquer Ducastel. Le mineur est 
incapable de contracter ; il résulte des principes qu'il 
est également incapable de régler ses droits matri- 
moniaux ; pour s'engager en cette matière, il aura 
besoin d'un consentement ou d'une autorisation. Mais 
qui la lui donnera ? Ce seront certainement les person- 
nes sous la puissance desquelles il se trouve : il est 
donc inexact de dire qu'il peut s'en passer. D'autre 
part, la même contradiction s'offre encore si la loi 
accorde à l'enfant la pleine capacité pour se marier 
et régler les clauses de son contrat de mariage. On 
arrivera alors à ce résultat bizarre : un enfant mi- 
neur sera réputé majeur pour le mariage et pourra 
par conséquent se ruiner en signant des clauses dan- 
gereuses dans son contrat de mariage, alors qu'il ne 



— 2ia — 

pourra s'engager par un autre contrat pour la 
somme la plus minime. « Vous devez, dit Ducastel, 
fixer l'âge où l'on sera majeur dans tout l'Empire. 
Quand l'époque de la majorité sera générale, les dif- 
ficultés disparaîtront. Vous pourrez alors dire : le 
mineur et l'interdit auront besoin d'autorisation, le 
majeur en sera dispensé. L'unique question est de 
savoir à quel âge on sera majeur » (1). Ducastel de- 
mandait que l'âge de la majorité fut fixé à vingt ans. 
Ce sera l'âge de la pleine capacité à laquelle on ne 
pourra faire légalement aucune restriction. C'est donc 
en même temps anéantir l'ancienne procédure des 
sommations respectueuses, que le comité avait con- 
servées dans l'article 3 sous l'expression de « simple 
réquisition du consentement du père et de la mère. » 
Ce vestige de l'autorité paternelle devait disparaître. 
« J'ai toujours vu les sommations respectueuses pro- 
duire ou l'audace des enfants ou l'irritation des pères 
et mères... Laissez à la piété filiale et à la tendresse 
paternelle le soin de s'entendre. Quand le fils ne 
sera plus tenu de requérir le consentement, le père 
n'exigera plus la réquisition. Il verra marier son fils 
comme il le verrait faire un autre contrat. Il dira je 
suis libre parce que je suis majeur. Mon fils est 
majeur donc il est libre. » Il est curieux de voir com- 
bien était étrange cette magie du mot liberté. 



(1) Archives parlementaires, t. XLVI, p. 214 et 215. 



— 214 — 

Cette opinion est appuyée, en ce qui concerne la 
réduction de l'âge de la majorité, par Voysin de Gar- 
tempe. Il lui paraît juste, en effet, d'abaisser l'âge 
de la majorité civile de manière à laisser un inter- 
valle de quelques années entre cette majorité et la 
majorité politique fixée à vingt-cinq ans par la loi 
du 22 décembre 1789 ; le jeune citoyen s'habituerait, 
en exerçant ses droits particuliers, à exercer un jour 
ceux de la nation. Il proposait la rédaction suivante : 
« L'Assemblée Nationale décrète que la majorité ci- 
vile demeure fixée à vingt-et-un ans accomplis de 
manière que ceux qui auront atteint cet âge même 
dans les pays de droit écrit auront la disposition de 
tous leurs biens et pourront contracter toutes sortes 
d'engagements. » 

Lemontey tenta bien de combattre ce projet et de 
plaider la cause de la puissance paternelle. Ce fut 
sans succès. « La puissance paternelle, disait-il, fut 
toujours regardée comme le meilleur moyen de 
maintenir la pureté des mœurs, et par les mœurs la 
liberté des empires... Lorsque la puissance des pères 
est limitée par une sage législation, elle peut préser- 
ver les enfants de l'erreur et de l'emportement des 
passions. Je demande donc que la majorité civile 
ne soit fixée qu'à vingt-cinq ans pour les garçons et 
à vingt-et-un ans pour les filles. » Ce moyen terme 
n'obtint même pas les honneurs de la discussion. 



— 215 — 

La question fut laissée en suspens pendant plus 
d'un mois pour n'être reprise qu'à la séance du 16 
août. Malgré l'insistance nouvelle de Ducastel, Mu- 
raire propose dans une rédaction définitive que : 
« depuis lage de vingt-et-un ans jusqu'à celui de 
vingt-cinq les enfants ayant leurs père et mère ne 
seront tenus qu'à une simple réquisition. » A vingt- 
et-un ans, toute personne sera donc capable de se 
marier tout en restant soumise à la procédure de la 
sommation respectueuse. Le vote du décret est remis 
à une date ultérieure. 

Peu de jours après, la question fut de nouveau 
agitée, suscitée au cours de la discussion d'un projet 
de décret sur l'abolition des substitutions. Ce projet 
qui devait aboutir au décret des 14-15 novembre 
1792 (1), avait donné lieu à plusieurs discours. Vei- 
rieu, dans son rapport, avait retracé un tableau des 
injustices et des haines dont les fideieommis et les 
substitutions avaient été l'origine et montré les en- 
traves qu'ils avaient apportées à la libre disposition 
des biens. « Leur conservation est incompatible avec 
les principes sacrés de la liberté et de l'égalité, » et 
« la saine politique en réclame la plus active pros- 
cription. » L'Assemblée, malgré la demande d'ur- 
gence du rapporteur, avait ordonné l'impression du 



(1) Duvergier, t. V, p. 57. 



— 218 — 

projet de décret et en avait ajourné la discussion. 
Cambon, se levant alors : « Le projet de décret 
qui vous est présenté, dit-il, me paraît ne pas détruire 
entièrement le vice de notre législation, à l'égard 
de ce qu'on appelle les fils de famille. Est-il cepen- 
dant un homme libre qui puisse tolérer plus long- 
temps la puissance barbare d'un père émancipant 
son petit-fils et tenant obstinément sous sa puissance 
un fils qui est à la soixantième année de son âge » (1)? 
Le despotisme paternel avait en effet laissé d'assez 
tristes exemples, mais nous devons croire que des 
faits semblables étaient toujours demeurés rares. 
L'ardent orateur ne manque cependant pas d'en faire 
un tableau très poussé. Il est certain que plus d'un 
père, nourri dans les sentiments du passé, devait 
voir sans joie son fils s'attacher aux principes révo- 
lutionnaires et s'en faire le champion. Les jeunes 
gens devaient en effet accueillir de grand cœur les 
doctrines nouvelles dans lesquelles ils trouvaient la 
libération d'un joug longtemps et impatiemment sup- 
porté. Des adresses avaient été envoyées à l'Assem- 
blée, dans lesquelles on rapportait le fait de pères 
réprimandant leurs fils pour leurs opinions républi- 
caines. C'était surtout dans les pays de droit écrit 
que de tels faits se produisaient : la conception de la 



(1) Archiva parlementaires, t. XLIX, p. 55. 



- 517 - 

puissance paternelle y était restée plus vivace et les 
chefs de famille y étaient plus jaloux de leur auto- 
rité. Cambon s'empara de ces exemples dont la force 
serait aussi grande s'ils étaient rédigés en un style 
moins Brutal : « On voit dans nos pays méridionaux 
les jeunes gens être patriotes, les vieux rester abrutis 
par les préjugés ; et n'est-il pas bien fâcheux qu'un 
père de famille qui n'aurait pas encore été émancipé 
puisse être déshérité pour son patriotisme. » L'auto- 
rité absolue des chefs de famille était en effet un 
abus dangereux, mais les législateurs de la Révolu- 
tion l'envisagent surtout dans ses conséquences poli- 
tiques. Ce qu'il faut surtout, c'est que le fils soit li- 
bre de faire un citoyen libre, aucune autorité ne doit 
pouvoir l'empêcher de se consacrer à cette patrie 
nouvelle née sur les ruines de la Bastille. La liberté 
ne se comprend que sous cet aspect, la liberté poli- 
tique. 

Le discours de Cambon si virulent, si patriotique 
au sens révolutionnaire du mot, devait certainement 
recueillir l'approbation de l'Assemblée. Après la pé- 
roraison, une voix se fit entendre : « Un père doit 
être bien plus flatté du respect d'un enfant libre que 
des égards d'un esclave. » C'est la morale du dis- 
cours de Cambon. 

Ducastel propose de renvoyer la rédaction du pro- 
jet de décret au comité, mais, étant donné l'intérêt 



— 218 — 

qu'il y a à ne pas laisser subsister plus longtemps 
une coutume qui autorise le père à garder sous sa 
puissance un fils parvenu à l'âge d'homme, il pro- 
pose de décréter immédiatement le principe. Sur son 
initiative, l'Assemblée vote de suite le décret sui- 
vant : 

« Les majeurs ne seront plus soumis à la puis- 
sance paternelle ; elle ne s'étendra que sur la per- 
sonne des mineurs » (1). 

La puissance paternelle se trouvait donc suppri- 
mée à l'égard des majeurs. C'était une décision im- 
portante quant au principe qu'elle posait, mais dont 
le résultat immédiat fut moindre. Quant à son prin- 
cipe, le décret du 28 août était l'atteinte la plus grave 
que l'on pouvait porter à l'autorité, jusqu'alors res- 
pectée, du père de famille. Parvenu à sa majorité, 
l'enfant se trouvera complètement et définitivement 
affranchi du poids de l'autorité paternelle, libre de 
sa personne et de ses biens, jouissant d'une pleine 
capacité. Mais la loi n'ayant rien dit de l'âge auquel 
commencera dorénavant la majorité, c'est l'ancienne 
majorité qui subsiste, de telle sorte que, pratique- 
ment et au point de vue de ses conséquences, le dé- 
cret que nous étudions n'accuse pas une profonde 
réforme. Il faudra, pour voir la révolution qu'il opé- 



(1) Décret du 28 août 1792, Duvergier, t. IV, p. 440. 



— *19 — 

ra, attendre la promulgation de la loi du 20 septem- 
bre 1792, qui abaissera l'âge de la majorité. 

La rédaction du projet avait été confiée à la com- 
mission qui devait le présenter le lendemain ; mais 
ni le lendemain ni les quelques jours qui suivirent, 
ne virent paraître le projet attendu. Ce que voyant, 
Ducastel, le 8 septembre, proposa en son nom per- 
sonnel un projet de décret sur la puissance pater- 
nelle (1). Ce projet est l'application du principe adopté 



(1) Le projet est ainsi conçu : 

« L'Assemblée Nationale, considérant que la puissance des 
pères aurait dû être purement le droit d'élever et de protéger 
leurs enfants; que néanmoins ce pouvoir qui devait exister pour 
le seul intérêt de ceux-ci leur est devenu très onéreux en diver- 
ses parties de l'empire (sic) et que cet abus intolérable ne peut 
être trop promptement réformé, a décrété qu'il y a urgence ; 

» L'A.ssemblée, ayant décrété l'urgence, décrète ce qui suit : 

» Article premier. — Les majeurs, soit pour leur personne, 
soit pour leur bien de toute espèce, ne sont plus soumis à la 
puissance paternelle ou des ascendants sur les descendants sous 
quelque dénomination que ce soit. 

» Art. 2. — En conséquence les personnes majeures pourront ré- 
clamer l'entière propriété et la pleine jouissance des biens quel- 
conques dont elles étaient privées par l'effet de celte puissance. 

» Art. 3. — Le droit des ascendants à cet égard cessera le jour 
où la remise de ces biens leur sera demandée par les descendants 
auxquels ces biens appartiennent. 

» Art. 4. — La demande sera constatée par acte authentique. 

» Art. 5. — Les mêmes biens seront remis dans l'état où ils 
se trouveront lors de la demande. 

» Art. 6. — Les demandeurs seront tenus de maintenir les 
baux même sous seings privés, faits de bonne foi avant la publi- 
cation du présent décret ; la bonne foi sera présumée tant que la 
fraude et le dol ne seront point légalement constatés. 



— 220 — 

dans le décret du 28 août. L'âge de la majorité coïn- 
cidera avec celui de la pleine capacité. Une fois qu'il 
y sera parvenu, l'enfant pourra requérir sa mise en 
possession des biens qui lui appartiennent, et une 
fois cette remise opérée, après avoir indemnisé celui 
qui était jusqu'alors administrateur de ses justes 
dépenses, il aura le droit de disposer entièrement 
de son patrimoine. L'âge de la majorité reste fixé 
comme auparavant et le décret de Ducastel ne pro- 
pose rien de nouveau à cet égard. 

L'Assemblée demanda que Ducastel fut autorisé à 
faire imprimer son projet afin qu'il put être distri- 
bué à tous les membres avant d'être mis en discus- 
sion. Mais après ces préliminaires le projet de Du- 
castel en resta là et il n'en fut plus parlé. 



» Art. 7. — La puissance paternelle ne s'exercera dorénavant 
que sur la personne des mineurs. 

» Art. 8. — Celte puissance ne donnera aucun droit lucratif 
sur leurs biens. 

» Art. 9. — Tout ascendant saisi de ces biens les régira comme 
tuteur comptable. 

» Art. 10. — Il retiendra néanmoins sur les revenus de ces biens 
ce qu'il dépensera raisonnablement pour la nourriture, l'entre- 
tien, l'éducation et l'avantage desdits mineurs. 

» Art. H. — Quand la dépense sera supérieure au produit de 
ces revenus, l'ascendant dont il s'agit ne pourra exiger l'excé- 
dent à moins qu'il n'ait été régulièrement autorisé à le faire. 

» Art. 12.— Les dispositions ci-dessus seront observées après 
la publication du présent décret. 

* Art. 13.— L'Assemblée Nationale déroge aux lois, coutumes 
et usages contraires. » 



— 221 — 

La discussion du projet de loi sur le mode de 
constater l'état civil des citoyens, reprise quelques 
jours après sur l'initiative de son rapporteur Mu- 
raire, aboutit, à la veille de la dissolution de l'As- 
semblée Législative, au décret du 20 septembre. Il 
étend le champ d'application du décret du 28 août. 
Par lui la majorité se trouve abaissée uniformément 
à vingt-et-un ans et cette décision, qui devait demeu- 
rer définitivement, peut être considérée comme une 
des conquêtes les plus importantes de la Révolution. 

Dans son article 2 de la section première du titre 
IV, le décret décide que : « Toute personne sera 
majeure à vingt-et-un ans ». C'était rompre d'une ma- 
nière décisive avec l'ancienne législation, et c'est 
peut-être la révolution la plus profonde qu'il était 
possible de faire subir à l'état des personnes. Le dé- 
cret du 28 août s'appliquera dorénavant à tout ci- 
toyen ayant atteint sa vingt-et-unième année et, seuls, 
les mineurs ne pourront se marier ou être mariés 
sans le consentement de leur père ou mère ou, à leur 
défaut, sans l'avis d'un conseil de parents ou de voi- 
sins. Le titre IV de la loi du 20 septembre exposait 
les qualités requises pour contracter mariage. 

Cependant la loi ne s'était pas occupée des réquisi- 
tions à faire aux parents par les majeurs de vingt-et- 
un ans. Etaient-elles nécessaires ? 

Plusieurs pétitions adressées à l'Assemblée néoes- 



— 222 — 

sitèrent l'intervention de celle-ci. On demandait en 
particulier quelle sorte de majorité était celle édictée 
par l'article 2. Etait-ce une majorité complète entraî- 
nant la pleine capacité ou seulement, comme certai- 
nes majorités coutumières antérieures, une sorte 
d' « émancipation légale » ? 

Lanjuinais, chargé de présenter un rapport sur la 
question, conclut : « Qn est majeur à vingt-et-un ans; 
à cet âge on peut aliéner et disposer de ses im- 
meubles, ou bien il faudrait dire que la majorité 
n'est qu'une émancipation légale pour administrer 
seulement ; que le majeur n'est pas majeur ; que la 
langue est mal faite et que la loi se contredit » (1). 
Dès lors, à partir de vingt-et-un ans, on peut gérer, 
administrer, aliéner ses biens, meubles et immeu- 
bles ; on n'est plus soumis à la puissance paternelle, 
ce qui entraîne comme conséquence la possibilité de 
se marier librement sans qu'il soit besoin de recou- 
rir aux sommations respectueuses et cela, sans avoir 
à redouter l'exhérédation. « Comment après la loi 
qui tolère, autorise le divorce, qui considère le ma- 
riage comme une alliance passagère, voudrait-on 
gêner en aucune sorte la faculté de le contracter que 
la loi du 20 septembre accorde d'une manière illi- 
mitée. » 



(1) Lanjuinais, Rapport et projet de décret interprétatif de Var 
ticle II de la loi du 20 septembre 1792. 



— 223 — 

Le rapport de Lanjuinais parut la conclusion na- 
turelle du décret du 20 septembre, et le 31 janvier 
suivant, la Convention votait sans discussion le dé- 
cret interprétatif suivant : « La Convention, ouï le 
rapport de son comité de législation interprétant 
l'article 2, section première du titre IV de la loi du 
20 septembre dernier : déclare que la majorité fixée 
à vingt-et-un ans par cet article est parfaite à l'égard 
de tous les droits civils et que les majeurs de vingt- 
et-un ans doivent être considérés quant à leurs affai- 
res privées comme l'étaient dans toute la France avant 
l'époque du décret les majeurs de vingt-cinq ans : 
déclare au surplus que ce même article ne déroge 
point aux décrets qui fixent l'âge requis pour être 
admis à exercer des droits ou des fonctions politi- 
ques et que ces décrets continueront d'être observés 
provisoirement suivant leur forme et teneur » (1). 

C'est cette majorité que nous avons conservée et 
nous verrons pour quels motifs les rédacteurs du 
Code l'ont maintenue. Mais quelle que soit la pro- 
fonde innovation qu'ait apportée dans les mœurs et 
dans le droit la série des décrets qui ont abouti à 
l'abaissement de la majorité, nous ne sommes pas 
encore entrés dans la phase aiguë pendant laquelle 
la puissance paternelle, attaquée de toutes parts, va 



(1) Décret du 31 jarmer 1793, Durergier, t. V, p. 166. 



— 224 — 

succomber sous les coups portés par les révolution- 
naires de 1793. C'est la Convention, en effet, qui va 
diriger l'assaut. 

Jusqu'à présent, les efforts du législateur n'ont 
tendu qu'à restreindre la puissance paternelle et à 
la maintenir dans de justes limites sous le rapport 
du temps pendant lequel elle doit s'exercer. Le ré- 
gime qu'il a établi, et qui est celui sous lequel nous 
vivons encore, montre par une pratique de plus d'un 
siècle, que son œuvre fut heureusement inspirée. 
Mais cette œuvre, due aux travaux de l'Assemblée 
Législative, fut jugée insuffisante et incomplète par 
les législateurs de la Convention. Animés d'un insa- 
tiable esprit de destruction, ils attaqueront la puis- 
sance paternelle jusque dans son principe. 

C'est Berlier qui, le premier, pose la question de 
l'illégitimité de la puissance paternelle. Dans un dis- 
cours prononcé au mois de février 1793, Berlier 
demande la suppression de cette autorité incompré- 
hensible et sans fondement qu'on nomme puissance 
paternelle. Cette puissance n'est ni légitime ni utile. 
Il est en effet barbare de soumettre l'enfant à la ty- 
rannie paternelle et c'est « tromper la nature elle- 
même que d'établir ses droits par la contrainte » (1). 



(1) Discours et projet de loi sur les rapports qui doivent sub- 
sister entre les enfants et les auteurs de leurs jours en remplace- 



— 22* — 

Cette autorité est d'ailleurs superflue, en admettant 
qu'elle soit justifiée. Elle a été, de plus, souvent mal 
employée. « Quand un gouvernement a des lois for- 
tement répressives, son action est plus sûre entre 
les mains des magistrats que dans les mains pater- 
nelles qui sans doute ont su frapper quelquefois, 
mais qui plus souvent ont ménagé les coupables. » 
Quels bienfaits peut-on attendre d'une telle institu- 
tion? Si, arrivé à un certain âge, l'enfant n'est pas 
capable de se diriger dans le droit chemin, l'autorité 
paternelle ne sera pas d'un grand secours et ce n'est 
pas eue qui accomplira ce miracle. Si cependant le 
père, jaloux de son autorité, voulait en user dans ces 
circonstances, Berlier pense qu'on peut craindre 
alors des chocs et des heurts qui briseraient les af- 
fectueuses relations qui doivent exister entre le père 
et son fils. « Le trop grand pouvoir amène la tyran- 
nie, la tyrannie aigrit et, trop souvent, au lieu d'un 
père tendre et d'un fils reconnaissant, ne laisse plus 
percevoir qu'un maître barbare et un esclave ré- 
volté. » C'est l'amour qui doit unir et non la crainte. 
Ce ne sont pas là des arguments nouveaux, et 
maintes fois déjà nous les avons retrouvés ; mais 
cependant le discours de Berlier ne serait pas com- 
plet si nous n'y trouvions en bon lieu l'exemple bien 

ment des droits connus sous le titre usurpé de « puissance pater- 
nelle », par Berlier, député de la Côte-d'Or, février 1793. 

Maison. 15 



— 226 — 

choisi qui doit faire impression sur l'esprit des audi- 
teurs. L'auteur n'a garde d'y manquer, et trace un 
tableau touchant du « fils de famille qui, vexé par 
l'auteur de ses jours, n'a que le droit de gémir en 
silence et de vivre malheureux et avili. » 

Qu'en déduire ? C'est qu'il faut supprimer la puis- 
sance paternelle. Cependant comme jusqu'à sa majo- 
rité l'enfant est trop faible pour vivre sans protection 
et sans appui, qu'il soit placé sous « la bienfaisante 
tutelle de ses père et mère », mais de manière que 
ceci ne constitue pas une restriction de ses droits, 
mais seulement une mesure de protection. « Vous 
devez à vos enfants appui et direction, voilà vos de- 
voirs ; cette direction ne peut vous être contestée, 
c'est la nature qui vous la donne : voilà vos droits : 
vous n'oublierez pas qu'ils ont un terme légal et que 
si l'affection peut les rendre éternels, c'est l'ouvrage 
de l'homme et non de la loi. » Cependant comme il 
est utile pour la société que l'entente règne dans les 
familles et que le fils conserve à son père les senti- 
ments que dicte la piété filiale, l'auteur proposait 
de remplacer par des institutions morales, les attri- 
buts de la puissance paternelle. Tout en décidant 
que l'enfant parvenu à l'âge de la majorité est com- 
plètement libre, il faudra encourager celui-ci à n'a- 
gir que de concert avec ses parents : « C'est par des 
récompenses nationales que vous obtiendrez cet effet; 



— 227 — 

qu'à de certains intervalles chaque assemblée pri- 
maire de la République présente à la nation celui 
qu'elle jugera avoir le mieux rempli les devoirs fi- 
liaux ; c'est ainsi que vous imprimerez un grand ca- 
ractère à vos institutions et que vous améliorerez 
l'espèce humaine, sans blesser les droits d'aucun de 
ses membres. » 

Comme conséquence, Berlier proposait dans l'ar- 
ticle premier de son projet de décret, de voter le 
principe suivant : « La loi ne connaît plus de la part 
des pères et mères que protection envers leurs en- 
fants ; la puissance paternelle est abolie. » Dans les 
articles suivants, Berlier plaçait le mineur « sous 
la conduite de ses père et mère. » 

Ce sont les mêmes principes qui ont inspiré le pre- 
mier projet de Code proposé au mois d'août de la 
même année par Cambacérès. Plusieurs fragments 
du discours de Berlier sont cités textuellement dans 
le rapport qui précède le projet. Cambacérès y pro- 
clame l'abolition de la puissance paternelle : «. La 
voix impérieuse de la raison s'est faite entendre ; 
elle a dit : plus de puissance paternelle, c'est tromper 
la nature que d'établir ses droits par la con- 
trainte » (1). Cette proposition, adoptée presque sans 



(1) Cambacérès, Rapport et projet de code civil, 9 août 1793. 
Nous avons déjà trouvé la seconde partie de cette phrase dans 
le rapport de Berlier. 



— 228 — 

discussion comme une vérité dont on ne pouvait 
douter, n'était pas aussi indiscutable que Cambacé- 
rès le proclamait, et après une rapide expérience, 
l'on devait en revenir bientôt à consacrer à nouveau 
la loi immuable qui a régi tant de sociétés. En 1793, 
n'était-ce pas Cambacérès lui-même qui trompait la 
nature en retirant au père de famille l'autorité qu'il 
a si légitimement sur ses enfants ? Et quels sont les 
droits que va concéder au père cette législation éphé- 
mère ? Cambacérès les énumère ; ils sont au nombre 
de deux : « Surveillance et protection : voilà les 
droits des parents ; nourrir, élever, établir leurs en- 
fants, voilà leurs devoirs. » Ces droits accordés au 
père, sont-ce bien des droits? La protection semble 
bien plutôt rentrer dans la catégorie des devoirs et 
faire partie, avec l'entretien, l'éducation et l'établis- 
sement des enfants, des charges de la paternité. 
Quant à la surveillance, le semblant d'autorité lais- 
sée au père la rend bien illusoire et peu efficace. 

C'est cependant cette proposition que nous trou- 
vons au titre V, article premier du projet de Code, 
rédigée sous cette forme : « L'enfant mineur est placé 
par la nature et par la loi sous la surveillance et la 
protection de son père et de sa mère... » Dans son 
rapport sur le projet de Code du 23 fructidor an II, 
Cambacérès maintient la même disposition. 

Lors de la présentation du nouveau projet de Code 



— 229 — 

de l'an VIII, l'on proposa de diviser la majorité elle- 
même en deux périodes ; l'une pendant laquelle, l'en- 
fant serait considéré comme un incapable, l'autre 
pendant laquelle il pourrait obtenir l'administration 
de ses biens : l'enfant entrerait dans cette seconde 
période à l'âge de dix-huit ans (1). Un grand nombre 
de tribunaux furent contraires à cette disposition et 
la plupart de ceux-ci sont des tribunaux d'anciens 
pays de coutumes qui avaient reconnu autrefois des 
majorités précoces et qui en avaient vu le danger (2). 
Certains d'entre eux vont jusqu'à demander de retar- 
der la majorité jusqu'à vingt-cinq ans. On s'aperçut 
du péril et on abandonna ce projet en s'en tenant à 
la majorité de vingt-et-un ans. En réponse aux tri- 
bunaux qui avaient proposé une majorité tardive telle 
qu'elle avait été adoptée par la plupart des ancien- 
nes coutumes, Portails expliquait ainsi les raisons 
qu'il y avait de maintenir la majorité fixée par l'As- 
semblée Législative : « Dans notre siècle, mille cau- 
ses concourent à former plus tôt la jeunesse ; trop 
souvent même elle tombe dans la caducité au sortir 
de l'enfance. L'esprit de société et l'esprit d'indus- 
trie, aujourd'hui si généralement répandus, donnent 



(1) Fenet, Travaux préparatoires du code civil, t. II, p. 514, 
voir au chapitre de l'émancipation. 

(2) Amiable, Essai historique et critique sur Vâge de la majo- 
rité, p. 27 et suiv. 



— 230 — 

un ressort aux âmes qui supplée aux leçons de l'ex- 
périence et dispose chaque individu à porter plus tôt 
le poids de sa propre destinée » (1). 

Ce sont ces considérations qui prévalurent et qui 
déterminèrent les rédacteurs de Code à sanctionner 
d'une manière définitive la majorité de vingt-et-un 
ans. Il n'y avait pas de danger à l'adopter après avoir 
rétabli la puissance paternelle. Si on laisse au père 
le pouvoir nécessaire pour former l'esprit de son en- 
fant, combattre ses mauvais penchants et lui incul- 
quer des idées saines, il y a tout lieu de croire que, 
parvenu à l'âge d'homme, il soit suffisamment armé 
pour conduire lui-même sa vie. Loin d'être d'un utile 
secours, la puissance paternelle prolongée à un âge 
trop avancé, deviendrait une entrave à l'activité de 
l'individu. On doit croire « que l'incapacité civile, 
résultant de la minorité, portée au delà du vrai met- 
tait la société en perte réelle de toute la somme de 
travaux et de transactions qu'y eut versée l'individu 
paralysé par la loi » (2). 

Huguet, dans sou rapport au tribunat disait : « Je 
soutiens que la fixation de la majorité à vingt-et-un 
ans est un des moyens les plus propres pour former 
les hommes et les rendre capables pour l'exercice 
de leurs droits de citoyens... » et il ajoutait : « Les 



(1) Locré, Législation civile, t. I, p. 297. 

(2) Berlier, Exposé des motifs delà loi sur la minorité, la tutelle 
et V émancipation, 28 ventôse an XI. 



— 231 — 

progrès des lumières depuis plus d'un siècle ont 
rendu cette disposition nécessaire ou du moins sans 
dangers » (1). 

A la séance du 5 germinal an XI, Leroy estimait 
que « cette majorité convient à nos mœurs » (2). Il 
est en effet de l'intérêt de la société d'étendre le plus 
possible la vie civile de l'individu. 

La majorité sera donc maintenue à vingt-et-un ans, 
et à cet âge le jeune homme aura une capacité com- 
plète. Une seule restriction est apportée au sujet du 
mariage, pour lequel la majorité est retardée jusqu'à 
vingt-cinq ans. « En effet cet acte, le plus saint, le 
plus grave de tous ceux que l'homme vivant en so- 
ciété peut contracter, a une influence trop directe 
sur le bonheur ou le malheur de la vie pour ne pas 
l'entourer de toute la sagesse, la prévoyance et l'af- 
fection paternelle » (3). 

La loi du 8 germinal an XI décrète que « la ma- 
jorité est fixée à vingt-et-un ans accomplis ; à cet âge 
on est capable de tous les actes de la vie civile, sauf 
la restriction portée au titre du mariage » (4). 



(i) Rapport fait au tribunat par le citoyen Huguet au nom de la 
section de législation, sur la loi relative à la minorité, la tutelle 
et l'émancipation (séance du 3 germinal an XI). 

(2) Discours prononcé au Corps Législatif par le tribun Leroy 
(de l'Orne). 

(3) Rapport fait au tribunat par Bertrand de Greuille (séance 
du 5 germinal an XI). 

(4) Code civil, art. 488. 



CHAPITRE V 
L'émancipation. 



Les quelques cahiers qui avaient demandé l'abais- 
sement de l'âge de la majorité, avaient jugé que cette 
réforme supprimerait l'utilité de l'émancipation. 
Quant aux coutumes qui admettaient l'émancipation 
tacite, soit par le mariage soit par le fait d'avoir 
atteint un certain âge, elles considéraient cette habi- 
tude passée dans les mœurs comme suffisante. Aussi 
s'explique-t-on l'absence de demande de réformes sur 
ce sujet dans les cahiers de 1789. 

Au milieu de ce silence, seul, le Tiers-Etat du Per- 
che exprimait le désir « que l'article 172 de la cou- 
tume, en ce qui concerne l'émancipation Fégale, soit 
remis en vigueur » (1) (2). 



(1) Cahier du Tiers-État de la province du Perche, art. 60. 

(2) Coutume du Grand Perche, art. CLXXII : « La garde quant 
aux masles, fînist en l'aage de vingt ans ; et quant aux femelles 
en l'aage de seize ans ; mais si avant ledit temps sont mariées, 
ladite garde fînist par leur mariage ; et ledit temps finy, ont l'ad- 
ministration de leurs biens, mais ne peuvent aliéner ni hypothec- 
quer leurs immeubles, qu'ils n'ayent vingt ans passez ». 



— 233 — 

Cette demande isolée demeura inentendue, et les 
législateurs de l'Assemblée Constituante et de l'As- 
semblée Législative n'y firent pas droit. 

Que doit-on penser de l'émancipation pendant cette 
période ? Elle continua vraisemblablement à être pra- 
tiquée, mais son application fut réglée plus par les 
mœurs que par les lois. 

Cependant celles-ci ne l'ignorèrent pas et son nom 
se trouve quelquefois prononcé dans les documents 
législatifs de l'époque, mais c'est pour régler un point 
de détail ou pour comprendre cette institution dans le 
nombre des institutions analogues "dont la connais- 
sance sera réservée à tel ou tel magistrat. C'est à ce 
titre que nous la voyons mentionnée dans la loi des 
16-24 août 1790, qui fixe la compétence des juges 
de paix (1). 

Mais les attaques dont fut l'objet la puissance pa- 
ternelle, devaient attirer l'attention du législateur 
sur l'émancipation. Par l'extension qu'on lui donne- 
rait celie-ci pourrait devenir une mesure efficace, 
propre à restreindre l'autorité du père. 

Il était difficile d'arriver à ce résultat en rendant 
obligatoire l'émancipation expresse : contraindre le 
père à émanciper son fils était impossible. Mais il 
était facile, en généralisant et en étendant les causes 



(1) Titre III, art. 11, Duvergier, t. I, p. 367. 



— 234 — 

d'émancipation tacite, d'affranchir de meilleure heure 
le fils de l'autorité de son père, et de le soustraire 
ainsi à cette puissance. C'est de ce côté que s'orienta 
la pensée des législateurs. 

Toutefois, l'émancipation ne fit l'objet d'aucune 
discussion particulière, et ce fut par une sorte d'en- 
tente tacite que celle-ci se trouva modifiée; on lui ap- 
pliqua naturellement les principes qui avaient guidé 
le législateur dans la définition des rapports devant 
exister entre les pères et leurs enfants. 

Aussi, n'est-ce pas dans les lois ou les décrets ren- 
dus à cette époque qu'il faut chercher à suivre l'é- 
volution de cette institution, mais dans les divers 
projets de code qui se sont succédés. 

Cependant le projet de Durand-Maillane est 
muet sur la question, et il faut attendre le code de 
1793, pour trouver posées les premières règles de 
l'émancipation. Celui-ci admettait l'émancipation par 
mariage que quelques coutumes avaient autrefois 
pratiquée. Le mineur marié, se trouvait ainsi avoir 
(( la libre et entière administration de ses reve- 
nus » (1). Cambacérès proposait un nouveau cas d'é- 
mancipation : si un mineur âgé de seize ans faisait 
le commerce, il se trouvait par ce seul fait capable 
d'opérer toutes transactions y relatives. 



(1) Cambacérès, Projet de code de 1793, liv. I, titre V, art. 8 et 9. 



— 235 — 

Le projet de fructidor an II, accueillit ces dispo- 
sitions avec deux modifications, l'une restrictive 
quant à l'âge, l'autre extensive par l'admission d'une 
nouvelle cause d'émancipation. L'on assimila au mi- 
neur faisant un commerce, celui qui exerce un art 
ou un métier. Mais quels que soient les cas, l'émanci- 
pation ne pouvait maintenant avoir lieu avant dix- 
huit ans. Celle-ci, d'ailleurs, ne pouvait s'opérer qu'a- 
près avis de la « famille », estimant le mineur doué 
de la maturité d'esprit nécessaire (1). La rédaction 
défectueuse de l'article rend sa compréhension dif- 
ficile : on ne peut affirmer qu'une chose, une sorte 
de retour en arrière restreignant l'émancipation d'of- 
fice. 

C'est une tendance tout opposée qui se manifeste 
dans le projet de l'an IV. L'âge de dix-huit ans est 
bien maintenu comme étant celui à partir duquel le 
mineur peut être émancipé, lorsqu'on se base, pour 
lui accorder cette faveur, sur le fait qu'il exerce un 
commerce, un art ou un métier ; mais en cas de ma- 
riage, cette restriction ne s'applique plus et l'éman- 
cipation peut avoir lieu quel que soit l'âge du mi- 
neur. Emancipé, celui-ci sera assimilé au majeur ; 
mais cependant il ne pourra ni engager, ni aliéner 
ses immeubles, ni disposer de ses biens autrement 



(1) Cambacérès, Second projet de code, art. 29. 



— 236 — \ 

que par contrat de mariage et au profit de la per- 
sonne qu'il épouse, ni plaider pour actions immobi- 
lières (1) : dans ces cas, le conseil de famille devra 
l'autoriser. Mais la grande innovation du nouveau 
projet de Cambacérès, c'est la faculté qui est accor- 
dée au mineur de requérir lui-même son émancipa- 
tion. Parvenu à l'âge de dix-huit ans, celui-ci 
pourra demander la convocation de la famille qui 
décidera s'il est capable d'administrer ses biens. 
Dans toutes ces formalités, la personne du père se 
trouve complètement effacée, il n'est qu'un membre 
de la famille, c'est elle qui le remplace. 

En réalité, la condition du fils sous le rapport de 
l'émancipation, était plus favorable encore, car bien 
que le projet de Code de Cambacérès n'eût pas été 
voté, on avait admis les principes qu'il avait posés et 
ceux-ci, n'ayant pas force de loi, en pratique l'on 
avait tendance à les appliquer d'une manière large. 
Certains allaient jusqu'à penser que le mineur pou- 
vait requérir son émancipation dès l'âge de quinze 
ans (2). 

Dans les divers projets que nous avons examinés, 
l'émancipation ne faisait pas l'objet d'un titre spécial. 



(1) Cambacérès, Projet de code de messidor an IV, art. 236, 
237 et 238. 

(2) Vermeil, Traité de la tutelle et de la curatelle, an VII, p. 33 
et suir. 



— 237 — 

Les dispositions qui y avaient trait, étaient dissémi- 
nées dans quelques articles incorporés aux titres de 
la minorité ou de la tutelle. Celles-ci composent une 
section particulière dans le projet déposé par Jac- 
queminot au mois de frimaire an VIII. Celui-ci se 
montrait favorable à l'émancipation, et il dispensait 
le mineur de la formalité de la demande ; par la 
seule arrivée à l'âge de dix-huit ans, le mineur était 
émancipé de plein droit ; le mariage produisait le 
même effet. D'ailleurs l'âge de dix-huit ans n'était 
pas limitatif et l'émancipation pouvait avoir lieu au- 
paravant si le conseil de famille le jugeait bon (1). 

C'est le principe qui est adopté dans le projet de 
la commission du gouvernement. La minorité se 
trouverait ainsi divisée en deux parties, la première 
pendant laquelle le mineur est complètement inca- 
pable, la seconde où il recouvre l'administration de 
ses biens (2). 

Ces décisions avaient paru bien graves au tribu- 
nal de cassation qui avait demandé dans ses obser- 
vations, que l'émancipation fut facultative et n'eut 
pas lieu par la seule arrivée à l'âge de dix-huit ans. 



(1) Projet de code civil présenté à la commission législative des 
Cinq-Cents, par Jacqueminot, 30 frimaire an VIII, livre I, Des 
mineurs, de la tutelle et de V 'émancipation, § 8, section III, art. ^ 
et 2. 

(2) Projet de la commission du gouvernement, liv. I, tit. IX, 
art. 2. 



- 238 — 

Inspiré par le respect 13e l'autorité paternelle qui 
commençait à renaître, il désirait qu'en dehors du 
mariage, les père et mère seuls fussent capables 
d'émanciper (1) ; cette faveur ne pourrait être accor- 
dée avant dix-huit ans. 

Parmi les tribunaux d'appel, beaucoup avaient 
laissé passer la question sans s'en occuper ; quel- 
ques-uns s'étaient prononcés dans des sens divers. 

Le tribunal de Bruxelles s'était nettement déclaré 
contraire à l'émancipation ainsi conçue. Il voyait un 
inconvénient à l'accorder de plein droit surtout dans 
les pays de commerce où les capitaux mobiliers sont 
plus considérables. Il pensait, qu'étant donné l'abais- 
sement de l'âge de la majorité, l'on devait restreindre 
l'émancipation au cas de mariage et à quelques cas 
exceptionnels sur l'avis du conseil de famille (2). 

Le tribunal de Nîmes représentait la pensée des 
anciens pays de droit écrit, restés respectueux de 
l'autorité paternelle. Il pensait qu'il serait bon d'ex- 
pliquer que l'émancipation de droit, opérée par l'âge 
de dix-huit ans, n'aurait pas lieu à l'égard du fils de 
famille « constant le mariage du père », qui, dans ce 
cas, conserverait tous ses droits jusqu'à la majorité 
de ses enfants qu'il n'aurait pas émancipés volon- 
tairement (3). 



(1) Fenet, Travaux préparatoires, t. II, p. 530 et suiv. 

(2) Fenet, Travaux préparatoires, t. III, p. 264 et 265. 

(3) Fenet, ibid, t. V, p. 13. 



— 239 — 

Au contraire, le tribunal de Paris montrait un 
extrême libéralisme. Il approuvait l'émancipation de 
plein droit à dix-huit ans et la division de la majorité 
en deux périodes ; cette liberté partielle accordée au 
mineur pendant la seconde de ces périodes, était un 
temps de préparation destiné à la conduire jusqu'au 
jour de la majorité et utile pour éviter une transi- 
tion trop brusque. « Cette mesure est bien plus sage 
encore et bien plus nécessaire, envisagée sous le 
rapport de la puissance paternelle, si l'on conserve 
au père et à la mère le droit de garde ou d'usufruit 
qu'on leur attribue sur le bien de leurs enfants ; au 
moins cela abrogera la durée de ce droit odieux, et 
permettra que l'on s'occupe de l'établissement des 
enfants que très souvent l'avarice ne manquerait pas 
de différer » (1). Cependant le tribunal demandait 
qu'on put maintenir en tutelle même après dix-huit 
ans, le mineur dont la conduite serait repréhensible. 

Mais par un esprit de réaction contre ces mesures, 
des demandes furent faites, demandant la fixation 
de la majorité à vingt-cinq ans. Par crainte de voir 
voter cette proposition, on s'empressa de faire ac- 
cepter l'âge de vingt-et-un ans. 

L'émancipation demeura facultative et soumise à 
la seule volonté du père ; le fils se trouvait mainte- 
nant dans l'impossibilité de la requérir. « C'est au 



(1) Fenet, Travaux préparatoires, t. V, p. 197 et suiy. 



— 240 — 

père, c'est à la mère, c'est au conseil de famille que 
le droit d'émancipation est confié. Qui pourrait 
mieux apprécier le mineur que ceux qui l'ont sans 
cesse sous les yeux » (1). 

Un seul cas d'émancipation obligatoire était con- 
servé : l'émancipation par mariage. 



(1) Discours prononcé au Corps législatif par le tribun Leroy. 



DEUXIÈME PARTIE 
Extension de la famille. 



Les législateurs de la Révolution ne se bornèrent 
pas à anéantir la puissance paternelle ; ils firent 
plus. Après avoir compromis l'équilibre de la fa- 
mille, en enlevant au père l'autorité qui lui est si né- 
cessaire pour y maintenir l'ordre, ils faillirent, par 
une législation dangereuse, désorganiser complète- 
ment cette même famille déjà si ébranlée. 

Poussés par le désir de diviser les fortunes, but 
qu'ils avaient déjà poursuivi au moyen de leurs lois 
successorales, ils voulurent introduire dans la fa- 
mille, jusqu'alors limitée aux enfants nés du mariage, 
des éléments étrangers. A ceux-ci, ils accordèrent des 
droits égaux à ceux des descendants légitimes, dissé- 
minant ainsi le patrimoine du père entre les mains 
du plus grand nombre d'héritiers possible. 

Tel est le but que la Révolution a voulu atteindre 
en ressussitant l'adoption. Mais celle-ci demeurant 
facultative pouvait n'être qu'une mesure inefficace. 

Masion. 1(J 



— 242 — 

L'on appela alors pour suppléer à son insuffisance la 
classe déshéritée des enfants naturels que l'ancien 
droit, trop sévère, avait maintenue dans une conti- 
nuelle disgrâce. Mais l'octroi de droits complets aux 
enfants nés hors mariage était une réforme dange- 
reuse dans laquelle la famille légitime devait som- 
brer et qu'aucun principe économique ou social ne 
pouvait justifier. 



CHAPITRE PREMIER 
L'adoption. 



La pratique de l'adoption ayant été abandonnée en 
France depuis fort longtemps, et la conception de la 
famille n'ayant pas favorisé son introduction dans 
nos mœurs, il n'est pas étonnant de ne trouver au- 
cune demande concernant son établissement dans les 
cahiers des Etats Généraux de 1789. L'Assemblée 
Nationale ne la tira pas de l'oubli et se sépara sans 
avoir prononcé son nom. 

Ce n'est que sous l'Assemblée Législative que nous 
la voyons réapparaître sous la forme d'une demande 
formulée à la séance du 12 janvier 1792 par Rougier- 
La Bergerie. Constatant que tous les peuples libres 
ont eu des lois sur l'adoption, il propose d'examiner 
si ces lois peuvent se concilier avec nos mœurs, et 
invite le comité de législation à comprendre dans 
son plan général des lois civiles, celles relatives à 
ladoption (1). L'Assemblée adhéra à un vœu de Rou- 



(1) Archives parlementaires, t. XXXVII, p. 480. 



— 244 — 

gier-La-Bergerie et le décret fut voté le jour 
même (1). 

Le décret resta inexécuté sous le règne de l'As- 
semblée Législative, et lors de la discussion de la loi 
sur le divorce, en réglant le sort des enfants, Gran- 
geneuve demanda qu'il fut présenté en même temps 
un projet de loi sur l'adoption. La motion, très ap- 
plaudie, fut adoptée et le comité de législation fut 
chargé de présenter un rapport incessamment (2). 

Là se borne l'œuvre de l'Assemblée Législative. 

La séance du 2 décembre 1792 fut marquée par 
une interpellation curieuse que nous rapportons 
presque in extenso pour son originalité. De sembla- 
bles faits ne sont d'ailleurs pas uniques dans les fas- 
tes de la Convention. Un enfant de dix ans se pré- 
senta à la barre et s'adressant aux représentants : 
« Citoyens législateurs, d f it-il, )je> 'n'ai que dix ans ; 
mes mains sont trop jeunes encore pour porter les 
armes. Veuillez en recevoir une faible offrande. Ne 
pouvant donner mon sang pour la patrie, que je lui 
consacre au moins mes petites épargnes ; je les ai 
réunies en deux louis d'or (3). (Vifs applaudisse- 
ments). 



(1) Duvergier, t. IV, p. 57. 

(2) Archives parlementaires, t. XLIX, p. 118. 

(3) C'était l'époque où les finances publiques, étant très endom- 
magées par les guerres qu'on avait dû soutenir, l'Assemblée faisait 
appel à la générosité de tous les citoyens. 



— 245 — 

« Législateurs, vous daignez m'applaudir ; daignez 
aussi compatir à mon sort ; daignez l'adoucir : vous 
le pouvez. 

« Je suis orphelin ; je ne puis plus prononcer les 
doux noms de père et de mère. Un ami me reste ; il 
voudrait m'adopter. Que j'obtienne cette grâce, lé- 
gislateurs. Décrétez l'adoption, des milliers d'infor- 
tunés vous béniront comme moi » (1). 

L'enthousiasme de l'assemblée fut soulevé par 
la demande""du jeune pélilionnaire et le président 
Barère de Vieuzac invita le jeune citoyen aux hon- 
neurs de la séance. Sur la demande de Lanthenas qui 
déclare cette loi nécessaire « pour tarir la source de 
plusieurs genres de corruption », la Convention ren- 
voie la pétition aux comités de constitution et de lé- 
gislation réunis. 

Le 24 décembre, Jean Debry, député de l'Aisne, 
proposait une série de cinq décrets qu'il demandait 
d'examiner au plus tôt. Le second des décrets était 
ainsi conçu : « La Convention Nationale rétablit le 
droit d'adoption ; il ne pourra s'exercer que de 
l'homme aisé à 1 indigent payant moins de trois jour- 
nées de travail » (2). Dès à présent, on remarque le 
but vers lequel s'oriente la nouvelle institution et 
l'esprit qui va l'animer. Elle ne sera pas uniquement 



(1) Archives parlementaires, t. LIV, p. 53. 

(2) Archives parlementaires, t. LV, p. 383 et 384. 



— 246 — 

une institution de bienfaisance, elle doit être égale- 
ment, peut-être même surtout dans l'esprit des Con- 
ventionnels, un moyen de division des fortunes et un 
procédé d'économie sociale. On semble déjà vouloir 
sacrifier l'intérêt de l'adopté au principe politique ; 
si l'enfant duquel le citoyen aisé désire prendre soin, 
se trouve propriétaire d r un patrimoine même minime, 
il cesse par ce fait d'être intéressant aux yeux du lé- 
gislateur, et se trouve ainsi abandonné à lui-même 
sans espoir de trouver un protecteur légal. Etrange 
conception qui détruit la première raison d'être de 
l'institution, et qui fait de la fortune un crime. 

Les projets de Debry furent renvoyés aux diffé- 
rents comités et comme de bien d'autres, il n'en fut 
plus question. 

Cependant l'adoption était tacitement admise, et 
peu de temps après, la Convention en donnait elle- 
même le premier exemple d'application en adoptant 
la fille de Michel Lepelletier, tué au Palais-Royal 
par un ancien garde du corps (1). 

Ce ne fut que plusieurs mois après qu'un projet 
d'ensemble sur la question fut déposé par Azéma (2). 
Les législateurs révolutionnaires ne doivent pas tar- 
der plus longtemps à accueillir cette institution dont 



(1) Décret du 25 janvier 1793, Duvergier, t. V, p. 158. 

(2) Rapport et projet de loi sur Vadoption, présenté au nom du 
comité de législation, par Claude Azéma, député de l'Aude. 



— 247 — 

le but est d'imiter et de suppléer la nature, et l'exem- 
ple des peuples anciens qui l'ont pratiquée avec suc- 
cès doit vaincre les hésitations. D'ailleurs Azéma, 
comme la plupart de ceux qui prendront la parole 
au cours de ces discussions, semble surtout envisa- 
ger l'adoption dans les effets qu'elle doit produire 
par rapport au père adoptif. Les uns et les autres 
voient peut-être plus volontiers la satisfaction qu'é- 
prouvera l'adoptant en se procurant par ce moyen 
un fils, que l'intérêt bien plus grand qui existera 
pour l'enfant de trouver un protecteur affectueux qui 
lui assurera son avenir. Cette idée paraît trouver sa 
confirmation dans la décision du législateur qui a 
privé de ce bénéfice toute une catégorie d'enfants. 
Préconisant l'adoption, Azéma disait : « Le bienfait 
de donner des enfants aux personnes qui n'en ont 
pas est inappréciable ; il faut être père soi-même 
pour l'éprouver, pour le sentir dans toute sa gran- 
deur et pour l'apprécier à sa juste valeur. » 

Nous trouvons dans l'adoption telle que la pro- 
pose Azéma, la règle inhérente à l'institution et qui 
fut toujours la même quelles que soient les législa- 
tions qui l'aient pratiquée, la supériorité d'âge chez 
l'adoptant. La différence entre l'adoptant et l'adopté 
devait être au moins de quinze ans en y ajoutant 
cette condition pour l'adoptant d'être majeur. Azéma 
avait proposé également cette sage restriction que 



— 54» — 

l'adoption ne serait permise qu'aux personnes 
n'ayant pas d'enfants : admettre des enfants étran- 
gers en concours avec des enfants légitimes, « ce 
serait un moyen presque assuré d'introduire dans 
leurs familles le désordre interne, la guerre intes- 
tine, la jalousie, la haine et faire leur malheur com- 
mun. » Mais la liberté d'adopter laissée à la personne 
sans enfants n'est pas absolue et l'on retrouve dans 
le projet d'Azéma le principe posé par Debry : l'a- 
doption ne pourra avoir lieu qu'en faveur des en- 
fants de familles pauvres « telles que celles de ma- 
nouvriers, artisans ou autres classes indigentes » ; 
et il ajoutait, fondant un grand espoir sur cette pro- 
position, ce sera « un double bienfait envers ceux 
qui en sont l'objet et envers la société, qui verra 
accroître l'heureuse médiocrité et diminuer la fu- 
neste opulence ; le faste orgueilleux fera place à la 
modeste simplicité ; l'indigence malheureuse sera 
détruite par l'heureuse aisance ; les moyens d'in- 
fluence, de corruption disparaîtront en ôtant le su- 
perflu aux uns et en donnant le nécessaire aux au- 
tres. » L'adoption serait définitive de la part de 
l'adoptant, et la survenance d'enfants chez celui-ci, 
la laisserait subsister ; les enfants adoptifs et les en- 
fants légitimes seraient vis-à-vis du père sur le même 
pied d'égalité, et pourvus des mêmes droits. En fin 



— 249 — 

de son projet, Azéma faisait une place à l'adoption 
d'Etat : « La patrie reconnaissante envers les pères 
morts pour sa défense ou qui ont bien mérité d'elle, 
adopte leurs enfants » (Article 21 du projet) (1). La 
Convention ajourna la discussion. 

Dans le projet de Constitution déposé par Hérault, 
le 10 juin 1793 (2), celui-ci proposait d'accorder les 
droits de citoyen à tout étranger adoptant un en- 



(1) L'adoption d'Etat. — La Nation donna elle-même souvent 
l'exemple de l'adoption. Sans parler de l'adoption de Suzanne Le- 
pelletier, l'Assemblée adopta, par décret du 2 février 1792, l'en- 
fant du citoyen Basseville, secrétaire de légation, chargé des 
affaires de la République française à Rome, tué pendant le pillage 
et l'incendie du consulat, au cours d'une émeute italienne. La 
même faveur fut accordée, par décret du 15 vendémiaire an II, 
au jeune Laiour et, par décret du lendemain, au fils de l'adjudant 
général Jouy, mort en combattant les Espagnols. Par décision du 
5 juillet 1793, l'Assemblée avait décrété que les « enfants de la 
patrie » porteraient le costume national. Le 15 brumaire an II, la 
Convention prend une mesure générale, en décrétant l'adoption 
de tous les enfants en bas âge dont les pères et mères auront subi 
un jugement qui emporte la confiscation des biens. La Convention 
donna encore un exemple d'adoption d'Etat en recueillant, par 
décret du 23 nivôse au III, les six enfants de Richer, tué dans 
la lutte des troupes républicaines contre les Vendéens. Lors du 
mariage de M lle Lepelletier avec M. de Witt, un ordre du jour du 
conseil des Cinq-Cents, en date du 21 pluviôse an VI, dut inter- 
venir pour décider que, par l'effet de son adoption, le gouverne- 
ment n'avait acquis aucun droit sur la personne de l'adoptée. 

(2) Projet de Constitution du peuple français, présenté à la 
Convention nationale, au nom du Comité de Salut public, par 
Hérault, député de Seine-et-Oise, chap. III, art. !•'. 



— 250 — 

fant français. Cette proposition fut adoptée et passa 
dans l'acte constitutionnel (art. 4) (1). 

Durand-Maillane, dans son projet de Code, défi- 
nissait ainsi l'adoption : « On entend par adoption, 
l'acte par lequel la loi autorise un citoyen à se don- 
ner pour enfant celui dont il n'est pas le père (2). » 
Il propose de n'accorder la faculté d'adopter qu'aux 
personnes mariées et seulement, quand, après 
dix ans de mariage, elles n'ont pas eu d'enfants. Il 
délimite de plus l'âge auquel on pourra adopter se 
montrant ainsi plus sévère qu'Azéma : on ne pourra 
le faire avant trente-cinq ans ni après soixante-dix. 
Quant au nombre des enfants adoptifs, il n'impose 
pas de limite, à condition que les enfants soient fran- 



(1) De Vètat de citoyen. 

Art. 4. — Tout homme né et domicilié en France, âgé de 21 ans 
accomplis. 

Tout étranger âgé de 21 ans, qui, domicilié en France depuis 
une année : 

Y vit de son travail ; 

Ou acquiert une propriété ; 

Ou épouse une Française ; 

Ou adopte un enfant; 

Ou nourrit un vieillard ; 

Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps Législatif avoir 
bien mérité de l'humanité, 

Est admis à l'exercice du droit de citoyen français. 

L'acte constitutionnel fut suspendu par une loi du 10 octobre 
1793 et remplacé par les constitutions de l'an III et de l'an VIII 
qui ne se sont pas occupées de l'adoption. 

(2) Durand-Maillane, Projet décode civil et uniforme, 8 juillet 
1793, titre II, art. I». 



- 251 - 

çais, au-dessous de la puberté, et « pris dans la classe 
des citoyens compris dans le rôle de pauvres con- 
tribuables. » 

Ces projets demeurèrent sans sanctions et furent 
remplacés par ceux de Berlier et de Oudot. Dans 
l'esprit de Berlier, l'adoption est moins uniquement 
un acte de bienfaisance et une marque d'intérêt pour 
la personne de l'adopté, qu'une mesure destinée à 
assurer la division des richesses. « Il faut que l'a- 
doption chez nous s'approprie aux bases de la Cons- 
titution ; il faut qu'elle soit un des moyens qui amè- 
neront sans crises la division des grandes fortunes 
et cette mise de l'ordre politique ne saurait être ou- 
bliée dans un établissement de la nature (1). » Si 
l'on transforme ainsi l'adoption, et si, d'une institu- 
tion destinée à imiter la nature, on fait un rouage 
du système économique, l'on ne doit pas être étonné 
de la funeste innovation proposée par Berlier, ten- 
dant à accorder la faculté d'adopter même aux pa- 
rents qui ont des enfants. Azéma, sans s'y arrêter, 
avait montré la fausseté et le danger d'un tel prin- 
cipe, ne pensant qu'il fut possible qu'on proposât 
un jour de l'adopter. Mais Berlier se fait fort de 
réfuter toutes les objections qu'on pourra lui oppo- 
ser. Quand le père a pourvu à l'éducation de son 



(1) De Vadoption. Idées offertes à la méditation de ses collègues, 
par Berlier. 



— 252 — 

enfant, sa dette est en grande partie acquittée; « mais 
s'il a une fortune immense, la doit-il tout entière à 
son enfant, sous peine de passer pour un mauvais 
père ? Doit-il s'abstenir de détourner une partie de 
ses grands biens pour la consacrer à des actes utiles 
à la société ? Non, sans doute, et je demande si les 
lois qui laissent aux pères de famille tant d'occa- 
sions de se jouer de leur fortune, ne deviendront ré- 
pressives que lorsqu'il s'agira d'en diriger l'emploi 
vers le bien public. » L'éloquence de ce morceau est 
bien démonstrative, et les seules expressions de 
« fortune immense » et de « grands biens » sont des 
spectres effrayants propres à agir sur l'esprit des re- 
présentants. Et s'élevant du particulier au général, 
Berlier ajoutait : « Tout homme qui voudra réflé- 
chir un instant sur ce point se convaincra facilement 
que cette garantie légale de la transmission des biens 
du père à son enfant appartient plus pour tout ce 
qui excède le nécessaire à l'ordre social. » 

Nous paraissons être loin de ces dispositions qui, 
en matière de succession, semblaient s'efforcer de 
maintenir les biens dans la famille en affaiblissant la 
quotité disponible et en décrétant le partage égal. 
Il n'en est pas ainsi, si nous considérons la question 
sous son véritable jour et l'idée directrice de toutes 
ces institutions reste la même : le seul souci du lé- 
gislateur est une préoccupation d'ordre politique et 



— 253 — 

social. L'intérêt et les droits des enfants disparaissent 
devant le désir de disperser les fortunes, désir dont 
la réalisation est poursuivie avec âpreté au mépris 
des principes naturels et de la justice. Ces droits, 
le législateur les invoque et les qualifie d'immuables, 
quand leur considération peut lui être utile pour par- 
venir à son but. Mais si, au lieu d'une famille nom- 
breuse, il ne reste qu'un enfant unique, les prin- 
cipes changent, et ce qui était vrai pour un grand 
nombre, ne l'est plus quand il s'agit d'un héritier 
seul. Il serait difficile de trouver la justification d'un 
semblable illogisme et Berlier ne s'y est pas arrêté ; 
d'ailleurs, par un adroit subterfuge, il prétendait 
qu'il n'y avait pas contradiction entre ces deux lois : 
en effet, disait-il, l'une et l'autre tendent au même 
but, c'est-à-dire faire « tourner au profit de la so- 
ciété ce qui jusqu'à présent a tourné contre elle. » 

Doit-on limiter la faculté d'adopter? Grave ques- 
tion. « Je respecterai toujours, disait Berlier, le père 
qui, après avoir donné un grand nombre d'enfants 
à la patrie, ne se croira pas encore quitte envers 
elle ; il serait insensé de vouloir arrêter la nature 
dans sa marche sacrée, il serait injuste d'en censu- 
rer les opérations. » Il propose cependant de limi- 
ter le nombre des enfants adoptifs à douze, ou au 
nombre complémentaire de douze, quand l'adoptant 



— 254 — 

a déjà des enfants légitimes. Cette décision ne se 
comprend pas très bien. 

Enfin comme dernière disposition, voulant encou- 
rager l'adoption par une sorte de publicité, il pro- 
posait que les noms des citoyens qui auraient adopté 
des enfants, soient honorablement inscrits dans un 
tableau à ce destiné qui demeurerait affiché dans le 
lieu principal de réunion des conseils généraux de 
leur commune. 

Ce sont les mêmes) dispositions que propose 
Oudot (1), en insistant sur la nécessité qu'il y a 
d'étendre le plus possible la faculté d'adopter et 
demandant de l'accorder même à ceux qui ont des 
enfants : « On se tromperait donc bien fort si l'on 
supposait que cette institution n'a pour objet que la 
satisfaction de quelques célibataires égoïstes qui 
dans un âge avancé voudraient obtenir les soins et 
les complaisances de ceux à qui ils donnent l'espoir 
de leur succession. » 

C'est sous cet aspect que l'institution est accueillie 
par Cambacérès et qu'elle figure dans le projet de 
Code de 1793. L'adoption avait été reconnue comme 
institution légale, il ne restait qu'à en déterminer 
les conditions d'application. Cambacérès pensait 



(1) Oudot, Essai sur les principes de la législation des mariages 
privés et solennels, du divorce et de l'adoption qui peuvent être 
déclarés à la suite de l'acte constitutionnels 



— 255 — 

qu'il y avait lieu de lui faire une large place dans 
la nouvelle législation puisqu'elle a pour but de 
donner plus d'étendue à la paternité, plus d'acti- 
vité à l'amour filial, de vivifier la famille par l'ému- 
lation ; elle corrige les erreurs de la nature : « C'est 
le rameau étranger enté sur un tronc antique ; il 
en ranime la sève ; il embellit la tige de nouveaux 
rejetons ; et par cette insertion heureuse, elle cou- 
ronne l'arbre d'une nouvelle moisson de fleurs et 
de fruits ; admirable institution que nous avons eu 
la gloire de renouveler et qui se lie si naturellement 
à la Constitution de la République puisqu'elle amène 
sans crise la division des grandes fortunes (1). » 

Pour faciliter l'adoption, Cambacarès restreignait 
la différence d'âge obligée entre l'adoptant et l'a- 
dopté. En la maintenant à quinze années quand 
l'adoptant est un homme, il l'abaissait à treize ans 
si c'est une femme qui adopte. Une autre innovation 
aux projets antérieurs résidait dans l'établissement 
des droits successifs de l'enfant adopté. Alors que 
l'enfant adoptif jouit généralement à l'égard du père 
qui l'a adopté des mêmes droits que les enfants du 
sang, une exception intervient et frappe les droits 
successoraux. En effet, la part de l'enfant dans la 
succession de son père adoptif ne pourra s'élever au 

(i) Rapport sur le projet du code de 1793, par Cambacérès, 
août 1793. 



— 256 — 

delà d'un capital donnant le revenu annuel de trois 
cents quintaux de froment ; il partagera jusqu'à cette 
concurrence avec les enfants du sang, et s'il n'y en 
a pas, il prélèvera cette somme sur la masse. Si 
l'actif de la succession est supérieur, l'excédent sera 
partagé entre les enfants du sang ou autres héritiers 
appelés par la loi. La somme ainsi fixée est un maxi- 
mum qui ne saurait être dépassé, et si l'enfant a 
été adopté par deux époux, cette adoption commune 
n'aura pas pour effet d'augmenter la quotité à la- 
quelle l'adopté a droit et qui reste fixée comme ci- 
dessus : il recueillera cette part par proportion sur 
les biens de son père et de sa mère adoptifs. 

Cette décision a pour but d'éviter dans certains 
cas la dévolution du patrimoine intégral du père sur 
la tête de l'adopté et d'empêcher ainsi l'adoption de 
remplir une fonction à laquelle elle n'était pas des- 
tinée. Un père sans enfants en adoptant un fils uni- 
que, lui transmettrait ses biens en entier et sa for- 
tune échapperait ainsi à la division qui se serait 
opérée si les collatéraux avaient été appelés au par- 
tage. La fixation d'un maximum était nécessaire pour 
favoriser l'adoption chez les citoyens fortunés qui 
désiraient exclure leurs collatéraux de leur succes- 
sion. 

Berlier, examinant le projet de Code de 1793, pen- 
sait que l'adoption doit tendre « à la division des 



— 257 — 

fortunes, et tel est le but essentiel de cette institu- 
tion » (1). Le résultat, croyait-il, ne pourrait être 
qu'heureux ; on ne pouvait en attendre « rien que 
de favorable à la nature même et à l'humanité ; con- 
tenus par ce frein, les enfants seront meilleurs, et 
s'il en arrivait autrement, la société n'a pas à re- 
douter de leur voir adjoindre quelques rejetons de 
familles pauvres : sous tous les rapports cette dispo- 
sition ne tend qu'au perfectionnement du système. » 
Dans le second projet de Code déposé par Cam- 
bacérès le 23 fructidor an II, celui-ci félicite l'As- 
semblée d'avoir organisé l'adoption « nouvelle na- 
ture qui supplée aux défauts de la première. » Sans 
multiplier les êtres, on multipliera les familles, et 
par une noble émulation, on stimulera les senti- 
ments affectueux en élargissant le cercle de la fa- 
mille. Il maintient la possibilité d'adopter, aux per- 
sonnes qui ont déjà des enfants, ne pensant pas 
qu'on puisse refuser au père, la satisfaction de le 
devenir encore. « Il pourra multiplier sa famille 
en suivant l'attrait qui l'appelle à la génération et 
lorsqu'un sentiment plus délicat l'appelle à la com- 
passion, à la bienfaisance, il serait obligé de fer- 
mer son cœur ! Tout serait accordé aux sens, tout 



(1) Exposé sommaire des motifs qui ont déterminé les bases que 
renferme le projet de code civil sur ï 'adoption, par Berlier (s. d.) 

Maecon, 17 



— 258 — 

serait refusé à la vertu » (1). Cette adoption demeu- 
rait toujours irrévocable pour l'adoptant, mais l'a- 
dopté pouvait y renoncer après sa majorité. 

L'assimilation des enfants adoptifs aux enfants lé- 
gitimes était tellement complète aux yeux du légis- 
lateur, que les dispositions qui ont trait à ces deux 
catégories de personnes sont groupées dans le projet 
sous ce même titre : de la paternité et de la filia- 
tion (2). 

Ce second projet comme le premier resta à l'état 
de simple proposition, de telle sorte que l'adoption, 
reconnue en principe, restait sans sanction. 

Le premier document législatif sur cette question, 
fut le décret du 16 frimaire an III (3). Ce décret fut 
rendu sur un référé du juge de paix de la commune 
de Bcaune, par lequel il consultait sur la validité 
d'une apposition de scellés et la nomination d'un tu- 
teur provoquées par lui pour la conservation des in- 
térêts d'un enfant mineur adopté par acte authen- 
tique. L'Assemblée décida que, bien que non réglée 
encore, l'adoption avait été consacrée par la Con- 
vention et qu'elle avait pour effet de donner à l'a- 
dopté un droit sur la succession de l'adoptant ; que 



(1) Rapport sur le projet de code civil, proposé par Cambacérès, 
le 23 fructidor an II. 

(2) Projet de code, livre I, titre II, articles 6 à 16. 

(3) Duvergier, t. VII, p. 427 et 428. 



— 259 — 

par conséquent, le cas échéant, il y avait lieu de 
prendre toutes les mesures prescrites pour la con- 
servation des droits des mineurs, et que le juge de 
paix de Beaune ayant agi comme il devait, il n'y 
avait pas lieu cle délibérer. « Décrète en outre, di- 
sait la loi, qu'à l'avenir, et jusqu'à ce qu'il ait été 
statué par la Convention Nationale, sur les effets 
des adoptions faites avant la promulgation du Code 
civil, les juges de paix pourront, s'ils en sont requis 
par les parties intéressées, lever les scellés pour la 
vente du mobilier être faite après inventaire sur l'a- 
vis d'une assemblée de parents, sauf le dépôt jus- 
qu'au règlement des droits des parties. » 

.Malgré ce court décret, la législation touchant 
l'adoption restait bien vague. Fut-elle d'ailleurs très 
pratiquée ? il est difficile de le savoir. En tout cas, 
nous ne trouvons pas de loi en réglant l'exercice. 

Un décret du 3 ventôse an III sur les fonction- 
naires destinés à constater l'état civil des citoyens 
dans la commune de Paris, ordonna le dépôt, à cha- 
que arrondissement de Paris, de cinq registres dou- 
bles destinés à recueillir les actes de l'état civil : 
l'un d'eux devait servir aux actes d'adoption. 

Avec un décret du 21 fructidor an III, décidant le 
renvoi au comité de législation de questions rela- 
tives à l'adoption et aux mariages, se termine l'œu- 
vre de la Convention. 



— 260 — 

L'esprit de réaction contre les institutions révo- 
lutionnaires et leurs principes que nous avons déjà 
remarqué, se fait sentir pour l'adoption dès l'an IV. 
Le nouveau projet de Code de Cambacérès ne dit 
plus, en effet, que l'adoption imite la nature, mais 
seulement qu'elle la supplée. La conséquence de cette 
nouvelle idée est que seules les personnes qui n'ont 
pas d'enfants pourront pratiquer l'adoption : « Celui 
qui a des enfants ne peut adopter » (1). Cette faveur 
ne pourra de plus s'appliquer qu'aux enfants ayant 
moins de quatorze ans, « précaution nécessaire afin 
d'empêcher l'esprit d'intérêt de surprendre le vieil- 
lard crédule, moyen sûr pour déjouer les manœu- 
vres de ceux qui chercheraient à s'introduire dans 
une famille opulente par des complaisances trom- 
peuses et par des soins affectés. » 

Ce projet étant tombé à l'abandon, l'adoption con- 
tinue à être régie par les moeurs. Cependant, réduite 
à de justes limites, elle paraissait au législateur de 
l'an V, une institution désirable « imitation heureuse 
de la nature, qui supplée à la paternité civile, ne 
pouvant suppléer à la paternité réelle», et Cambacé- 
rès, ouvrant les discussions sur le Code civil, propo- 
sait d'y réserver une place à l'adoption (2). 



(1) Projet décode civil, présenté au conseil des Cinq-Cents par 
Cambacérès, art. 141. 

(2) Moniteur du H pluviôse an V, séance du 9. 






— 26t — 

On ne s'occupa plus de l'adoption jusqu'au décret 
du 22 frimaire an VII, qui soumit les actes d'adop- 
tion à la formalité de l'enregistrement. 

Le 19 floréal an VIII, un arrêté du gouvernement 
décidait l'envoi dans les mairies, de modèles d'actes 
de naissance, décès, mariage, divorce et adoption (1). 

Il est étonnant de voir dans le projet de Code de 
l'an VIII, présenté queques mois après, l'adoption 
passée sous silence. On s'explique cependant cette 
décision par la défaveur attachée alors aux institu- 
tions révolutionnaires. Permise sans limite, l'adop- 
tion avait dû amener de funestes résultats, si tant 
est qu'on l'ait beaucoup pratiquée. Mais, indépen- 
damment de sa fréquence, il est certain qu'une légis- 
lation sage devait la restreindre dans sa plus grande 
mesure ; l'erreur des législateurs de l'an VIII, fut 
de la proscrire complètement. Sagement organisée, 
cette institution doit trouver sa place dans les lois 
d'un pays et si, de nos jours, elle n'est pas d'un 
usage fréquent, les exemples qu'on en rencontre de 
temps à autre sont une belle manifestation d'al- 
truisme. 

Dans ses observations, le tribunal de cassation en 
proposait le maintien et intercala une série de se'ze 
articles sur l'adoption dans le projet qui lui avait été 



(1) Duvergier, t. XII, p. 224 et 225. 



— 262 — 
soumis. Mais les limitations qu'il lui a fait subir ne 
doivent plus faire craindre de l'incorporer dans un 
plan général des lois. L'adoption n'est plus permise 
qu'aux hommes âgés de cinquante ans et aux femmes 
âgées de quarante-cinq, quand ceux-ci n'ont pas d'en- 
fants ou de descendants légitimes (1). De plus il n'est 
permis d'adopter que les enfants qui n'ont pas de 
père légitime vivant, en y ajoutant cette condition, 
que l'enfant n'ait pas atteint l'âge de dix-huit ans ac- 
complis si c'est un garçon et de quinze ans si c'est 
une fille, pour être adopté par un homme, et de 
dix ans quel que soit le sexe si c'est une femme qui 
veut adopter ; exception faite cependant pour les en- 
fants abandonnés ou sans famille connue, et pour les 
enfants naturels des adoptants, par eux reconnus. 
Enfin, nul ne peut avoir plus d'un enfant adoptif, à 
part les époux qui peuvent en avoir deux commu- 
nément entre eux. 

Au titre des successions, comme corollaire de l'in- 
troduction des articles ci-dessus dans le projet de 
Code, six articles réglaient les droits des enfants 
adoptifs dans les successions des adoptants (2). Ceux- 
ci ne recueilleraient que le tiers de la part hérédi- 
taire qu'ils auraient pu recueillir s'ils étaient nés 
du mariage de leurs père et mère adoptifs, soit qu'il 



(1) Fenet, Travaux préparatoires, t. II, p. 506 et s. 

(2) Fenet, Travaux préparatoires, t. II, p. 562 et 563. 



— 263 — 

y ait des enfants nés après l'adoption, soit qu'il y 
ait des ascendants, des collatéraux ou un époux sur- 
vivant. Les enfants adoptifs ne succéderaient qu'à 
leurs père ou mère adoptifs, non à leurs ascendants, 
descendants ou collatéraux. 

Quoiqu'un grand nombre de ces dispositions ne 
dussent pas passer dans notre Code, elles étaient 
toutes inspirées par un esprit sage ; on avait pris 
soin de restreindre les effets de l'adoption, effrayé 
encore des propositions élaborées par la Convention. 
La législation qui allait suivre, délivrée de cette 
crainte, devait se montrer plus large pour les en- 
fants adoptifs. 

Lors de la rédaction du (ode, on fut loin de tom- 
ber d'accord immédiatement ; toutes les questions 
furent à nouveau discutées, et sans parler des points 
de détail, l'on ne s'entendait pas sur l'utilité de l'a- 
doption: quelques voix demandaient sa suppression. 
La discussion de ce titre dura plus d'un an ; com- 
mencée le 6 frimaire an X, elle ne se termina que 
le 2 germinal an XI, et la loi ne fut adoptée qu'a- 
près sept réductions successives (1). 

Berlier, dont l'esprit avait évolué, proposait de 



(1) Voir les séances du 6 frimaire an X (27 novembre 1801), 
14 frimaire an X (5 décembre 1801), 16 frimaire an X (7 décembre 
1801), 4 nivôse an X (25 décembre 1801), 27 brumaire an XI (18 no- 
vembre 1802), 11 frimaire an XI (2 décembre 1802), 18 frimaire 
an XI (9 décembre 1802). 



— 264 — 

restreindre la faculté d'adopter aux personnes ma- 
riées sans enfants : « l'adoption sera la consolation 
des mariages stériles. » Malleville était contraire à 
l'institution qu'il jugeait utile entre les mains de 
quelques citoyens distingués, mais propre à favori- 
ser l'immoralité et le mépris des lois entre les mains 
du plus grand nombre ; il disait, en effet, que ce se- 
rait pour les pères naturels, le moyen d'acquérir la 
puissance paternelle sur leurs enfants en se dispen- 
sant de les légitimer (1). « Rien, disait Tronchet, ne 
se présente sous des apparences plus séduisantes que 
l'adoption, lorsqu'on ne la voit qu'embellie des char- 
mes que l'imagination et La sensibilité se plaisent à 
lui donner (2) ; mais dépouillée de ses prestiges, mais 
vue à nu et sous sa véritable forme, l'adoption n'est 
qu'un moyen d'éluder les prohibitions par lesquelles 
la loi limite, surtout à l'égard des enfants naturels, 
la faculté de disposer, ou une manière de satisfaire 
la vanité de ceux qui désirent perpétuer leur nom 
et leur famille. » 

L'adoption ainsi attaquée, avait besoin d'un défen- 
seur, elle le trouva dans la personne du premier con- 
sul. Portalis était également partisan de son main- 
tien, en invitant à prendre les mesures nécessaires 



(1) Fenet, Travaux préparatoires, t. X, p. 247 à 478. 

(2) Ce fut le défaut des conventionnels qui furent plus optimistes 
que prévoyants. 



— 265 — 

pour empêcher les abus auxquels elle pouvait donner 
lieu. 

Les discussions, interrompues pendant plusieurs 
mois, furent reprises le 27 brumaire an XI, et, le 21 
ventôse, Berlier présentait la loi au Corps Législa- 
tif. Dans son exposé des motifs, il disait : « Admet- 
tez une adoption sagement organisée et vous verrez 
les citoyens qui n'ont ni enfants ni l'espoir d'en obte- 
nir, se choisir de leur vivant et pour leur vieillesse, 
un appui dans cette classe nombreuse d'enfants peu 
fortunés qui à leur tour paieront d'une éternelle re- 
connaissance le bienfait de leur éducation et de leur 
état » (1). La loi fut votée le 2 germinal an XL 

L'adoption ne pouvait avoir lieu que de la part des 
personnes sans enfants ni descendants légitimes et 
ayant au moins cinquante ans, et en faveur d'une 
personne majeure ; dans la plupart des cas, cette 
adoption devait avoir été précédée de six années au 
moins de soins assidus de la part de l'adoptant; cette 
mesure avait été inspirée par le désir d'éviter les 
adoptions hâtives. Le nombre des enfants adoptifs 
était le même que celui déterminé par le projet de 
l'an VIII. Mais la loi s'était montrée plus favorable 
quant aux droits successifs ; ces droits seraient les 
mêmes pour l'enfant adoptif que s'il était enfant légi- 



(1) Exposé des motifs de la loi relative à l'adoption et à la tu- 
telle officieuse, par le conseiller d'Etat Berlier. 



— 266 — 

time, même en présence de descendants survenus 
au père depuis l'adoption. 

Ainsi conçue, l'adoption était sans danger et deve- 
nait une heureuse institution dont l'omission dans 
notre code aurait été une regrettable lacune. 



CHAPITRE II 
Les droits des enfants naturels. 



L'ancien droit s'était montré sévère pour les « bâ- 
tards », selon l'expression juridique dont on se ser- 
vait alors pour les désigner. Sans famille, la société 
ne s'occupait d'eux que pour les mettre à son ban. 
Cette condition, d'une extrême sévérité, sanctionnée 
par les mœurs, n'avait excité ni la sympathie, ni 
l'intérêt. 

C'est la philosophie du dix-huitième siècle qui ins- 
pirera une législation plus humaine et c'est sous 
cette influence que les législateurs révolutionnaires 
s'appliqueront à leur reconnaître des droits et à les 
faire sortir du rang inférieur où on les avait relé- 
gués. On cessera de leur faire supporter les con- 
séquences de la faute ou de l'erreur paternelle et de 
les en rendre responsables. Mais en cela comme en 
beaucoup d'autres choses, les conventionnels appor- 
teront cet esprit de réaction outrancier qui fut leur 
défaut dominant. La reconnaissance de droit aux 



— 268 — 

enfants naturels était un acte de justice mais leur 
assimilation complète aux enfants légitimes était une 
exagération et une erreur. 

Quelques années avant la Révolution, Robes- 
pierre dans un discours prononcé devant ses collè- 
gues de l'Académie d'Arras (1), plaidait la cause des 
enfants naturels. Il faisait remarquer l'intérêt dont 
ils étaient dignes, mais, tout en le déplorant, il con- 
venait qu'il était impossible de les mettre au même 
rang que les enfants légitimes : « Je ne proposerai 
pas cependant de leur accorder les droits de famille, 
de les appeler avec les enfants légitimes à la succes- 
sion de leurs parents ; non, pour l'intérêt des mœurs 
pour la dignité du lien conjugal, ne souffrons pas que 
les fruits d'une union illicite viennent partager avec 
les enfants de la loi les honneurs et le patrimoine 
des familles auxquelles ils sont étrangers à ses 
yeux » (2). 



(1) Hamel, Histoire de Robespierre, 1865-1867, t. I, p. 58 à 60, 
discours de Robespierre à l'Académie d'Arras, 27 avril 1786. 

(2) Ceci est la justification de Robespierre et le lave des accu- 
sations dirigées contre lui alors qu'on lui reprochait de s'ériger 
« en patron de la licence des mœurs » (Voir, Vie de Robespierre 
par l'abbé Proyard, cité par Hamel). Les injustes préjugés dont 
avaient été victimes pendant si longtemps les enfants naturels, 
avaient de si profondes racines qu'on n'hésitait point parfois à 
invoquer la calomnie pour attaquer leurs défenseurs. Il y avait 
une belle audace et une grande générosité de la part de Robes- 
pierre à combattre en faveur de cette cause. Malheureusement 



— 269 — 

Les cahiers des Etats Généraux ne s'occupèrent 
pas de cette question (1) ; seuls les cahiers de la 
communauté d'Allen et de celle de Vernèges, dépen- 
dant de la sénéchaussée d'Aix, demandent « qu'il 
soit donné une existence civile et politique aux bâ- 
tards, à l'exemple de ce qui se pratique dans plusieurs 
royaumes voisins et entre autres des lois que sa Ma- 
jesté l'Empereur a faites en dernier lieu à ce sujet, 
attendu que la nation française ne doit le céder à 
aucune autre en humanité » (2). 

Ces demandes exceptionnelles n'eurent pas d'effet 
et l'Assemblée Constituante ne changea pas la lé- 
gislation antérieure. Quelques pétitions lui avaient 
cependant été adressées ; l'une d'elles était signée 



l'œuvre de l'académicien d'Arras ne fut pas toujours aussi digne 
de louanges. 

(1) Les cahiers du Tiers-Etat de Dinan, art. 22, de Tréguier et 
de Lannion, article sûreté, de la sénéchaussée de Saint-Brieuc, 
chap. II, art. 38, prononcent bien le nom de bâtard, mais seu- 
lement pour demander que leurs biens soient dévolus aux pa- 
roisses et aux établissements charitables pour être affectés au 
soulagement des pauvres et à l'éducation des enfants trouvés. La 
noblesse des baillages de Touraine, dans l'article 10 de son 
cahier, demandait que les Etats Généraux votassent une loi qui 
assurerait « l'état et la subsistance des bâtards ». 

Un court article ainsi conçu se trouvait dans les plaintes, do- 
léances et remontrances du Tiers-Etat de Dijon, article 37 : 
« qu'il sera avisé aux moyens d'améliorer le sort des bâtards et 
de les rendre utiles à l'Etat. » 

(2) Cahiers de la communauté d'Allen et de celle de Vernèges, 
article 14; ces deux articles sont rédigés exactement de la même 
manière et correspondent au même numéro. 



— 270 — 

d'une certaine duchesse de Brabant, se disant fille 
naturelle de Louis XV, une autre, d'une fille natu- 
relle du marquis du Châtelet (1). 

Une tentative fut faite à la même époque par Peu- 
chet, sous la forme d'un article inséré au Moni- 
teur (2). Dans un projet de législation générale sur 
les bâtards, l'auteur demandait qu'on effaça « ces 
distinctions insensées et barbares qui privent 
l'homme en naissant de ses droits les plus chers, et 
le frappent d'une excommunication qu'il n'a point 
méritée. » Il demandait la suppression de la distinc- 
tion entre les mères naturelles et les mères légitimes 
et l'absolue égalité de droits entre les enfants, quelle 
que soit leur naissance, vis-à-vis de leur mère et 
même de leur père quand celui-ci les avait reconnus. 

Mais l'Assemblée Constituante ne suivit pas cette 
voie, car, dans le Moniteur du 24 janvier 1791, Peu- 



(1) La première qui pourrait bien n'être due qu'à une aventu- 
rière, était adressée au président de l'Assemblée Nationale et 
demandait qu'il soit accordé à sa signataire une provision de 
25.000 livres sur les revenus de la totalité de ses biens dont elle 
demandait l'envoi en possession. 

La seconde émanée de Marie Geneviève du Châtelet, sur- 
nommée Corsus, maîtresse d'école à Versailles, fille naturelle 
du marquis du Châtelet, demandait que l'Assemblée lui fit resti- 
tuer un legs de 48.000 livres que les héritiers du marquis refu- 
saient de délivrer. 

Voir dans la Révolution Française, Revue historique, t. XXI, 
numéro du mois de juillet 189t, l'article de M. Robiquet sur Les 
enfants naturels et la Révolution. 

(2) Moniteur du 2 juillet 1790. 



— 271 — 

chet s'étonnait qu'au milieu des progrès de la législa- 
tion actuelle « on n'aperçoive encore aucune des dis- 
posions que la justice et l'humanité réclament à 
cet égard. » Il pensait bien qu'à l'égard du père 
marié, il était difficile de concilier la paix domesti- 
que avec l'égalité des droits de partage entre les en- 
fants légitimes et les enfants naturels, mais entre la 
mère et son enfant, disait-il, il est impossible de ne 
pas laisser subsister les rapports de succession que 
la nature a établis. 

Un an après, M me Granvai adressait aux législa- 
teurs de l'Assemblée Législative une pétition dans 
le même sens, dont lecture fut faite par Debry, à la 
séance du 25 mars 1792. La nouvelle constitution 
ayant déjà accordé aux enfants naturels les droits 
des citoyens, par ce fait qu'elle ne les leur a pas 
refusés, la pétitionnaire demandait qu'il leur fut 
également accordé des droits de famille vis-à-vis de 
leur mère libre en les considérant comme capables 
de devenir ses héritiers ou ses légataires universels. 
Toute disposition contraire est également contraire 
au droit naturel et il n'est pas étonnant de voir un 
grand nombre de citoyens tourner la prohibition par 
la pratique de $ideicommis et par l'intermédiaire de 
personnes interposées. Elle citait la maxime que, 
« nul n'est bâtard de par sa mère » (1). Gensonné, 



(1) Archives parlementaires, t. XL, p. 479 et suiv. 



— 272 — 

président, répondait que « les lois de la nature sont, 
pour un peuple libre, la première de toutes les lois. » 
Le comité de législation s'était déjà occupé de ce 
sujet et la pétition lui fut renvoyée. 

Cependant il faut attendre jusqu'à la veille de la 
séparation de l'Assemblée Législative, pour trouver 
le premier rapport sur la question. Il fut présenté le 
20 septembre 1792, par Léonard Robin (1). L'œuvre 
de la Constituante, pense-t-il, est restée incomplète 
en accordant à tous les citoyens des droits politi- 
ques ; il reste encore une classe de citoyens à affran- 
chir et à ceux-ci le législateur doit concéder les droits 
de famille. Cette mise à l'index des enfants naturels 
est injuste, et « ceux-là seulement doivent être punis 
qui sont coupables ; les enfants naturels ne le sont 
pas ; il n'y a de coupables que les père et mère qui 
ont méprisé les lois de la société ; eux seuls doivent 
être punis. » Mais cette peine ne devait pas consis- 
ter dans la suppression du lien qui unit les parents 
à leurs enfants, car celui-ci est indestructible ; en 
agissant de cette manière, ce serait faire participer 
à la peine « le fruit innocent d'une union coupable ». 
Cette demande était inspirée par une pensée exacte : 
le premier caractère d'une institution pénale est de 



(l) Rapport et projet de décret relatif aux enfants naturels, 
présenté par Léonard Robin. Voir Archives parlementaires, t. L, 
p. 194 et suiv. 



— 273 — 

frapper le coupable, mais de n'atteindre que lui. Que 
les parents supportent donc seuls la peine et que la 
condamnation n'ait d'effet qu'à leur égard. Telle 
était la proposition de Léonard Robin. Tout en de- 
mandant l'octroi de droits aux enfants naturels, ce- 
lui-ci proposait de ne pas les confondre avec les en- 
fants légitimes. Appelés à la succession paternelle 
ou maternelle, ils n'y concourraient pas dans la 
même proportion : « Je propose d'accorder aux en- 
fants naturels dans la succession de leurs père et 
mère la moitié de ce qu'ils auraient s'ils étaient légi- 
times, j'attribue l'autre moitié aux enfants légiti- 
mes à titre de portion avantageuse ; c'est Tbommage 
de la loi rendu à la légitimation. » Sage conception, 
qui ne devait pas recevoir de réalisation. Quant aux 
successions des ascendants et des collatéraux de 
leurs parents, le lien s'étant étendu au point que 
c'est plutôt la loi civile que Ja loi de la nature qui 
règle l'ordre des successions à ce degré, l'on peut 
les en exclure sans froisser cette dernière. Il n'y au- 
rait donc successibilité réciproque qu'entre les père 
et mère des enfants naturels et ceux-ci ou leurs des- 
cendants, et entre les enfants et descendants des en- 
fants naturels et les frères et sœurs naturels de leurs 
père et mère ou leurs descendants. Malgré la de- 
mande d'urgence, le décret ne fut pas voté et l'As- 
semblée Législative se sépara sans avoir rien fait. 



- 274 — 

Les premiers mois de la Convention furent pris 
par des discussions d'un autre ordre qui ne lais- 
sèrent pas le temps aux législateurs de s'occuper des 
enfants naturels. 

A cette époque, où les représentants étaient assail- 
lis de requêtes, pétitions, lettres, demandes, adres- 
ses, il n'est pas étonnant d'en trouver un grand nom- 
bre s'indignant de la lenteur des législateurs à voter 
une loi qui paraissait désirable et urgente à un grand 
nombre de citoyens. « Il n'est pas un enfant naturel 
qui, les droits de l'homme à la main, ne puisse récla- 
mer la succession de son père», disait un pétition- 
naire, en demandant qu'une loi vint fixer les droits 
civils des enfants naturels (1). Quelque temps après, 
Barailon présentait la pétition d'une fille natu- 
relle : son père, citoyen très riche au dire de la 
pétitionnaire, la laissait manquer de tout. Elle s'a- 
dressait à l'Assemblée pour demander le vote d'une 
loi accordant aux enfants naturels un droit de suc- 
cession sur les biens de leurs parents. Le comité fut 
chargé de présenter « très incessamment » un rap- 
port sur la question (2). 

Malgré le désir de l'Assemblée, aucun rapport ne 
fut présenté et un mois après, dans la loi du 7 mars 



(i) Pétition de Pierre Faix, médecin, 11 novembre 1792. — 
Archives parlementaires, t. LUI, p. 363. 

(2) Séance du 5 février 1793, Archives parlementaires, t. LVIII, 
p. 216. 



— 275 — 

1793, abolissant la faculté de tester en ligne directe, 
au terme du dernier paragraphe, la Convention char- 
geait à nouveau son comité de législation de lui 
(( présenter un projet de loi sur les enfants naturels 
et sur l'adoption » (1). 

A la séance du 26 avril 1793, le secrétaire Doul- 
cet-Pontécoulant donnait communication à la Con- 
vention de diverses lettres, pétitions et adresses. 
L'une d'elles, émanée de Guimberteau, curé de Cha- 
durie (Charente), sollicitait une loi déclarant légi- 
times tous les enfants reconnus légitimes par leurs 
père et mère lors de la célébration de leur 
mariage (2). 

Cambacérès qui devait prendre fréquemment la 
parole en faveur des enfants naturels, prit l'initiative 
d'un nouveau projet de décret. Ce n'est pas un bien- 
fait, dit-il, que demandent les enfants naturels, c'est 
un acte de justice. A cette objection que la paternité 
ne peut être légalement établie que par le mariage, 
Cambacérès pense qu'il y a une loi supérieure à la 
loi civile, c'est celle de la nature, et qu'elles ne peu- 
vent être mises en parallèle : « Etrange alternative 
où le respect serait pour la forme et l'outrage pour 
la nature » (3). L'exhérédation étant la peine des 



(1) Duvergier, t. V, p. 232. 

(2) Archives parlementaires, t. LXIII, p. 359. 

(3) Cambacérès, Rapport et projet de décret sur les enfants 
naturels. 



- 276 — 

grands crimes, comment oserait-on l'appliquer à des 
innocents ? D'ailleurs les droits de succession des 
enfants naturels se borneraient à la ligne directe, 
sans extension à la ligne collatérale, pour les raisons 
déjà données par Léonard Robin : « Etabli au pre- 
mier rang dans la société, le mariage occupera tou- 
jours la place d'honneur ; et s'il fallait pour sa gloire 
que tous les enfants nés hors de son sein lui fussent 
sacrifiés, loin d'être le dieu tutélaire de l'humanité, 
il ressemblerait à ces tyrans cruels, à ces divinités 
malfaisantes dont l'autel et le trône ne sont honorés 
qu'à proportion des victimes qu'on leur immole. » 
Cambacérès demande donc que les enfants naturels 
succèdent seuls à leurs père et mère au préjudice des 
collatéraux quand il n'y aura ni descendants légiti- 
mes, ni ascendants. En présence d'enfants légitimes, 
une distinction est établie selon que les enfants natu- 
rels sont nés avant ou après ceux-ci : avant, ils n'ont 
que la moitié de ce qu'ils auraient s'ils étaient légi- 
times : après, le tiers seulement. En présence d'as- 
cendants, leur part est de moitié. La nouveauté de ce 
projet réside dans ce fait qu'un droit de succession 
réciproque est accordé aux enfants naturels et aux 
ascendants de leurs père et mère. C'est une atteinte 
au principe, que nul ne peut avoir d'héritiers malgré 
soi. Nous verrons comment les successeurs de Cam- 
bacérès se sont débarrassés de cette objection. 



— 277 — 

On avait demandé la discussion de ce projet et 
son ajournement, mais Thuriot insista pour que le 
principe fut voté de suite en renvoyant la discussion 
après l'impression du projet. Cet avis prévalut et le 
décret du 4 juin 1793 décide que « les enfants nés 
hors mariage succéderont à leurs père et mère dans 
la forme qui sera déterminée » (1). 

Ce fut la première conquête des enfants naturels. 
Ce n'était d'ailleurs que l'adoption d'un principe et 
il leur faudra attendre jusqu'à la loi du 12 brumaire 
pour voir leurs droits sanctionnés ; pendant ces quel- 
ques mois l'esprit de réaction s'accentuera elt les 
droits qui leur seront alors consentis seront beaucoup 
plus étendus que ceux à eux reconnus primitivement 
par Cambacérès. 

Les idées émises par celui-ci, trouvèrent leur place 
dans le projet de Durand-Maillane. Il propose de 
sanctionner les droits des enfants naturels qui, mal- 
gré les discussions et les demandes auxquelles ils 
avaient donné lieu, restaient toujours sans ratifica- 
tion. Malgré la faveur qui s'attachait aux enfants na- 
turels, il observait dans son développement, que « les 
droits de ceux-ci, si dignes qu'ils soient de la protec- 
tion de la loi, sont d'un ordre nécessaire inférieur à 
ceux des enfants procréés en légitime mariage. » 



[l) Duvergier, t. V, p. 389. 



— 278 — 

Aussi, tout en admettant que les enfants nés hors 
mariage de personnes libres, c'est-à-dire non ma- 
riées, devaient être traités par leurs père et mère 
comme doivent l'être tous les enfants par ceux qui 
leur ont donné le jour, il proposait cette restriction : 
si le père est marié et que la filiation du fils soit 
prouvée, l'enfant aura sur les biens de son père la 
moitié des droits que la loi accorde aux enfants nés 
dans le mariage, maintenant cette restriction même 
quand le père mourait sans enfants légitimes, au- 
quel cas il recueillerait sa succession par moitié 
avec les héritiers appelés par la loi (1). 

Le code de Durand-Maillane conserva son carac- 
tère de projet, n'ayant jamais été voté. D'ailleurs, 
tous les citoyens n'attendaient pas avec la même im- 
patience la promulgation de la nouvelle loi, et les 
collatéraux appréhendaient le nouveau décret (2). 
Beaucoup d'entre eux profitaient du retard apporté 
dans la rédaction définitive de la loi votée en prin- 
cipe, pour tenter de frustrer de leurs droits les en- 
fants naturels devenus héritiers. Ceux-ci, dans l'ex- 
pectative de la loi projetée, intentaient des actions 
pour conserver les successions qui leur étaient pro- 



(1) Durand-Maillane, Plan de code civil et uniforme pour toute 
la. République, 8 juillet 1793, livre II, titre IV, art. 1 et 6. 

(2) Voir la pétition des cinquante collatéraux de Messire Bou- 
logne citée plus loin. 



— 279 — 

mises dans leur intégrité, d'où procès nombreux 
devant les tribunaux d'alors. Pour mettre fin à ces 
débats, la Convention, sur la proposition de Darti- 
goeyte, décida que les procès pendant entre les en- 
fants naturels et leurs parents ou autres, à raison 
de successions, seraient suspendus (1). 

Au cours des discussions qui devaient aboutir au 
Code de 1793, l'esprit avait changé rapidement. Au 
projet d'abord modéré de Cambacérès, avaient suc- 
cédé les propositions sans mesures de Oudot et de 
Berlier. Ce n'est pas assez à leur gré d'accorder des 
droits aux enfants naturels, il faut que ces droits 
soient complets et égaux à ceux des enfants légi- 
times. « Quelque avanteuse que soit l'institution du 
mariage, disait Oudot, il ne faut pas qu'elle nous 
fasse oublier la grande institution de la nature qui 
fait naître tous les hommes égaux et avec les mêmes 
droits à la protection de ceux qui leur ont donné 
le jour » (2). Il demandait qu'il n'y eut plus de bâ- 
tards d'aucune espèce et que tous les enfants soient 
légitimes ; ceux dont on ne connaîtrait pas les pa- 
rents seraient appelés orphelins, comme ceux qui 
les ont perdus. Que deviendraient dans cet immense 



(1) Décret du 3 juillet 1793, Duvergier, t. VI, p. 78. 

(2) Exposé des motifs qui ont déterminé la section du comité 
de législation chargé du Code Civil à adopter les bases qui lui ont 
été proposées sur les titres I, II, IV, V, VI et Vil du premier livre 
sur Vétat des personnes, par Oudot (9 août 1793). 



— 280 — 

désordre le mariage, la famille, la morale ? Oudot 
s'en souciait peu, persuadé que, grâce à cette nou- 
velle et absolue « égalité », l'on allait fonder une 
famille sur le modèle de la famille primitive et que 
le sentiment du bien et de la vertu serait suffisant 
pour éviter l'immoralité. L'enfant né d'une femme 
non mariée aurait pour père celui qui l'aurait re- 
connu. Mais il y avait un danger, car le père pour- 
rait ainsi légitimer les enfants qu'il aurait eus de 
femmes différentes, c'eut été sanctionner l'union d'un 
homme avec plusieurs femmes. Oudot dut établir 
cette prohibition, que l'homme marié ne pourrait le 
faire qu'après avoir dissous son premier mariage, ce 
qui était d'ailleurs facile depuis l'institution du di- 
vorce. La famille était établie sur des bases bien fra- 
giles. 

Ces mêmes opinions se retrouvent dans un dis- 
cours de Berlier. Son début montre les sentiments 
ardents qui l'animaient : « Citoyens, je vais parler 
des droits de la nature, je vais les réclamer en fa- 
veur de cette classe d'hommes qu'un gouvernement 
absurde voua trop longtemps à l'infortune et à l'ab- 
jection » (1). D'abord qu'on proscrive ces appella- 
tions de illégitimes, bâtards ou naturels, et qu'on 



(1) Opinion du citoyen Berlier à la Convention sur les droits 
à restituer aux enfants nés hors mariage, jusqu'à présent appelés 
bâtards. 



— 281 — 

ne se serve plus que de l'expression « enfants hors 
mariage ». Puis, envisageant les droits de ceux-ci 
sur les biens maternels et sur ceux des parents de 
cette ligne, il supprime la différence qui existe entre 
les enfants légitimes et les enfants hors mariage. Par 
rapport à leur mère, issus du même sein, il est im- 
possible qu'ils aient des droits différents. Mais il va 
plus loin et étend ces droits aux ascendants. L'objec- 
tion que notre ancien droit avait connue (1) et qui 
avait paru décisive autrefois pour dénier tout rap- 
port de successibilité entre l'enfant naturel et l'as- 
cendant de ses parents, est combattue par Berlier. 
C'est dit-il, une idée inspirée par l'autorité tyranni- 
que que le père avait autrefois sur ses enfants et qui 
n'a plus de raison d'être aujourd'hui que la puis- 
sance paternelle n'existe plus. C'est une occasion 
pour l'auteur d'attaquer 1 autorité du père : « Je 
vois d'abord une fille abandonnée à elle-même et 
tombant dans la débauche. Je vois ensuite une fille 
qui, gênée dans l'exercice d'une inclination plus rai- 
sonnable, succombe et paie à la nature le tribut d'un 



(1) L'ancien droit avait admis comme principe que nul ne 
peut avoir des héritiers malgré soi. Comme conséquence, les 
bâtards n'avaient aucun droit à la succession des ascendants de 
leurs auteurs. En effet, comme il n'y avait pas eu d'union légale 
entre les parents des enfants ainsi procréés, les ascendants 
n'avaient pas été appelés à donner leur consentement au ma- 
riage et à reconnaître par ce fait les enfants qui en naîtraient 
comme héritiers. 



— 282 — 

amour légitime entravé par l'avarice ou les préjugés 
de ses parents. » Berlier en conclut que les enfants 
naturels doivent être déclarés héritiers de leurs as- 
cendants maternels. 

L'extension de ces droits aux collatéraux, moins 
explicable encore, ne fait pas de difficulté aux yeux 
de Berlier. On ne peut cependant guère forcer les 
collatéraux à reconnaître des droits à un enfant né 
d'une union qu'ils n'ont pas connue. Mais Berlier 
appuie son assertion sur un autre principe : « Dans 
l'état actuel de la législation, on succède à son pa- 
rent non pas parce qu'on est connu de lui, mais 
parce qu'on est son parent. » 

Vis-à-vis du père, la difficulté est plus grande ; la 
maternité ayant des caractères certains, on peut lui 
attribuer des effets certains, mais ces caractères fai- 
sant défaut à la paternité, il est difficile d'y suppléer. 
Ces hésitations ne peuvent pas se produire quand le 
père a reconnu ses enfants naturels ; ceux-ci auront 
alors un droit égal aux autres ; et la pensée fidèle 
des conventionnels réapparaît pour combattre les 
critiques auxquelles de telles décisions pouvaient 
donner lieu :« n'est-ce pas un excellent moyen de 
division des fortunes, puisque ses raisons sont pui- 
sées dans la nature ? » 

Telles étaient les opinions de Berlier, et l'on est 



— 283 — 

étonné de leur étrange conception. Il fallait que la 
haine du passé fut bien profonde pour inspirer de 
telles propositions. D'ailleurs les erreurs si graves que 
commirent les législateurs de cette époque, ne doi- 
vent pas leur être imputées sans excuses. La voie 
nouvelle dans laquelle ils entraient, guidés par les 
nouveaux principes, était dangereuse parce qu'elle 
était inexplorée. La séduction était étrange et les 
législateurs de 1793 ne surent pas s'en préserver. 

Berlier, d'ailleurs, ne se faisait pas illusion sur 
l'audacieuse nouveauté de son système : « Le sys- 
tème que je viens de développer ne manquera pas 
de paraître hardi », mais il exposait ainsi, les rai- 
sons qui l'avaient décidé : « J'ai vu combien dans 
mon plan les droits restitués à la nature devaient 
contribuer à la conservation de l'espèce ; j'ai vu 
combien dans le système politique, les fortunes pou- 
vaient, par ce moyen simple et naturel, se diviser, et 
laisser ainsi faire un pas vers cette sainte égalité, 
base essentielle de notre gouvernement actuel. » 

Dans cette voie, il était difficile de s'arrêter, et 
Oudot va plus loin : « Toutes les fois qu'il naît un 
enfant la loi doit présumer qu'il y a eu intention 
de la part des père et mère de remplir le vœu de la 
nature et les obligations qui y sont attachées, con- 
séquemment q>u'il y a eu mariage, à moins que 



— 284 — 

l'intention contraire ne soit vérifiée » (1). Il semble 
ainsi distinguer deux sortes de mariage, le mariage 
solennel qu'il énumère en second lieu et qui est ce- 
lui accompli et constaté dans les formes légales, et 
le mariage qu'il appelle « privé » qui est une simple 
union de fait habituelle. Oudot entend qu'ils pro- 
duisent les mêmes effets, sans aucune différence en- 
tre eux ; et si l'on était tenté de s'étonner d'une telle 
extravagance, il faut penser que c'est la conséquence 
fatale à laquelle on devait aboutir. C'est la ratifica- 
tion de l'union libre, qui aura aux yeux de son au- 
teur l'avantage de pouvoir se dissoudre sans l'emploi 
de la procédure toujours ennuyeuse du divorce. Il 
aboutit à cette conclusion : « De ce principe fécond, 
de cette présomption de l'intention des père et mère 
si naturelle, si conforme à la justice, résulte la con- 
séquence que les enfants appelés bâtards sous l'an- 
cien régime ont les mêmes droits aux affections, aux 
soins et à la succession de leurs père et mère que 
ceux qui sont nés d'une union constatée par la loi. » 
Nous ne voulons pas penser que Cambacérès ait 
fait sienne cette dernière idée, mais son projet de 
code est inspiré sur cette matière par les principes 
de Berlier. Que la naissance des enfants ait été pré- 



(1) Essai sur les principes de la législalion des mariages privés 
et solennels, du divorce et de Vadoption qui peuvent être déclarés 
à la suite de l'acte constitutionnel, par Oudot. 



— 285 - 

cédée des solennités légales ou que leur père les ait 
seulement reconnus après les avoir procréés hors 
mariage, leur état est le même (1), et leurs droits de 
successibilité à l'égard de leurs père et mère sont 
notamment identiques. Et pour montrer qu'aucune 
inégalité ne pouvait exister entre les enfants du fait 
de leur naissance, le titre IV, qui traitait de leur 
condition et de leurs droits, portait ce simple titre : 
« Des enfants ». Pour donner plus de force à la 
loi, celle-ci avait été douée d'un effet rétroactif en 
reportant l'application jusqu'au 14 juillet 1789. 
« Quant aux enfants nés avant la promulgation de 
la loi la possession d'état leur suffira pour recueillir 
les successions de leurs père et mère ouvertes depuis 
le 14 juillet 1789. » La possession d'état sera prouvée 
soit par écrits, même privés (2), des père et mère, 
soit par la suite de soins donnés à leur entretien et à 
leur éducation. 

La reconnaissance du principe de la rétroactivité 
avait dû soulever des difficultés comme en témoigne 
un opuscule dont l'auteur se désigne sous le nom 



(1) Cambacérès, Projet de code, 9 août 1793, livre I, titre IV, 
art. 17, et articles d'appendice au titre IV. 

(2) Les tribunaux se montraient parfois peu difficiles pour 
accorder la possession d'état sur la production d'écrits privés. 
Le tribunal d'Eure-et-Loir avait trouvé suffisante une lettre 
écrite par Banès à la fille Lepeigneux, dans laquelle il la traitait 
de « bonne amie ». (Cité par Sagnac, Législation civile de la 
Révolution Française, p. 323, note 1.) 



— 286 — 

d'Auguste (1). Celui-ci s'insurgeait à la pensée qu'il 
put en être autrement ; les droits de la nature sont 
sacrés et inaliénables et il n'appartient pas au légis- 
lateur de leur donner des bornes. D'ailleurs, ces droits 
sont consacrés par la Déclaration des droits de 
l'homme et le décret du 4 juin, et les enfants natu- 
rels ont, comme tous les citoyens, droit à la décla- 
ration « parce que l'égalité est une et n'admet point 
de distinction. Ils y ont des droits parce qu'on leur 
a fait jurer de la maintenir. Ils y ont des droits 
parce qu'ils sont membres de la société. Ils y ont 
des droits parce qu'ils ont scellé avec leur sang ce 
serment commun à tous les français. » 

Une proposition originale fut faite par Chabot, 
dans un discours prononcé au Club des Jacobins, le 
20 septembre 1793 (2). Celui-ci, partisan de l'exten- 
sion des droits des enfants naturels, soulevait une 
objection qui, pour n'avoir pas de fondement au 
point de vue juridique, n'en avait pas moins des con- 
séquences importantes au point de vue financier. Les 
biens des émigrés avaient été confisqués au profit 



(1) Opinion d'un citoyen sur la partie du code civil, concernant 
les enfants naturels, en possession d'état, et nés de père et mère 
libres, par Auguste. 

L'époque de cet opuscule, publié sans lieu ni date, peut être 
établie par la mention mise en fin de la « Réponse d'un enfant 
naturel » du même auteur, citée plus loin. 

Il est possible que l'auteur fut lui-même un enfant naturel. 

(2) Moniteur du 26 septembre 1793. 



— 287 — 

de l'Etat, mais par suite de l'admission des enfants 
hors mariage au rang d'héritiers, celui-ci se trouvait 
tenu à la restitution. Cet ennui, signalé par Chabot, 
était résolu par lui de la manière suivante : Si les 
enfants naturels des émigrés ne sont pas patriotes, 
ils n'auront droit à rien ; dans le cas contraire, ils 
ne pourront recevoir qu'une pension qui ne pourra 
excéder mille livres. Sous le règne de V « égalité », 
les enfants hors mariages seraient traités différem- 
ment selon que c'est l'Etat ou les particuliers qui 
seraient tenus de rapporter. 

L'effet rétroactif fut défendu par Cambacérès à la 
séance du 9 brumaire, lors de la rédaction des nou- 
veaux articles d"appendice (1). « Ces droits leur ont 
été rendus le jour où la nation a déclaré qu'elle 
voulait être libre ». Le nouvel article 12 décidait 
que l'enfant naturel ne pourrait prétendre à aucun 
droit de successibilité « relativement aux parents 
collatéraux de son père ou de sa mère décédé, même 
depuis le 14 juillet 1789 ». 

La brièveté de la loi faisait naître des difficultés 
et la suspension du code de 1793 rendit nécessaire 
la promulgation d'un nouveau décret. Celui-ci fut 



(1) Nouveau rapport sur les articles d'appendice du titre IV du 
livre 1, concernant les enfants nés hors mariage, par Cambacérès. 
Voir aussi Moniteur de primidi, 2e décade de l'an II ; mais l'énu- 
mération des articles est incomplète. 



— 288 — 

voté le 12 brumaire an II. Attendue depuis le 4 juin 
1793, la loi du 12 brumaire maintenait l'égalité des 
droits entre tous les enfants, quelle que soit leur 
naissance, selon les principes adoptés dans le code 
de Cambacérès. La seule condition requise était la 
possession d'état et la preuve en était facile, puis- 
qu'elle pouvait résulter de la production d'écrits 
même privés. Il est à craindre que, étant donné l'ex- 
trême facilité accordée à ceux se disant enfants na- 
turels, de prouver leur qualité de descendants, beau- 
coup de citoyens décédés ne se soient vus attribuer 
la paternité d'enfants qu'ils n'avaient jamais pro- 
créés et pourvus ainsi de successibles qu'ils n'avaient 
pas prévus. Les droits des enfants hors mariages 
s'étendaient non seulement à la succession paternelle 
et maternelle, mais également aux successions col- 
latérales ; un droit de succession réciproque avait 
été reconnu entre eux et les parents collatéraux, à 
défaut d'héritiers directs. Oubli incompréhensible, 
la loi de brumaire était muette sur la succession des 
ascendants. Des idées de la Convention, l'on peut 
penser que cette lacune fut involontaire, et cette 
pensée, qui avait été celle d'un certain nombre de 
tribunaux civils, les avait engagés à suppléer au dé- 
faut de la loi en accordant aux enfants naturels la 
succession de leur aïeul. Mais les arrêts semblables 
étaient cassés par le tribunal de cassation. Pour s'en 



— 289 — 

tenir aux termes de la loi, les enfants hors mariage 
enrent droit à la succession de leurs père et mère na- 
turels et à celle de leurs parents collatéraux ; la re- 
présentation était établie au profit de leurs descen- 
dants. Mais l'effet rétroactif reporté au 14 juillet 
1789 pour les successions paternelle et maternelle ne 
s'étendait pas aux successions collatérales pour les- 
quelles la décision les concernant ne prenait date 
qu'à partir du 12 brumaire. On trouverait difficile- 
ment la raison de cette anomalie. Une restriction 
avait été introduite en faveur des personnes qui 
avaient été appelées avant la loi de brumaire au par- 
tage des successions à elles dévolues au préjudice 
d'enfants naturels. Lors de la remise qu'elles allaient 
être obligées de faire des biens reçus aux héritiers 
nouvellement appelés, elles auraient le droit d'opé- 
rer une retenue d'un sixième. En réalité, l'effet ré- 
troactif accordé par la loi à l'égard des successions 
des père et mère naturels s'étendait parfois anté- 
rieurement au 14 juillet, puisque le décret de bru- 
maire accordait aux enfants hors mariage, lorsqu'ils 
se trouvaient en instance avec des héritiers directs 
ou collatéraux au sujet des dites successions, même 
ouvertes avant le 14 juillet, dans le cas où les récla- 
mations n'auraient pas été terminées par un juge 
ment rendu en dernier ressort, le tiers de la portion 

Maison. » 



— 290 — 

qu'ils auraient eu s'ils avaient été légitimes (1). Com- 
ment s'étonner du désordre occasionné par l'applica- 
tion de toutes ces dispositions. 

La faveur de la loi de brumaire s'était étendue 
jusqu'aux enfants adultérins, en leur accordant, à 
titre d'aliments, une portion importante de l'héré- 
dité fixée au tiers de la part à laquelle ils auraient 
eu droit s'ils étaient nés légitimes. 

Lorsque Cambacérès rédigea son second projet de 
code en fructidor an II, il ne fit qu'adopter la loi 
de brumaire. « Une loi sage a déjà fait disparaître 
toute différence entre ceux dont la condition devait 
être la même. Nous n'avons qu'à rappeler cet acte 
de justice (2) ». Tous les droits de l'enfant naturel se 
trouvaient contenus dans l'article 112 : « L'enfant 
reconnu dans les formes prescrites a les mêmes 
droits de successibilité que l'enfant né dans le ma- 
riage ». 

La loi de brumaire avait fait l'objet d'un grand 
nombre de pétitions émanées en grande partie de 
collatéraux qui ne se souciaient pas de rapporter ce 
qu'ils avaient recueillis. Ainsi ne convient-il pas de 
les prendre toutes à la lettre. L'une d'elles, adres- 
sée à la Convention par cinquante collatéraux de 
Messire Boulogne, commence ainsi : « Que ne 






(1) Duvergier, t. VI, p. 331 et suiv. 

(2) Rapport sur le code civil, par Cambacérès (23 fructidor an II). 



— 291 — 

pouvez-vous, législateurs, voir d'un coup d'œil cette 
masse énorme d'héritiers soit directs, soit collaté- 
raux qui... ne recueillent que le désespoir en voyant 
leur désastre écrit dans la loi de brumaire (1) ». 
Dans l'ordre naturel, disent les cinquante pétition- 
naires, un père ne doit rien à son fils ; ce n'est donc 
pas dans la nature qu'il faut chercher des motifs 
d'appeler les enfants naturels à la succession de 
leurs pères et mères : c'est l'ordre civil seul, qui 
établit la propriété et la manière de la transmettre. 
D'ailleurs, la pensée secrète des héritiers Boulogne 
apparaissait au cours de la pétition qui ne se main- 
tenait pas toujours dans cet ordre d'idées élevé. 
Après avoir demandé l'abrogation de la loi de bru- 
maire, ils se contentaient de la suppression de l'ef- 
fet rétroactif qui était seul intéressant pour eux. 
L'auteur de VOpinion d'un ciloyen sur le Code 
Civil, Auguste, entreprit de réfuter cette adresse 
et il le fit avec beaucoup de verve (2). Il pense que 



(1) Adresse à la Convention Nationale au nom d'une infinité de 
pères et mères chargés de famille et dont plusieurs sont à la veille 
d'être ruinés par des enfants nés hors mariage. 

(2) Réponse d'un enfant naturel à l'adresse présentée à la Con- 
vention nationale par cinquante collatéraux de feu Messire Boulo- 
gne, ancien intendant des finances, ancien contrôleur général, an- 
cien trésorier de l'Ordre du Saint-Esprit, etc 

Les pages de l'opuscule d'Auguste sont divisées en deux co- 
lonnes. Dans Tune, il reproduit l'adresse des collatéraux Boulo- 
gne, dans l'autre il publie la réponse qu'il y fait. L'auteur y 



— 292 — 

les liens qui unissent l'enfant naturel à son père 
sont assez étroits pour servir de fondement à un 
droit de succession et que reniant hors mariage est 
plus intéressant que les collatéraux souvent éloignes 
pour lesquels une succession semblable est un avan- 
tage inespéré (1). 

Oudot fut chargé de répondre aux pétitions adres- 
sées à la Convention et de proposer des articles ad- 
ditionnels (2). Il groupa les demandes sous vingt- 
trois questions et par décret du 1 er jour des sans- 
culottides de l'an II, il fut répondu aux sept pre- 
mières (3). La plupart des réponses avaient trait à 



prend tour à tour tous les tons et a parfois des périodes fort 
comiques. 

(1) Les collatéraux Boulogne avaient demandé que l'enfant 
n'eut droit qu'à des aliments ; Auguste s'écriait : « L'anathème., 
la mort civile, toutes les flétrissures possibles amoncelées par la 
cupidité sur la tête de l'enfant naturel en expiation des faibles- 
ses ou des erreurs de son père, ne suffisent point à la fureur des 
cinquante Boulogne. Il faut que la misère les reçoive aux portes 
de la vie, qu'elle les poursuive pendant le cours pénible de leur 
existence, qu'elle ne les abandonne qu'au tombeau... Des ali- 
ments !.... C'est assez pour des hommes qui ont eu l'audace de 
naître contre le vœu de la loi... Des aliments !... C'est assez pour 
des hommes que la société ne peut considérer que comme des 
excroissances politiques... Des aliments!... Est-ce un scythe, est- 
ce un cannibale qui parle?... Des aliments !... » 

(2) Projet d'articles additionnels et d'ordre du jour proposés 
par Oudot sur diverses questions relatives à la loi du 12 bru- 
maire concernant les enfants nés hors mariage. 

(3) La huitième question demandait quand le père présumé est 
mort avant la naissance de l'enfant né hors mariage et depuis le 
14 juillet 1789, sans avoir pu le reconnaître, si on peut suppléer à 



— 293 — 

la retenue du sixième accordée aux collatéraux en 
cas de partage déjà fait. Dans son article premier, 
Oudot reconnaissait aux enfants nés hors mariage 
le droit de représenter leurs pères et mères décédés 
depuis le 14 juillet 1789, pour recueillir les succes- 
sions de leurs aïeux aussi décédés depuis cette épo- 
que. 

Le décret laissé en suspens ne fut pas terminé et 
malgré une décision du 15 nivôse an III, portant 
que le comité de législation devait présenter inces- 
samment des articles additionnels à la loi relative 
aux enfants nés hors mariage, le décret resta ina- 
chevé. 

Ces lois, votées par fragments, rendaient la lé- 
gislation indécise et désordonnée, et de fréquentes 
demandes parvenaient à l'Assemblée, sollicitant un 
avis sur une question réglée différemment par plu- 
sieurs décrets. Des lois votées, puis abrogées pres- 
qu'aussitôt, encombraient la législation. Un décret 
du 13 brumaire an III, validant les jugements ren- 
dus sur les questions d'état par les tribunaux, avait 



cette reconnaissance en établissant qu'il y avait promesse de 
mariage entre le père présumé et la mère. C'était poser la ques- 
tion de la recherche de la paternité et l'on dut renvoyer cette 
question et les suivantes à une commission spéciale. Le complé- 
ment des articles fut proposé par Oudot au mois de pluviôse 
an III, mais ne fut pas voté. 



— 294 — 

été rapporté le lendemain même du jour où il avait 
été voté. 

La confusion s'accrut encore quand la loi du 4 
vendémiaire an IV, rendue sur l'initiative de Lan- 
juinais, vint enlever à la loi du 12 brumaire son 
effet rétroactif. Elle subit le même sort que les lois 
du 5 brumaire et du 17 nivôse, et fut soumise comme 
elle à la même restriction. L'article 13 décidait 
qu'elle n'aurait d'effet qu'à compter du jour de sa 
promulgation (1). 

D'ailleurs par faveur spéciale pour la loi du 12 
brumaire, l'article 13 du décret du 4 vendémiaire 
fut suspendu quelques jours après, tandis qu'é- 
taient maintenus les articles précédents (2). Le dit 
article était renvoyé au comité de législation pour 
faire un rapport sur la question de savoir s'il y 
avait lieu de rapporter la loi du 12 brumaire. 

Les symptômes de la réaction s'aperçoivent déjà 
dans le projet du Code de l'an IV. Cambacérès 
maintient bien l'enfant reconnu dans la famille, 
mais il propose d'établir cependant une différence 
au point de vue successoral entre eux et les enfants 
légitimes dans certains cas. Si l'enfant a été re- 
connu avant le mariage de son père ou de sa mère, 
sa situation héréditaire sera la même que celle de 



(1) Duvergier, t. VIII, p. 354 et suivantes. 

(2) Décret du 25 vendémiaire an IV, Duvergier, t. VIII, p. 404_ 



— 295 — 

l'enfant légitime. Mais dans le cas où l'enfant aura 
été reconnu postérieurement au mariage de son 
père ou de sa mère, s'il survient des enfants légi- 
times, Cambacérès proposait de n'accorder à l'en- 
fant naturel que la moitié de la part qu'il aurait 
eue s'il était né du mariage. Par le mariage de son 
père et de sa mère, l'enfant légitime avait acquis, 
même avant sa naissance, un droit entier sur la suc- 
cession de ses parents, qu'une reconnaissance pos- 
térieure ne devait pouvoir entamer que dans une 
faible mesure (1). 

Mais où la nouvelle tendance se montre déjà plus 
accentuée, c'est dans le rapport présenté par Cam- 
bacérès qui fut joint au projet. Quelle que soit la 
position que l'on prenne dans les débats, di- 
sait-il, l'on encourra toujours la critique ; mais il 
est important de ne pas trop favoriser les enfants na- 
turels. (( Qu'importe que quelques individus soient 
privés de leurs droits de famille et élevés aux dé- 
pens de l'Etat, si, par ce sacrifice, le libertinage est 
proscrit, la tranquillité domestique assurée, les 
unions légitimes encouragées (2) ». 

Cette tentative demeura isolée et, dans les discus- 



(1) Projet de code civil, présenté au conseil des Cinq-Cents au 
nom de la commission de la classification des lois, par Camba- 
cérès (messidor an IV), articles 604, 605 et 606. 

(2) Cambacérès, Rapport sur le code civil. 



— 296 — 

sions qui suivirent, on resta fidèle aux anciens prin- 
cipes. Ces discussions avaient pour but le maintien 
ou l'abrogation de l'effet rétroactif laissé en suspens 
par le vote de la loi du 25 vendémiaire. Deux com- 
missions avaient été nommées, chargées du rapport 
sur la question ; celui-ci avait été présenté le 25 
ventôse et le 11 germinal an IV. Quelle serait la 
date adoptée à partir de laquelle la loi de brumaire 
produirait son effet? Serait-ce le 14 juillet 1789, 
ère de l'égalité dans laquelle les législateurs de la 
Convention avaient voulu voir le principe et l'ori- 
gine de toutes les institutions révolutionnaires ? Se- 
rait-ce le 4 juin 1793, où les droits de successibilité 
des enfants naturels avaient été pour la première fois 
reconnus ? Serait-ce le 12 brumaire, date logique 
de la loi, puisque c'était celle de sa promulgation ? 

Desmolins, dans son rapport du 6 floréal an IV, 
proposait une rétroactivité partielle. Les enfants 
dont le père serait mort depuis la promulgation de 
la loi du 4 juin succéderaient à leurs aïeux morts 
depuis cette date, et à leurs collatéraux décédés 
seulement depuis la promulgation de la loi du 12 
brumaire (1). 

La rétroactivité trouve des adversaires dans la 
personne de Blutel et de Dumolard. Le premier 



(1) Desmolins, Rapport fait au conseil des Cinq-Cents, 6 floréal 
»nIV. 



— 297 — 

pose comme principe que « l'empire d'une loi juste 
ou injuste ne peut commencer et ne doit finir qu'avec 
elle ; que toute rétroaction détruisant l'harmonie 
sociale, le législateur même ne peut donner de ca- 
ractère légal à l'acte qui l'établit (1) ». Dumolard 
pensait également que, lorsque la propriété d'une 
chose a été accordée par la loi à un individu, celle- 
ci est devenue sacrée pour le législateur et l'acte 
qui l'en dépouille, quel que soit le nom qu'on lui 
donne, est « la consécration d'un vol ou d'une usur- 
pation ». Son Opinion commençait ainsi : « Défiez- 
vous, a dit le préopinant, des hommes à préjugés. 
J'ajouterai, moi, ne craignez pas moins la secte im- 
prudente des novateurs en législation. Les préjugés 
sont nuisibles, sans doute ; mais les paradoxes peu- 
vent bouleverser un Etat, lorsqu'un gouvernement 
inconsidéré s'avise de les mettre en action (2) ». Il 
ne pensait pas cependant que les enfants naturels 
dussent retomber dans cette condition inférieure qui 
avait été la leur sous l'ancien droit ; l'humanité par- 
lait en leur faveur. Mais c'était un dangereux pré- 
cepte social que de les admettre au même rang que 
les enfants issus d'une union stable, sanctionnée 



(1) Rapport et projet de résolution, présenté au nom de deux 
commissions, par Blutel, 17 prairial an IV. Blutel avait déjà dé- 
posé un premier projet de résolution le 22 floréal an IV. 

(2) Opinion de Dumolard sur l'effet rétroactif donné aux lois 
rendues en faveur des enfants naturels, 24 prairial an IV. 



— 298 — 

par la loi : « Alors sans doute vous écouterez en leur 
faveur le cri de l'humanité ; mais vous n'irez pas, je 
l'imagine, au gré des hommes à paradoxes, briser 
le premier lien des sociétés humaines, convertir vo- 
tre patrie en un vaste théâtre de prostitution et par- 
quer pour ainsi dire comme de vils troupeaux les 
individus des deux sexes ». 

Ces débats furent terminés par la loi du 15 ther- 
midor an IV. Celle-ci reconnaissait aux enfants nés 
hors mariage le droit de succéder à leurs père et 
mère, mais seulement lorsque la succession s'était 
ouverte depuis le 4 juin 1793. Cette décision abro- 
geait donc l'article 1 er de la loi du 12 brumaire 
et l'article 13 de la loi du 3 vendémiaire. Cependant, 
les enfants déchus par l'effet de la nouvelle loi 
avaient le droit de jouir, à titre d'aliments, d'une 
pension égale au tiers de la portion qu'ils au- 
raient prise s'ils étaient nés dans le mariage. Dans 
la succession des ascendants et celle des collaté- 
raux, l'enfant naturel ne pourrait de même être ap- 
pelé, que lorsque ses père et mère, par lui repré- 
sentés, seraient décédés postérieurement au 4 juin, 
avec cette condition supplémentaire nécessaire, que 
les dites successions seraient ouvertes depuis la pu- 
blication de la loi du 12 brumaire (1). 

Cette dernière disposition qui faisait l'objet de 



(1) Durergier, t. IX, p. 153. 



— 299 — 

l'article 4, suscita de longues critiques. La loi de 
thermidor avait exigé, pour que l'enfant naturel put 
venir à la succession de ses grands parents et de ses 
collatéraux, que son père fut décédé depuis le 4 
juin, condition qu'avait ignorée la loi de brumaire. 
N'était-ce pas une nouvelle rétroactivité ? Une autre 
question avait été soulevée par le même article. Dans 
les successions collatérales, les enfants naturels 
étaient-ils appelés par représentation de leurs père 
et mère, ou agissaient-ils en vertu d'un droit propre 
et personnel ? Selon que l'on se rangeait à l'un ou 
à l'autre de ces avis, la loi du 15 thermidor était 
juste ou inexacte. 

Sur une pétition du mineur Maupéou, Siméon fut 
chargé de présenter un rapport (1). Il y demandait 
le rapport de l'article 4, estimant que l'enfant natu- 
rel a un droit personnel à la succession, indépen- 
damment de l'idée de représentation. Il proposait en 
outre que, dans les successions en ligne directe ou- 
vertes depuis le 4 juin, les enfants fussent appelés 
sans égard à la date du décès de leurs parents et 
qu'il en fut de même dans les successions collaté- 
rales ouvertes depuis le 12 brumaire. 

Pastoret était opposé au rapport de l'article 4. Il 



(1) Rapport fait par Siméon sur la pétition du mineur Maupéou, 
relative à Varticle 4 de la loi du 1o thermidor an IV, concernant 
la successibilité des enfants naturels (19 frimaire an V). 



— 300 — 

excusait la rétroactivité en disant que la loi de ther- 
midor n'avait fait que prendre un juste milieu entre 
la loi de brumaire qui faisait remonter l'effet rétro- 
actif jusqu'au 14 juillet 1789 et celle du 3 vendé- 
miaire qui supprimait tout effet rétroactif (1). Cette 
opinion fut combattue par Cardonnel qui, quoique 
opposé à l'extension des droits des enfants naturels, 
pensait que cette décision, spéciale aux successions 
des ascendants et des collatéraux, n'était pas justi- 
fiable et qu'au point de vue juridique, il fallait ac- 
corder à celles-ci la même faveur qu'aux successions 
des père et mère (2). 

Lorsqu'au mois de pluviôse suivant, l'on com- 
mença la discussion du nouveau projet de Code ci- 
vil, le discours de Cambacérès montre déjà le doute 
que conçoit le législateur sur l'excellence de son 
œuvre. Les lois qui portent en elles l'empreinte de 
la vérité et de la justice s'imposent à tous ; elles sont 
des citadelles inexpugnables qui n'ont rien à redou- 
ter des assauts dont elles sont l'objet. Mais cette lé- 
gislation hésitante résistait mal aux attaques diri- 
gées contre elles ; les discussions soulevées par les 
contradictions qui s'y trouvaient et par des lacunes 



(1) Pastoret, Opinion concernant la successibililé des enfants 
naturels, 24 nivôse an V. 

(2) Opinion de Cardonnel, député du Tarn, sur l'article 4 de la 
loi du 15 thermidor, 24 nivôse an V. 



— 301 — 

flagrantes, se terminaient toujours par l'adjonction 
d'articles complémentaires ou par le vote d'un dé- 
cret interprétatif qui enlevaient à la loi toute clarté 
et toute unité. Si l'on ajoute à cela que l'extension 
contestable donnée aux principes adoptés autrefois 
commençait à inquiéter le législateur, l'on s'explique 
cette parole de Cambacérès aux Cinq-Cents : « Si 
dans une matière aussi délicate nous avons pris 
quelquefois l'apparence de la vérité pour la vérité 
même, votre sagesse est là pour faire disparaître 
les erreurs involontaires qu'on nous verra toujours 
disposés à abjurer (1) ». 

Cette tendance s'accentue au point que, le 18 mes- 
sidor an V, Siméon proposait de réduire les droits 
de successibiliîé des enfants naturels, et déposait, a 
cet effet, un rapport et un projet de décret : « Trop 
maltraités sous l'ancien régime, disait-il, ils furent 
trop favorisés dans le nouveau ; on confondit les 
droits de la nature avec les droits civils ; et l'on ou- 
blia que les individus, en faveur desquels on appli- 
quait si largement les premiers, avaient des concur- 
rents pour qui la nature ne réclamait pas d'une voix 
moins puissante, et qui avaient de plus en leur fa- 
veur l'autorité et la garantie des lois sociales, la 
sainteté du mariage, le lien et le pacte des famil- 

(1) Cambacérès, Discours prononcé à Couverture de la. discus- 
sion du projet de code civil, 3 pluviôse an V. 



— 302 — 

les ». Mettre les enfants naturels sur le même pied 
d'égalité que les enfants légitimes, c'était blesser 
profondément un principe social, et les appeler 
comme héritiers aux successions collatérales, était 
une décision injustifiable. En effet, la paternité 
sans mariage doit bien obliger les père et mère ; en 
étendant ce principe d'une façon très critiquable, on 
peut encore concevoir qu'un droit de succession leur 
soit accordé sur les biens des ascendants de leurs 
père et mère ; mais en aucun cas ce droit ne peut 
leur être octroyé sur les successions des collatéraux 
de leurs parents : ceux-ci ne peuvent avoir comme 
héritiers des individus que la plupart du temps ils 
n'auront pas connus et auxquels ils ne sont ratta- 
chés par aucun lien civil. 

Dans la seconde partie de son projet, Siméon pro- 
posait de régler ainsi les droits des enfants natu- 
rels (1). A l'égard de la mère et des descendants ma- 
ternels, ils succéderaient en totalité en l'absence 
d'enfants légitimes, et pour moitié de ce qu'ils au- 
raient eu s'ils avaient été légitimes en cas de con- 
cours. S'ils étaient nés d'une femme mariée, et pen- 
dant son mariage, ils succéderaient à leur mère et 
à ses descendants pour une part égale au quart de 



(1) Rapport fait par Siméon, au nom d'une commission spéciale, 
composée de Cambacérès, Bézard, Oudot, Farard et Siméon, sur 
la successibilité des enfants naturels, 18 messidor an V. 



— 303 — 

ce qu'ils auraient eu s'ils étaient nés légitimes. Dans 
les « successions directes maternelles », ils ne pren- 
dront chacun, dans le cas de concours, que la moi- 
tié de la part à laquelle ils auraient eu droit s'ils 
étaient nés du mariage. 

A l'égard du père qui les a reconnus, ils seront 
appelés pour moitié de sa succession, si celui-ci 
n'était pas marié lors de leur conception et s'il ne se 
trouve pas d'enfants légitimes. En concours avec 
ceux-ci, les enfants naturels recueilleront le tiers de 
ce qu'ils auraient eu s'ils étaient issus du mariage, 
lorsque leur père les aura reconnus avant, le quart 
seulement s'il les a reconnus après. 

Ils succéderont à leurs ascendants paternels pour 
moitié de ce qu'ils auraient recueillis s'ils étaient nés 
dans le mariage lorsqu'il existe des descendants lé- 
gitimes, pour le quart s'il se trouve des ascendants 
légitimes, pour le cinquième s'ils ne sont nés ou 
n'ont été reconnus que postérieurement au mariage 
de leurs père et mère. 

En ligne collatérale, ils ne succéderont qu'à leurs 
frères et sœurs naturels, et à ceux des collatéraux de 
leur père qui les auront déclarés leurs successibles 
par acte public. Quant aux collatéraux de leur mère, 
ils leur succéderont si leur filiation maternelle est 
prouvée. Pour succéder à leur père et aux ascen- 
dants paternels, il faudrait que leur père fut décédé 



— 304 — 

postérieurement à la loi du 12 brumaire, à moins 
qu'ils n'aient été reconnus par lui auparavant. 

Le projet de Siméon accuse une tendance restric- 
tive marquée. Mais comment se reconnaître dans 
ces quotités multiples, différentes pour chacun des 
nombreux cas visés ? C'était un des défauts du pro- 
jet qui en rendait l'application difficile. D'ailleurs, 
malgré le souci du rapporteur qui voulait prévoir 
tous les cas qui pourraient se présenter, ces cas 
étant innombrables, il en avait oublié. Quels se- 
raient, par exemple, les droits des enfants naturels 
sur les successions de leurs ascendants maternels en 
l'absence d'enfants légitimes ? Siméon n'en disait 
rien. Par contre, par des répétitions fâcheuses et 
souvent peu explicites, il enlevait au projet la clarté 
dont il aurait eu tant besoin. Ces défauts accumu- 
lés empêchèrent cette tentative de produire l'effet 
qu'on en attendait. 

L'on en revint à l'interprétation de la loi du 15 
thermidor an IV, et après discussion, le conseil des 
Cinq-Cents, « considérant que l'article 4 de la loi du 
15 thermidor, concernant les droits successifs des 
enfants nés hors mariage, a restreint leurs droits de 
successibilité réciproques avec leurs parents collaté- 
raux et celui qu'ils ont, eux et leurs descendants, de 
représenter leurs père et mère, en cas où leurs père 
et mère ne seraient décédés qu'après la publication 



— 305 — 

de la loi du 4 juin 1793; que cette condition qui a 
pu être exigée pour l'avenir emporte pour le passé 
dans les successions directes et collatérales ouver- 
tes depuis le 12 brumaire an II jusqu'au 15 thermi- 
dor an IV, un effet rétroactif qu'il importe de faire 
cesser », décidait l'abrogation de l'effet rétroactif, 
rapportait les dispositions de la loi du 15 thermidor 
contraires à cette décision et entendait qu'il ne fut 
donné aucune suite aux jugements rendus en consé- 
quence de l'ancienne rétroactivité (1). 

La législation resta dans cet état, sans modifica- 
tions sensibles, jusqu'au projet de code de l'an VIII. 
C'est alors que nous rencontrons une conception 
tout à fait différente sur la nature des droits de l'en- 
fant naturel : principe nouveau qui servira de base 
au législateur pour la fixation de ces droits. L'en- 
fant naturel n'est plus un héritier, car ce titre et 
cette qualité ne peuvent dorénavant résulter que de 
la parenté civile que seul le mariage peut créer. La 
part qu'on ne peut cependant lui refuser dans l'héré- 
dité de ses parents, n'est pas, à proprement parler, un 
droit de succession, mais une obligation naturelle 
contractée par ses père et mère par le fait de l'avoir 
engendré. Donc, plus de droits sur la succession des 
ascendants de ses père et mère, ni sur celle de leurs 



(1) Loi du 2 ventôse an VI, Duvergier, t. X, p. 237. 

Maston, 20 



— 306 — 

collatéraux ; aucun lien civil n'existant entre eux, il 
ne peut être appelé à leur succession. Vis-à-vis de 
ses père et mère, il a droit au quart de ce qu'il au- 
rait recueilli s'il était légitime, quand il y a des en- 
fants ou descendants ou des ascendants légitimes. 
Cette part est du quart de la succession, quel que 
soit le nombre des enfants naturels, lorsque le père 
et la mère ne laissent ni descendants légitimes ni 
ascendants (1). 

Le sentiment de défaveur qui s'attachait de nou- 
veau aux enfants naturels par réaction, se manifes- 
tait particulièrement dans la disposition suivante : 
si celui-ci avait reçu quelque chose de ses père et 
mère de leur vivant, il n'avait plus rien à prétendre 
sur leur succession et devait se contenter de ce qui 
lui avait été donné, toutes les fois que ce don n'était 
pas inférieur aux trois quarts de la portion à la- 
quelle il avait droit. 

Les enfants adultérins ou incestueux ne pou- 
vaient prétendre qu'à des aliments, ne pouvant excé- 
der le sixième de la succession ni être inférieurs au 
douzième (2). 



(1) L'on constate ici une inconséquence que le tribunal de cas- 
sation n'avait pas manqué de signaler : l'enfant naturel se trouve 
avoir des droits plus étendus quand il est en concurrence avec des 
enfants légitimes que lorsqu'il est en concours avec des collaté- 
raux. 

(2) Projet de code de Van VIII, livre III, titre I er , chap. IV. 



— 307 — 

Ces sévères dispositions ne devaient pas être ad- 
mises dans notre code. D'une excessive faveur, l'on 
était passé sans transition à une rigueur exagérée. 
Les enfants légitimes doivent incontestablement 
avoir des droits plus élevés que les enfants natu- 
rels. Ces droits, il les ont puisés dans leur légiti- 
mité même : « leur base majestueuse est le mariage, 
source également féconde et sûre des générations 
légitimes, de leur état civil, de leurs droits civils. 
Du mariage sort, comme un trait lumineux et inef- 
façable, cette présomption légale, qui remplace le 
signe de la paternité légitime, que la nature n'ac- 
corde pas » (1). Mais l'humanité parle aussi en fa- 
veur des infortunés que la faute ou la légèreté d'un 
père a lancés dans la vie et pour lesquels la société 
se montrera si souvent marâtre. L'intérêt de la so- 
ciété et celui des enfants naturels étant opposés, une 
loi bonne et juste sur la question est difficile à faire. 

Le Code adoucit cependant les rigoureuses dispo- 
sitions du projet de l'an VIII. Tout en favorisant les 
enfants légitimes et en maintenant le principe que 
les enfants naturels ne sont pas héritiers, il recon- 
nut à ceux-ci sur les biens de leurs père et mère, 
un droit fixé au tiers de ce qu'ils auraient eu s'ils 
étaient légitimes quand il y a des descendants nés 



(1) Discussion devant le Corps Législatif, discours du tribun 
Duveyrier.— Voir Fenet,Trava.ux préparatoires, t. X, p. 202 et s. 



— 308 — 

du mariage ; de la moitié de cette même portion 
quand le père et la mère laissent des ascendants ou 
des frères et sœurs ; des trois quarts lorsqu'ils ne 
laissent que d'autres héritiers. Leurs droits pou- 
vaient être de la totalité quand il ne se trouvait pas 
d'héritiers au degré suceessible. 

<( Cette mesure, disait Chabot, concilie parfaitement 
les droits de la nature avec ce qu'exigeait les bon- 
nes moeurs^ la faveur due au mariage et les droits 
des familles » (1) (2). 



(1) Rapport fait au tribunat par Chabot, au nom de la section de 
législation sur la loi relative aux successions, 26 germinal an XI. 

(2) Le 14 germinal an XI, quelques jours après le vote de la loi 
sur les successions, un décret devait intervenir pour combler une 
lacune. La loi du 12 brumaire an II avait bien réglé les droits 
des enfants naturels, « actuellement existants », sur les succes- 
sions de leur père et mère ouvertes depuis le 14 juillet 1789, mais 
le sort de ceux non encore nés, devait être réglé par le code 
civil. Mais celui-ci n'ayant été promulgué que dix ans après et 
n'ayant disposé que pour l'avenir, les enfants hors mariage nés 
depuis le 12 brumaire an II jusqu'au 9 floréal an XI, ou dont les 
père et mère seraient morts dans cet intervalle, restaient sans 
droits définis. Un décret fut rendu sur l'initiative de Treilhard, 
décidant que l'état et les droits des enfants nés hors mariage, 
dont les pères et mères seraient morts depuis la promulgation 
de la loi du 12 brumaire an II, jusqu'à la promulgation de la 
partie du code civil sur la Paternité et la Filiation et les Succes- 
sions seraient réglés de la manière prescrite à ces titres, en 
maintenant les dispositions entre vifs ou testamentaires faites 
antérieurement à cette dernière promulgation, quand toutefois le 
montant de ces libéralités ne dépasserait pas la quotité disponible. 

Voir Exposé des motifs par le conseiller Treilhard. — Sirey, 
Recueil général des lois et des arrêts, tome III, 2 me partie, p. 185 et 
suiv. — Duvergier, t. XIV, p. 237 et 238. 



— 309 — 

La philosophie et la littérature du XIX* siècle de- 
vaient déterminer un courant d'idées favorable aux 
enfants naturels et, à la fin du siècle dernier, on leur 
restituait le titre d'héritier que les rédacteurs du 
Code leur avait refusé (1). 



(1) Voir la loi du 25 mars 1896, code civil, art. 756. 



CHAPITRE III 
Les droits de la mère. 



Nous ne voulons pas terminer cette étude sans 
parler d'une question connexe à notre sujet. 

Après avoir examiné ce qu'était devenue la puis- 
sance paternelle au cours de l'époque troublée de la 
Révolution, il nous reste à considérer rapidement 
comment fut compris, pendant la même période, le 
rôle de la mère au sein de la famille. On ne saurait, 
en effet, refuser à celle-ci, sans froisser la nature, 
le droit de veiller sur ses enfants ; et il est intéres- 
sant de voir comment l'exercice de ce droit put lui 
être accordé concurremment à l'autorité paternelle, 
et sans blesser cette dernière. 

Amoindrie tout d'abord, l'autorité paternelle sor- 
tit de l'épreuve qu'elle eut à traverser, sinon plus 
forte, du moins mieux organisée. Au cours de cette 
crise, on supprima, d'une façon souvent brutale, 
tout ce qu'il y avait de tyrannique et de contraire à 
la nature dans la conception de cette autorité, pour 



— 311 — 

ne conserver que les principes juridiques qui en font 
une institution nécessaire. Tout en déplorant les évé- 
nements terribles dont l'histoire a perpétué le sou- 
venir, on peut cependant dire, croyons-nous, que la 
Révolution était un accident inéluctable et nécessaire 
dans l'évolution de notre droit. Elle fut la réaction 
fatale qui, après avoir fait osciller l'édifice juridique 
pendant environ quinze ans, l'a amené enfin à ce 
degré de stabilité et de quasi perfection qui ont fait 
de notre Code le modèle et le guide de tous les codes 
étrangers. 

Pour transformer le droit antérieur, droit tantôt 
d'une rigueur absolue, tantôt incomplet, toujours 
confus, la Révolution dut remanier notre ancienne 
législation. Elle s'efforça de faire circuler dans notre 
droit un souffle cT « humaine équité ». Egalité et jus- 
tice, telles sont les deux idées inspiratrices du lé- 
gislateur révolutionnaire. Il octroiera des droits à 
ceux que l'ancienne législation avait laissés sans ar- 
mes et, à ce point de vue, la mère était digne de son 
attention. 

En droit romain, la mère était incapable d'exercer 
la puissance paternelle puisqu'elle-même s'y trou- 
vait soumise. Etant vis-à-vTs de son mari loco filiœ, 
elle était considérée comme la sœur de ses enfants 
et dépendante au même degré qu'eux. Il était d'ail- 
leurs possible que son mari fut lui-même en puis- 



— 312 — 

sance, auquel cas elle dépendait comme lui de son 
paterfamilias. 

Cette législation, adoucie par l'influence chré- 
tienne, avait pénétré en Gaule et était devenue, avec 
quelques modifications, la législation des pays de 
droit écrit. Au père seul appartient la souveraine 
autorité, la mère en est totalement exclue (1). Cepen- 
dant toute obligation de piété filiale entre la mère 
et ses enfants n'est pas déniée. Celle-ci a droit à 
leur déférence et à leur respect, et les enfants sont 
tenus de les manifester en lui demandant son con- 
sentement s'ils désirent se marier (2). Même dans 
la législation rigide des pays de droit écrit, on avait 
été obligé de reconnaître à la mère ce minimum 
de droits, car ces droits « elle les tient pour ainsi 
dire de la nature ». Mais le droit romain n'avait pu 
s'adoucir au-delà de ces concessions et le principe 
était (jue les femmes n'avaient pas les enfants sous 
leur puissance. 

La législation des pays de coutumes était moins 
sévère et la plupart de celles-ci reconnaissaient à la 
mère un droit à s'occuper de l'éducation de ses en- 



(1) Guyot, Répertoire au mot Puissance paternelle. 

(2) Les enfants mineurs sont tenus d'obtenir son consentement 
pour se marier ; majeurs, ils doivent lui faire des sommations 
respectueuses, pour ne pas encourir l'exliérédation. 



— 313 — 

fants (1). « Néanmoins, dit Pothier, la mère étant 
elle-même pendant le mariage sous la puissance de 
son mari ne peut exercer la puissance paternelle que 
subordinément à son mari et dépendamment de 
lui » (2). D'ailleurs, les coutumes s'appesantissaient 
peu sur ce sujet et ceci ressortait plutôt de l'usage (3). 

Nous savons ce qu'était devenue la puissance pa- 
ternelle au XVIII e siècle, et la lecture des cahiers 
du Tiers, où il faut chercher les sentiments de la 
majorité des citoyens, est suffisamment éloquente. 

L'Assemblée Constituante s'était mise activement 
à l'œuvre et élaborait une nouvelle législation. Mais 
les législateurs s'étaient peu occupés de modifier la 
condition de la femme. Et cependant on sait l'en- 
thousiasme que la Révolution avait suscité parmi 
elles (4). 

Cet enthousiasme n'était pas seulement populaire. 
Plusieurs femmes prirent la plume et s'en firent une 
arme. Le 30 décembre 1790, une étrangère, M me Etta 
Palm, née d'Aelders, lisait à l'Assemblée fédérative 



(i) Les coutumes du Nord étaient les plus libérales. Voir celles 
de Hainaut, de Douai, de Valenciennes. 

(2) Pothier, Coutume d'Orléans, introduction au titre IV de la 
puissance paternelle, § 1, n° 3. 

(3) Voir Haas, Les droits de la mère. 

(4) Pendant les mois de septembre et d'octobre 1 789, elles furent 
de toutes les manifestations, et leur marche sur Versailles les 5 
et 6 octobre, traînant des canons, au nombre de sept ou huit 
mille, est un fait caractéristique. 



— 314 — 

des Amis de la Vérité, un discours sur l'injustice des 
lois : ce Ah, Messieurs, si vous voulez que nous 
soyons zélées pour l'heureuse constitution qui rend 
aux hommes leurs droits, commencez donc par être 
justes envers nous ; que dorénavant nous soyons vos 
compagnes volontaires et non vos esclaves » (1). 

En 1791, la municipalité de Creil avait une so- 
ciété de citoyennes amazones qui formaient une com- 
pagnie de la garde nationale. Il est à croire que plu- 
sieurs localités en étaient également pourvues. 

Dans une brochure dédiée à la Reine, Olympe de 
Gouges (2) demandait en 1792 à l'Assemblée Nationale 
de faire voter une déclaration des droits de la femme 
et de la citoyenne. La déclaration proposée par 
Olympe de Gouges se composait d'un court préam- 
bule, suivi de dix-sept articles et d'un postambule. 

L'article premier était ainsi conçu : « La femme 
naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les 
distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur 
l'utilité commune ». 

L'auteur adressait en fin de l'ouvrage un appel à 



(1) Appel aux Françaises sur la régénération des mœurs et la 
nécessité de l'influence des femmes dans un gouvernement libre, 
par Etta Palm, née d'Aelders, Paris, 1791. 

(2) Elle avait déjà développé ses théories sur les droits de la 
femme dans un conte oriental, Le prince philosophe, paru en 1789. 
Elle mourut sur l'échafaud le 4 novembre 1793, victime de Piobes- 
pierre qu'elle avait attaqué dans plusieurs opuscules. 



- 315 — 

ses compagnes : « Femme, réveille-toi ; le tocsin de 
la raison se fait entendre dans tout l'univers, connais 
tes droits... Le flambeau de la vérité a dissipé tous 
les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme 
esclave a multiplié ses forces, il a eu besoin de re- 
courir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu li- 
bre, il est devenu injuste envers sa compagne... Quel- 
les que soient les barrières que l'on vous oppose il 
est en votre pouvoir de les franchir ; vous n'avez qu'à 
vouloir » (1). 

Ces revendications n'eurent pas d'effet au point de 
vue politique. Les législateurs révolutionnaires ne se 
souciaient pas d'accorder à la femme un rôle actif 
dans l'Etat. La nécessité, il est vrai, ne s'en faisait 
pas sentir. La place de la femme est surtout au foyer 
domestique. C'est là particulièrement où sa présence 
est nécessaire, c'est là son véritable domaine. Loin 
d'acquérir de l'honneur, elle ne saurait que perdre de 
sa dignité en s'écartant de la voie que la nature lui 
a tracée et qui convient le mieux à sa délicatesse (2). 

En faisant à la femme une place plus grande au 
foyer familial, le législateur ne remplissait pas seule- 
ment un devoir de justice et d'humanité, il trouvait en 



(i) Olympe de Gouges, Les droits de la femme, Paris, 1792. 

(2) Sarmisa Bilcesco, De la condition légale de la mère, p. 164 
et suiv. — M m e Campan disait à Napoléon : « Faire des mères, 
voilà le but, et non des femmes qui n'ont de leur sexe que l'habit.» 



— 316 — 

même temps un des moyens les plus efficaces de 
tempérer l'autorité paternelle. Par sa douceur et sa 
délicate affection, l'épouse et la mère ne sont-elles 
pas les médiatrices les plus sûres et les plus capables 
de maintenir la paix au sein de la famille ? 

Son rôle y est tout tracé et le lien qui l'unit à ses 
enfants, lui donne des droits qui, pour n'être pas 
sanctionnés, n'en sont pas moins certains. La recon- 
naissance de ces droits était le vœu de toutes les mè- 
res et en les consacrant les législateurs combleront 
une lacune qui ne pouvait subsister plus longtemps. 

Lors de la discussion sur le divorce, Léonard Ro- 
bin, au nom du comité de législation, donna lecture 
d'un rapport et d'un projet de décret dans lequel il 
proposait un moyen de régler le sort des enfants. 
L'éducation et l'entretien de ceux-ci après le divorce 
des parents, devaient en effet arrêter le législateur. 
Devait-on dans tous les cas les confier au père ? Leur 
intérêt demandait à ce qu'il n'en fut pas ainsi. Dans 
l'enfance, les soins de la mère sont mille fois plus 
précieux et la loi doit tenir compte de ces considé- 
rations. La mère n'est-elle pas de plus la mieux 
placée toutes les fois qu'elle n'en est pas indigne, 
pour veiller à l'éducation de ses filles ; et, dans 
cette tâche délicate, qui pourrait la remplacer ? 
Robin proposait donc, lorsque le divorce avait lieu par 
consentement mutuel, de « suivre pour l'éducation et 



— 317 — 

l'entretien des enfants ce qu'indique la nature et ce 
que désire la différence des sexes dans l'éducation 
des garçons et des filles » (1). Dans ce cas, quel que 
soit leur sexe, tous les enfants seraient confiés à la 
mère jusqu'à l'âge de sept ans, et parvenus à cet âge, 
les garçons seraient remis au père. Mais lorsque le 
divorce a été demandé par l'un des deux époux sans 
cause déterminée, celui qui a fait la demande, dit 
Robin, est « trop suspect dans un pareil divorce de 
légèreté et de torts graves, » et aucun des enfants 
ne doit lui être laissé. Si c'est le mari qui a demandé 
le divorce, celui-ci se trouvera donc en quelque sorte 
déchu des droits de la paternité et la mère conser- 
vera les enfants, quel que soit leur âge et leur sexe. 
La personne de la mère se trouve dans ce cas égale 
à celle du père. 11 n'en saurait être de même quand 
le divorce a eu lieu pour une cause déterminée et 
juste ; alors, celui qui aura demandé et obtenu le di- 
vorce aura le soin et la garde des enfants. 

Les droits de la mère s'affirment lorsque le mari 
a obtenu le divorce pour simple cause d'incompatibi- 
lité ; soupçonneux des motifs qui ont déterminé ce- 
lui-ci à faire la demande, Léonard Robin proposait 
qu'alors, les enfants mâles, même âgés de sept ans, 
ne lui soient confiés qu'avec le « consentement for- 



(1) Archives parlementaires, t. XLIX, p. 432 et suiv. 



— 318 — 

mel de la femme » (1). Enfin, quels que soient les 
cas invoqués, la mère, à l'égal du père, aura le droit 
de surveiller l'éducation des enfants confiés à l'autre 
époux, « l'intérêt de ces enfants si chers à la société 
exige que la même surveillance soit également ac- 
cordée aux familles des deux époux » (2). 

La discussion de ce projet, déposé le 7 septembre 
1792, fut reprise le 13 avec un contre projet de Sé- 
dillez, qui demanda l'institution d'un jury de répu- 
diation (3). Ce jury serait composé de femmes si 
c'est le mari qui provoque et d'hommes si c'est la 
femme qui répudie. Cette proposition ne fut pas 
admise et le terme de « répudiation » fut également 
critiqué. 

Après discussion, le projet de Léonard Robin ob- 
tint la priorité. Il était divisé en quatre parties ; la 
première traitait des causes de divorce ; la seconde 
de ses modes ; la troisième, des effets du divorce par 
rapport aux époux ; enfin la quatrième envisageait 
les effets du divorce par rapport aux enfants. Ce 



(1) Article 4 du projet. 

(2) Dans tous les cas le père et la mère conserveront respecti- 
vement le droit de surveillance sur l'éducation et l'entretien des 
enfants confiés à l'un ou à l'autre ou à une tierce personne et ils 
auront action en justice pour y faire pouvoir... » Article 8 du 
projet proposé. 

(3) Sédillez distingue le divorce proprement dit, qui a lieu sur 
la demande mutuelle des deux époux et la répudiation qui résulte 
de la demande d'un seul. 



— 319 — 

quatrième paragraphe fut discuté à la séance du 20 
septembre et une nouvelle rédaction ayant été de- 
mandée, elle fut présentée le même jour à la séance 
du soir. 

La loi du 20 septembre, qui fut le résultat de ces 
discussions, accordait à la mère, en cas de divorce, 
des droits égaux à ceux du père. Lorsqu'il s'agit du 
partage des enfants, de leur entretien et de leur édu- 
cation, l'intérêt même des enfants ordonne au légis- 
lateur de placer la mère au même rang que le père. 
On peut dire que les droits accordés à celle-ci par 
l'Assemblée Législative, sont moins la consécration 
d'un pouvoir qu'elle tient de la nature, qu'une me- 
sure prise en sa faveur dans l'intérêt des enfants ; 
mais quel que soit le fondement des droits que la 
loi lui accorde, ceux-ci n'en sont pas moins sanction- 
nés par le décret du 20 septembre 1792. 

Article premier. — « Dans le cas de divorce par 
consentement mutuel ou sur la demande de l'un des 
époux pour simple cause d'incompatibilité d'humeur 
ou de caractère, sans indication de motif, les enfants 
nés du mariage dissous seront confiés savoir : les 
filles à la mère ; les garçons de moins de sept ans à 
la mère, au-dessus de cet âge ils seront remis et 
confiés au père, et néanmoins le père et la mère pour- 
ront faire à ce sujet tel autre arrangement que bon 
leur semblera. » 



— 320 — 

Lorsque le divorce avait été précédé d'une sépara- 
tion de corps, la loi maintenait le soin et la garde 
des enfants à celui des père ou mère entre les mains 
desquels ils se trouvaient par suite de la transaction 
ou du jugement prononcé antérieurement. Pour ce 
qui est des contestations auxquelles pouvait donner 
lieu l'attribution des enfants après le divorce des 
parents, c'est le tribunal de famille qui en connais- 
sait. 

Les mesures prises dans le décret du 20 septem- 
bre, le sont bien dans l'intérêt des enfants plutôt 
qu'au profit de la mère, car dans la loi votée le même 
jour sur le mode de constater l'état civil des citoyens, 
le consentement du père seul est déclaré suffisant 
pour permettre à l'enfant de contracter mariage. 
L'égalité des époux, vis-à-vis de leurs enfants, éta- 
blie au point de vue civil, n'est donc qu'une décision 
exceptionnelle applicable seulement à la matière du 
divorce. La règle générale demeure, que le père seul 
est dépositaire de la puissance paternelle, et si dans 
la matière du mariage la mère est appelée à donner 
son consentement, c'est .uniquement à défaut de ce- 
lui du père (1). 

Les dispositions contenues dans le projet du Code 
de 1793, sont différentes à ce point de vue, et pour 



(1) Loi du 20 septembre 1792, Duvergier.t. IV, p. 564 et suiv. 



— 321 — 

se marier le consentement des deux parents est alors 
requis. Celui de la mère n'est plus exigé d'une ma- 
nière supplétoire comme précédemment ; il doit se 
joindre à celui du père pour autoriser le mariage. 
Il n'y a pas de différence sous ce rapport, selon que 
le fils est majeur ou mineur ; la décision de la loi est 
unique et s'applique à l'un comme à l'autre (1). Du 
reste le Code de Cambacérès, d'un brièveté extrême, 
posait uniquement le principe sans s'arrêter à son 
mode d'application. Mais c était cependant un prin- 
cipe nettement établie et non pas une décision excep- 
tionnelle et spéciale, car envisageant les rapports 
devant exister entre les père et mère et leurs enfants, 
Cambacérès respectait la même idée d'égalité : 
« L'enfant mineur est placé par la nature et par la loi 
sous la surveillance et la protection de son père et de 
sa mère. Le soin de l'éducation leur appartient. Ils 
ne peuvent en être privés que dans les cas et pour les 
causes que la loi détermine » (2). 

Le même principe fut conservé dans le projet du 
Code de l'an II, et Cambacérès disait dans son rap- 
port : « Les premiers tuteurs sont les pères et les 
mères » (3). Comme conséquence, il accordait à l'un 



(1) Cambacérès, Projet de code civil, livre I, titre II, § II, 
articles 4, 5 et 6. 

(2) Cambacérès, ibid., titre V, art. i. 

(3) Cambacérès, Rapport sur le code civil, fait au nom du comité 
de législation, le 23 fructidor an II.—- Voir Projet de code, art. 18. 

Maiion. « 



— 322 — 

et à l'autre la jouissance des biens de leurs enfants 
mineurs. 

Dans le code de messidor an IV, alors que la puis- 
sance paternelle n'existait plus, l'on ne doit pas être 
étonné de ne pas voir celle-ci accordée à la mère. Mais 
elle participe dans la même mesure que le père à ce 
semblant de droits accordés aux parents sur la per- 
sonne de leurs enfants (1). Survivante, elle peut, 
comme le père, désigner un tuteur à ceux-ci. Mais, 
par égard pour sa faiblesse, lorsqu'elle survit à son 
mari, elle jouit d'un privilège qui est refusé à celui- 
ci : elle peut décliner la tutelle. 

Cette condition favorable faite à la mère et sa parti- 
cipation à l'autorité paternelle, passèrent dans le pro- 
jet de l'an VIII. Le maintien de ces principes dans ce 
nouveau projet, était la ratification officielle de ses 
droits. Ils trouvaient une force nouvelle dans cette 
définition donnée alors de la puissance paternelle, 
« un droit fondé sur la nature qui donne au père et 
à la mère la surveillance de la personne et l'adminis- 
tration des biens de leurs enfants mineurs et non 
émancipés par mariage » (2). 

Mais la mère a déjà à souffrir de la réaction qui 
s'opérait en faveur de la puissance paternelle. Tout 



(1) Cambacérès, Projet de code, messidor an IV, livre I, titre III, 
§ I, art. 155 et suiv. 

(2) Fenet, Travaux préparatoires, t. H, p. 67. 



— 323 — 

en conservant cette part d'autorité que la loi lui ac- 
cordait, elle doit céder la préséance au père, et l'on 
voit déjà se dessiner cette tendance. Celle-ci trouve 
son fondement dans cette idée que toute autorité, 
pour être efficace, doit être une ; la diviser c'est l'af- 
faiblir. Cette pensée trouvera son développement 
complet dans le Code de 1804. D'autre part, la fem- 
me, par cet état de faiblesse inhérent à sa nature 
même, est moins apte que l'homme à exercer un 
pouvoir ; aussi, laissée seule détentrice de l'autorité 
paternelle par la mort du père, la loi ne lui permet- 
tra-t-elle pas d'exercer celle-ci dans toute sa pléni- 
tude. Tandis que le père, s'il a des sujets de mécon- 
tentements graves contre son fils, pourra le faire dé- 
tenir dans une maison de correction sur simple ré- 
quisition de sa part, la mère survivante n'aura la 
faculté de le faire qu'après s'être pourvue de l'au- 
torisation du conseil de famille. 

Cette solution particulière fut maintenue dans le 
projet définitif, sauf une légère modification : l'au- 
torisation du conseil de famille était remplacée par 
l'avis des deux plus proches parents paternels (1). 
La tendance que nous avons remarquée précédem- 
ment, est allée en s'accentuant, et si la mère con- 
serve toujours au sein de la famille une place qu'on 



(1) Fenet, Travaux préparatoires, t. X, p. 480. 



— 324 — 

ne saurait lui enlever justement, celle-ci ne vient 
cependant qu'au second rang : la première place ap- 
partient au père (1). Le décret du 5 germinal an XI, 
place bien les enfants sous l'autorité de leurs parents 
jusqu'à l'âge de leur majorité ou de leur émancipa- 
tion, mais il ajoute que « le père seul exerce cette 
autorité durant le mariage. » 

Real expliquait cette condition inférieure faite à 
la mère par une survivance historique : « Le père 
seul est investi de cette puissance, et, malgré les 
droits donnés par la nature, mais sans doute en 
conséquence de cette antique législation qui plaçait 
jadis l'épouse sous l'empire de la puissance pater- 
nelle, la mère n'a aucune participation à cette puis- 
sance » (2). 

Si le législateur s'est rencontré avec l'histoire, il 
s'est surtout efforcé de maintenir la puissance pater- 
nelle entre les mains de celui qui doit en être naturelle- 
ment le dépositaire. L'unité d'action est nécessaire 
pour obtenir un résultat assuré, et l'antagonisme de 
deux volontés également puissantes, aurait anéanti 
la puissance paternelle en la décimant. 

D'ailleurs la plupart du temps, mus par un même 



(1) Voir Bernard, Histoire de Vautoritè paternelle en France, p. 
205. 

(2) Real, Exposé des motifs fait au Corps Législatif dans la séance 
du 23 ventôse an XL 



— 325 — 

désir, animés d'un même amour pour leurs enfants, 
la pensée du père et celle de la mère se rencontreront, 
et en exerçant l'autorité que la loi lui a donnée, le 
père ne fera que poursuivre le but commun. 

Et si la mère, un jour, se trouve seule à assumer 
cette lourde tâche, qu'on ne craigne pas qu'elle soit 
incapable de la remplir. « La constitution physique 
des femmes, leur éducation ne donnent pas aux mères 
tout ce qui rend propre à une bonne administration. 
xMais les pères aiment-ils comme elles? Oh, comme 
ce sentiment exquis de tendresse maternelle sup- 
pléera puissamment à quelque infériorité de con- 
naissances » (1). 



(1) Bernard, op. cit., p. 205. 



CONCLUSION 



Il est fort intimidant d'avoir à émettre une opinion 
sur l'œuvre de la Révolution. Quel que soit le parti 
que l'on prenne, l'on est certain de rencontrer d'é- 
minents contradicteurs dont l'autorité est établie par 
d'importants travaux, et une aussi brève étude, mal- 
gré le souci qu'on y ait apporté, ne permet pas de 
formuler un jugement définitif sur une question aussi 
complexe. 

Après un siècle, l'on est loin d'être arrivé à un 
accord parfait. Mais, pensons-nous, il faut dès à pré- 
sent se garder d'émettre un avis trop entier, soit en 
vouant une admiration sans réserve à l'œuvre juri- 
dique des législateurs de 1793, soit en dénigrant sys- 
tématiquement les institutions révolutionnaires. 

L'examen de cette question au point de vue poli- 
tique ne nous appartient pas ; ce serait une lourde 
tache dont nous tenons à nous décharger. Au point 
de vue purement juridique, après avoir exalté les ten- 
tatives diverses, dont nous nous sommes efforcé de 
marquer les phases, un esprit de réaction peut-être 



— 327 — 

trop accentué, a emporté l'opinion vers un courant 
opposé. La raison d'une appréciation pessimiste peut 
se trouver dans ce fait, qu'on a jugé l'œuvre révo- 
lutionnaire d'après le nombre des institutions éta- 
blies par les législateurs d'alors qui sont passées dans 
notre droit actuel. Si l'on se plaçait à ce point de 
vue, leur oeuvre serait peu importante, car peu de 
lois conventionnelles ont été admises dans le Code. 

Mais, pensons-nous, ce n'est pas sous ce rapport 
qu'il faut considérer la question. Il faut envisager les 
principes que la Révolution a posés et non l'applica- 
tion qu'elle en a faite. 

Mais sous ce rapport même, hélas, tous les prin- 
cipes que la Révolution a proposés et qu'elle a pris 
comme base de sa législation, ne sont pas admirables. 
Bien des idées qui germèrent dans l'esprit des repré- 
sentants, n'étaient pas marquées au coin du plus pur 
bon sens. La faute leur en est peut-être moins impu- 
table qu'à l'imperfection de la nature humaine, et 
lorsqu'on innove, il est parfois difficile de distinguer 
le bon grain de l'ivraie. 

La pernicieuse influence et l'autorité redoutable 
de quelques sectaires farouches, atténuent aussi une 
grande partie de la responsabilité des députés de la 
Convention. Beaucoup obéirent par crainte ou par 
entraînement qui, dans des temps plus calmes, de- 
vinrent de sages conseillers. Selon la pensée d'un his- 



— 328 — 

torien, au cours des époques troublées, de violences 
en violences, on en arrive à perdre tout sens critique. 

D'ailleurs l'on n'arrive jamais à la perfection sans 
hésitations, sans tâtonnements, et après un régime 
où l'arbitraire était la règle et où l'autorité était lais- 
sée sans contrôle entre les mains de ceux qui en 
étaient dépositaires, il était impossible que la réac- 
tion s'opéra d'une manière -modérée et sans tomber 
dans des abus opposés à ceux que l'on voulait corri- 
ger. Il était à craindre que la haine du passé, trop 
violente et malheureusement en partie justifiée, ne 
poussât les réactionnaires à une exagération dange- 
reuse. Les révolutionnaires ne surent pas éviter cette 
erreur ; ils furent des exaltés et non des philosophes, 
plutôt des politiciens que des jurisconsultes. Ils fu- 
rent aussi hantés par le spectre de l'ancien régime, 
poursuivis par la crainte de le voir revivre, ne croyant 
jamais avoir assez démoli, ni avoir suffisamment 
creusé le fossé qui les en séparait. 

Jean-Jacques Rousseau était d'ailleurs un dange- 
reux patron. L'homme est peut-être bon, mais les 
hommes son méchants ; les législateurs de la Révo- 
lution ne s'en sont peut-être pas assez souvenus. Ils 
ont modelé leurs lois, trop confiants dans la bonté 
originelle de l'individu et dans sa perfection. Une 
telle législation eût pu être excellente pour régir des 
hommes idéalement vertueux et justes, mais elle ne 



— 329 — 

pouvait convenir à une civilisation vieille de vingt 
siècles ; la cruelle expérience qu'ils en ont faite l'a 
montré. 

Il est impossible de ne pas déplorer les désastres 
auxquels a conduit l'extension trop considérable 
donnée à certains principes. L'assimilation complète 
des enfants naturels aux enfants légitimes, la sup- 
pression absolue de la puissance paternelle allant 
jusqu'à immobiliser le patrimoine du père entre ses 
mains, l'affranchissement du fils sans réserve, ont 
conduit pendant quelques années la famille et la so- 
ciété à leur désorganisation et à leur ruine. Mais si 
nous considérons la législation quelques années plus 
tard, après qu'une sage réaction l'eut débarrassée 
de ses impuretés et eut atténué les outrances conven- 
tionnelles, c'est sur les principes posés par la Révo- 
lution que nous la voyons établie. C'est à elle, en ef- 
fet, que revient la gloire d'avoir adopté le principe 
de l'égalité des partages en supprimant ces pratiques 
coutumières si contraires à la justice ; c'est elle qui 
reconnut une personnalité civile au fils de famille en 
l'affranchissant, à un certain âge, d'une autorité qui, 
pour être d'une absolue nécessité pendant un temps 
limité, ne doit pas être éternelle : c'est elle enfin qui, 
la première, a montré l'intérêt dont était digne cette 
classe infortunée des enfants naturels que l'ancien 
droit avait maintenus dans une disgrâce barbare, 



— 330 — 

les rendant responsables d'une faute dont ils sont les 
victimes. 

Ces conquêtes, si elles ne parviennent pas à nous 
faire oublier les erreurs auxquelles elles ont donné 
lieu, doivent du moins nous porter à les excuser. 
Les législateurs de 1793 se sont fait illusion sur la 
perfection de leur œuvre, mais celle-ci est tombée 
rapidement. « Notre législation civile, disait Siméon, 
9e ressent de la précipitation inséparable d'une Révo- 
lution qui, renversant tout, avait besoin de tout re- 
créer. Des principes furent jetés sur le développe- 
ment desquels des hésitations et des réclamations 
étant ensuite intervenues, on a rendu des lois trop 
souvent incohérentes, incomplètes, quelquefois 
même contraires au but que l'on voulait, atteindre, 
de la restauration des mœurs, de la société, et d'une 
liberté sagement ordonnée » (1). 

Cette appréciation montre la manière dont furent 
élaborées les lois de la Révolution. Les dissensions 
de l'intérieur, le souci des guerres à soutenir à l'é- 
tranger, les luttes au sein même de la France, les 
préoccupations de tous ordres, empêchèrent les légis- 
lateurs d'apporter à leur œuvre le soin qui eut été 
nécessaire. Alors qu'il eût fallu le calme pour édifier 



(i) Rapport fait par Siméon au nom d'une commission spéciale, 
composée de Cambacérès, Bézard, Oudot, Favart et Siméon, sur 
la successibilité des enfants naturels, 18 messidor au V. 



— 331 — 

une législation à faire presque de toutes pièces, les 
procès-verbaux des Assemblées montrent avec quelle 
fièvre les décisions étaient votées, la majorité des 
séances étant consacrée à des discussions d'ordre 
politique. Mais quel que soit le désordre qui règne 
dans les lois, les principes sur lesquels elles furent 
établies et dont quelques-uns se sont conservés dans 
notre législation, donnent à ce droit un caractère 
absolument nouveau dans lequel on peut voir l'ori- 
gine de notre système juridique. Ce n'est donc pas 
uniquement une législation transitoire et éphémère, 
intéressante seulement à étudier à un point de vue 
rétrospectif, comme semble l'indiquer l'expression 
<( droit intermédiaire » sous laquelle on la désigne 
parfois, ce sont les débuts de notre droit même avec 
toutes les incertitudes et les hésitations qui carac- 
térisent une tentative neuve. 

Cette transformation était presque fatale : « Les 
développements de notre organisation morale qui se 
trouvaient avancés en raison des progrès que les lu- 
mières avaient faits depuis plusieurs siècles... sol- 
licitaient depuis longtemps une réforme et peut-être 
elles n'eussent point prévalu contre d'anciennes ha- 
bitudes sans la Révolution, qui, en ébranlant tout, dut 
froisser beaucoup d'intérêts, mais détruisit aussi 
beaucoup de préjugés » (1). 



(i) Exposé des motifs de la loi sur la minorité, lu tutelle et Vi- 



— 332 — 

Ce qu'on peut louer sans réserve dans l'œuvre 
de la Révolution, c'est l'unification qu'elle fit subir 
à notre législation. A ces mille coutumes qui se par- 
tageaient l'ancienne France, dont quelques-unes ne 
s'appliquaient qu'à quelques centaines d'habitants, 
elle fit succéder un droit uniforme et universel. Cette 
réforme, toute empreinte de l'esprit d'égalité qui fut 
un des traits caractéristiques de la législation révo- 
lutionnaire et le souci dominant de ses auteurs, est 
considérable. Depuis longtemps déjà, on avait senti 
le besoin de cette unité, mais les tentatives faites au- 
trefois par Lamoignon et d'Aguesseau étaient res- 
tées sans effet. Il fallut l'autorité de la Révolution 
pour consommer cette réforme. 

Un bouleversement semblable ne pouvait aller sans 
heurts et sans désordres, étant donnée surtout la lé- 
gislation incomplète et mat coordonnée, élaborée à 
la hâte, qui fut celle des premières années de la Ré- 
volution. Les lacunes nombreuses qui s'y rencon- 
traient et l'exagération regrettable apportée à l'ap- 
plication de certains principes furent également une 
des raisons de l'instabilité de notre édifice juridique 
à cette époque. 

Mais le désordre social occasionné par les lois ré- 
volutionnaires fut lui-même un enseignement. L'on 



mancipation, par le conseiller d'Etat Berlier, séance du 28 ven- 
tôse an XI. 



— 333 — 

se garde mieux du danger quand on l'a couru, et les 
rédacteurs du Code, instruits par une expérience 
récente, comprirent mieux combien les lois éternel- 
les qui ont régi les sociétés sont nécessaires à leur 
maintien, et à quel point la constitution de la famille 
privée intéresse la grande famille sociale. 

Au cours de l'épreuve qu'elle eut à subir, la con- 
ception de la puissance paternelle s'épura. Celle-ci, 
que notre ancien droit avait conservée dans certaines 
coutumes dans l'état où il l'avait reçue du droit ro- 
main, ne pouvait plus nous convenir. Le développe- 
ment de l'activité sociale et l'extension qu'avaient 
subie les transactions, exigeaient qu'une pleine capa- 
cité fut accordée au plus grand nombre de citoyens 
possible. L'affranchissement de la classe importante 
des fils de famille, devait verser dans la société une 
somme considérable d'énergies nouvelles, propres à 
donner une vitalité plus intense à la nation. Malheu- 
reusement, lorsqu'on eut porté le premier coup à la 
puissance paternelle, l'on ne sut plus s'arrêter, et 
non content d'avoir débarrassé l'arbre antique des 
rameaux inutiles qui en absorbaient la sève, on coupa 
le tronc jusqu'aux racines. 

C'est alors qu'apparut la nécessité de l'institution 
détruite. On s'appliqua à la reconstituer, mais en 
évitant de la rétablir dans son état ancien. Sagement 
tempérée, elle devint non plus un pouvoir exorbitant 



— 334 — 

confié aux mains du père qui pouvait l'exercer dans 
toute sa plénitude, mais une mesure d'affectueux 
intérêt, permettant à celui qui en dispose, de prési- 
der d'une manière efficace à l'éducation de ses enfants 
et de les maintenir par de justes reproches et de lé- 
gères réprimandes dans la voie du devoir et de la 
vertu. 

Telles doivent être, pensons-nous, la conception 
et l'étendue de la puissance paternelle. Le retour à 
l'ancienne autorité ne doit être ni souhaité ni espéré; 
elle ne saurait convenir à nos mœurs. Mais telle que 
nous l'avons conservée, elle est d'une utilité certaine. 
Quelques-uns en ont douté la jugeant contraire à la 
liberté de l'individu et d'une nécessité contestable. 

Le premier de ces reproches serait fondé si celle- 
ci se prolongeait jusqu'à un âge trop avancé ; mais 
limitée à la majorité, elle ne peut être considérée 
comme une entrave. Pendant cette période variable 
qui sépare le moment où la personnalité de l'indi- 
vidu a déjà pris un caractère défini, de l'heure où 
la loi reconnaît celui-ci comme citoyen, il est bon de 
conserver au père la tutelle qu'il avait sur son fils 
étant enfant. 11 est utile, avant d'abandonner l'indi- 
vidu à lui-même, de lui laisser un guide pendant 
ces quelques années, qu'il emploiera à prendre con- 
tact avec la vie et à se mieux connaître lui-même. 



— 335 — 

La nécessité de l'autorité paternelle est incontes- 
table. Dans les familles nombreuses, elle sert à main- 
tenir la discipline domestique qui est la première 
condition de l'ordre et de l'existence du foyer. Cette 
considération est encore d'un intérêt très actuel, bien 
que les grandes familles tendent à disparaître par 
suite de l'état presque stationnaire de la popula- 
tion. Mais même dans les familles peu nombreuses, 
si l'on peut admettre que la puissance paternelle 
s'exerce d'une manière moins rigide, le rôle du père 
est cependant d'une importance certaine. L'enfant, 
pas plus que l'homme, n'est porté instinctivement au 
bien ; il choisit de préférence ce qui est plus agréa- 
ble plutôt que ce qui est le mieux. Le père, attentif à 
ne laisser se manifester aucune tendance fâcheuse 
sans s'efforcer de la réprimer, se souviendra de cette 
pensée d'un auteur contemporain : les défauts de la 
dixième année sont les vices de la vingtième. Par des 
soins continus, il tâchera de former le cœur du jeune 
homme, comme il a modelé Fâme de l'enfant, et con- 
duira celui-ci jusqu'au jour de sa majorité. Devenu 
homme et libre, il n'aura pour se guider dans la vie, 
qu'à se souvenir des affectueux et sûrs conseils qu'il 
aura reçus dans son enfance. 

Le père réussira-t-il toujours dans cette tâche in- 
grate ? Non, probablement. Mais si l'autorité pater- 
nelle est parfois inefficace à dompter une nature re- 



— 33o — 

belle, il ne s'en suit pas qu'on doive la rendre respon- 
sable de cet échec et la déclarer inutile. Les lois les 
meilleures sont souvent impuissantes à l'égard des 
mauvais citoyens. 

La plupart du temps, au contraire, elle s'exercera 
favorablement au sein de la famille. Guidée par l'af- 
fection, tempérée par la présence de la mère, elle 
sera moins une puissance redoutable qu'une sollici- 
tude prévoyante, dont le fils dans un âge plus avancé 
se souviendra avec reconnaissance. 



Vu : Vu : 

Le Doyen, Le Président de la. thèse. 

Ch. Lyon-Caen. Chénon. 

Vu et permis d'imprimer : 
Le Vice-Recteur de V Académie de Paris, 

L. LlARD. 



TABLE DES MATIÈRES 



Préface 1 

Bibliographie 5 

Introduction. — La puissance paternelle à Rome 
et dans l'ancien droit 13 

PREMIÈRE PARTIE 

Chapitre premier. — Le tribunal de famille ... 51 

Section première. — Le tribunal de famille avant 
la Révolution 51 

Section II. — Le tribunal de famille sous la Révo- 
lution 76 

Chapitre II. — L'instruction publique dans ses 
rapports avec la puissance paternelle 118 

Chapitre III. — L'exhérédation et la quotité dispo- 
nible 154 

Chapitre IV. — La majorité 204 

Chapitre V. — L'émancipation 232 

Masson. 32 



— 338 — 

DEUXIÈME PARTIE 

Extension de la famille 241 

Chapitre premier. — L'adoption 243 

Chapitre II. — Les droits des enfants naturels . . 267 

Chapitre III. — Les droits de la mère 310 

Conclusion 326 



La Rochelle, Imprimerie Nouvelle Noël Texiar. 



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